Javalse du Progrès*
I
Y en a qui sur la rout’ quand ils bomb’ à cent-vingt
En guettant les radars
Cultiv’ la nostalgie du pas mou des bovins
Attelés à leur char
Y en a qui en s’ mettant cinq CD à la chaîne
Sans mêm’ les écouter
R’grett’ les temps où quand v’nait un prurit de rengaine
Il fallait s’ la chanter
Moi je n’ me sens pas plus romain qu’ moyenâgeux
Je n’ connais d’ belle époque
Que l’ présent ou l’ futur remballez vos p’tits jeux
Raccrochez vos défroques
Non caresser sa crasse à l’eau froid’ sur l’évier
Fair’ cuir’ sa bouff’ des heures
S’éclairer aux chandell’ déféquer su’ l’ fumier
Merci j’ suis pas preneur
Quand il m’ prend une envie d’aller au bout du monde
J’ prends pas l’ deuil des paqu’bots
Et l’ jour mêm’ du départ les lagons et Golconde
Ne m’ paraiss’ pas moins beaux
L’ bon vieux temps des bafouill’ qu’on r’commençait dix fois
Des ratur’ des ruptures
Pour un’ répons’ perdue qu’on attendait des mois
J’en gard’ les écorchures
Et j’ m’enchant’ qu’il suffis’ d’un p’tit clic sur Google
Pour presque tout r’trouver
Au lieu d’ chercher en vain son aiguill’ dans la meule
Dans des tonn’ de pavés
Geignez donc tout vot’ saoul qu’ tout était mieux avant
Je n’ chant’rai pas vot’ messe
Je n’ vois qu’un’ chos’ de mieux quand j’avais dix-neuf ans
Et c’était ma jeunesse
Oui mais mais oui mais mais y a un truc qui m’embête
Quand j’ pousse à pleins poumons le cantiqu’ du progrès
C’est qu’ les neuron’ végètent
Et qu’ tout d’ mêm’ je souhait’rais
Que l’ progrès entre un peu dans les têtes
Sauf pépin on s’ fait vieux la mort suit la filière
La méd’cin’ va d’ l’avant mais l’ plus gros des méd’cins
Traîn’ la patt’ loin derrière
Et sérums ni vaccins
N’ont guéri l’ diagnostic de Molière
On nous met dans les mains de merveilleux outils
Mais faudrait pas s’ flatter de c’ qu’ils font à not’ place
Plus qu’ d’en tirer parti
Il m’ semb’ qu’on s’y prélasse
Qu’ la technique en t’ servant t’abêtit
Armé d’un’ puc’ magique au fin fond du Langu’doc
J’ m’émerveill’ que tu caus’ avec Pétaouchnock
Mais pourquoi chaqu’ fois qu’on
Capte un bout du colloque
Au passag’ faut-il qu’il soit si con
Avