Les copains d'abord**
Qu’est-c’ qu’on f’rait sans amis? On vivrait pis qu’un chien
Comme un ours blanc tout seul sur son bout de banquise
Sans nul à qui s’ serrer on s’ les gèl’ dans la bise
On d’vient fou de n’ causer qu’avec son ang’ gardien
Un phoqu’ pour deux c’est peu mais pour un c’est plus rien
D’accord mais c’la posé j’avoue qu’ ça m’ rong’ le foie
Quand j’ demand’ son avis à Hubert sur un vers
Qu’il le trouv’ moche ou bête ou les deux à la fois
À tout coup sans s’ casser à peaufiner l’ critère
Il fait flèch’ de tout bois sa critiqu’ c’est d’ l’aboi
Jean n’ s’est jamais montré dur ou désobligeant
Par devant à tout l’ moins attendu qu’ par derrière
C’est pas croyab’ c’ que c’ mec peut arranger les gens
Je n’ voulais pas y croir’ j’en ai eu la preuve hier
Et depuis ça m’ démang’ d’ casser la gueule à Jean
Nul ne saurait r’procher l’ moindre trait d’ malveillance
À Louis mais alors lui il épie sans répit
C’est d’autant plus bizarr’ qu’il bâille aux confidences
Laissez-le dans l’ bureau just’ le temps d’un pipi
Vous l’ retrouvez plongé dans vot’ correspondance
On n’ pinc’ra jamais Pierre en flag d’indiscrétion
Tout c’ qui n’est pas lui-mêm’ ça l’ gonfle et l’indiffère
Mailez-lui qu’ vous êt’ mort faut' d'une information
Vous attendrez trois s’main’ il a aut’ chose à faire
Mais qu’ lui poireaute une heur’ bonjour l’indignation
Et y a Paul qui m’invit’ et qui m’ laiss’ l’addition
C’est bien normal que j’ paie pour sa conversation
D’ailleurs il est sans un et je s’rais sans excuse
Si je n’ lui prêtais pas d’ quoi s’ passer un’ passion
Prêt qu’il l’oubli’ra d’main à moins qu’ je n’ le lui r’fuse
Paco s’ coup’rait la main plutôt que d’ vous la tendre
On n’ tap’ pas les copains on a sa dignité
Mais un’ pièce est moins pleine après qu’il l’a quittée
Et l’ plus marrant d’ l’histoir’ c’est qu’il s’est mis à r’vendre
Mes bib’lots sur eBay j’ me tât’ pour les rach’ter
J’en passe et d’ plus toxiqu’ les givrés les sadiques
Les ténors d’ la sottise et les rois d’ l’infamie
J’ai pas encor’ trouvé l’quel a écrit aux flics
Pour leur faire assavoir que j’ roulais sans permis
Ni çui qu’a saupoudré l’ sucre et l’ sel d’arsenic
Ô mes amiiis… il n’y a paaas d’amis
Mais n’est-il pas mesquin n’ nous dérouler la liste
D’un tas d’ prétendus pot’ quand j’ai là Jérémie
Pour partager mes joies condoler quand j’ suis triste
C’ ramassis d’ pis-aller j’ le laisse au satiriste
C’est l’ seul que j’aie choisi c’est mon meilleur ami
Faut bien r’connaît’ pourtant qu’ lorsqu’on joue aux échecs
I’ n’ rest’ de bonne humeur qu’à condition d’ gagner
Chaqu’ fois qu’il couch’ son roi i’ d’vient un peu pèt’-sec
Il m’apprend qu’ la partie n’ valait pas un kopeck
Qu’ sans mes échang' mesquins j’aurais pris un’ peignée
Il a l’ cœur sur la main on n’ fait pas plus serviable
Seul’ment l’ choix des servic’ lui appartient de droit
Quoi que j’ lui d’mande i’ m’ prouv’ qu’ c’était pas raisonnable
Et j’ai beau n’ pas piper j’ sens un rien d’ désarroi
Quand i’ m’ gav’ de cadeaux et d’ conseils qui m’ laiss’ froid
Ptêt’ suis-je ingrat d’ natur’ mais j’avoue qu’ ça m’embête
Qu’i’ m’ fass’ pour ma santé trimer dans son verger
Et puis qu’il me remplisse un panier d’ ses poir’ blettes
Qui n’ manqu’ pas d’allonger la colonn’ de mes dettes
Cell’ qui port’ mes créanc’ étant fort peu chargée
C’est lui qui dit la Loi et qui écrit l’Histoire
Il a tout prévu juste et c’est d’ moi quand ça foire
J’ vais tout d’ mêm’ pas l’ taxer d’ me piquer mes idées
Mais sans trancher duquel pédal’ dans l’illusoire
Disons qu’ nos deux mémoir’ sont fort mal accordées
Quand j’ai ram’né ma frais’ sans prév’nir aujourd’hui
Il avait d’ la visite et d’ la drôle ou d’ l’accorte
Je l’ suppos‘ à chaqu‘ fois qu’ j’ai pas passé la porte
Vu qu’i’ m’ présent’ jamais qu’ des baudets et des truies
Est-c’ qu’il a hont’ de moi ou peur qu’on s’ pass’ de lui
À lui l’ sceptre et la rose et le haut du pavé
Ça n’ se discut’ mêm’ pas la question que j’ me pose
C’est d’ savoir s’il me prend vraiment pour un navet
Ou fait tous ses efforts pour qu’ je n’ sois pas aut’ chose
Quell’ que soit la répons’ ça commence à m’ gaver
Quand on pens’ pour du beurre on ne pens’ plus qu’à d’mi
J’ me sens la scienc’ bidon la faconde inféconde
Quand il est là j’ subis comme un’ lobotomie
Et quand j’ rentre en moi-mêm’ j’ me d’mande s’il est au monde
Quelqu’un qu’ je haïss’ plus que mon meilleur ami
Ô mes amiiis… il n’y a paaas d’amis
Bon ça va t’as fini pousser l’ cri d’Aristote
Sur un air de Verdi ça t’ fait mouiller la glotte
Et c’est toujours ça d’ pris mais j’ vois là comme un creux
T’as raqué tes rancœurs mais c’est pas l’ tout mon pote
Il s’rait ptêt’ temps d’ savoir quel ami t’es pour eux
Je n’ peux guèr’ m’accuser des défauts que j’ recense
Cert’ je censur’ leurs vers mais j’ leur donn’ des raisons
J’ lis leurs journaux intim’ pour m’ rosir l’horizon
Au p’tit jeu des consos c’est bien rar’ qu’on m’ devance
Et j’ barbot’ pas leurs biens quand j’ garde leur maison
Et surtout j’irais pas m’ charger d’un soliveau
En guis’ de fair’ valoir sans m’ soucier de c’ qu’il vaut
Plutôt s’offrir un chien si l’on n’ veut qu’allégeance
Ou s’ planter d’vant l’ miroir si l’on cherch’ la r’ssemblance
Moi j’ demand’ un’ conscienc’ et j’exig’ du nouveau
J’ confonds pas comme un con âm’-sœur avec sosie
En r’vanch’ faut bien admett’ que j’ suis trop possessif
J’ dissimul’ les trois quarts d’ mes excès d’ jalousie
Mais quand l’ pot’ jouit sans moi il me baffe il me biffe
Prend’ son panard ailleurs ou m’ trahir c’est kif-kif
Et l’ plus grav’ c’est la rag’ de n’ jamais m’ contenter
Des humains tels qu’ils sont il faut que j’ les épure
En leur j’tant dans les dents leurs quat’ sévérités
De l’invite à changer ils n’ retienn’ que l’injure
Et l’espoir d’un progrès n’ provoqu’ que des ruptures
De sort’ que l’ plus souvent je m’ retrouv solitaire
C’est parfait au moins un sur qui on peut compter
Alors ça faut l’ dir’ vite ou l’ taire ou l’ commenter
La dictée d’ la routin’ me titill’ les sphincters
L’ami que j’ suis pour moi laiss’ fort à déchanter
Quand c’ con-là perd ses clefs ou omet d’ fermer l’ gaz
Qu’il s’ fait des bleus des boss’ et s’esquint’ la santé
Ou s’obstin’ cent-sept ans dans les choix les plus nazes
Qui n’ lui val’ que des gnons qu’il rat’ tout’ les occases
J’ dis pas qu’i’ l’ fasse exprès mais qu’on peut trembloter
En plus il ne cess’ pas d’ me couvrir d’épithètes
J’ suis un ver un’ fourmi un’ momie un vomi
Ça fuse à la folie les faits sont à la fête
N’ pas s’aimer n’a pas d’ sens il n’empêch’ que j’ frémis
À l’idée que j’ pourrais être mon pire enn’mi
Ô mes amiiis… il n’y a paaas d’amis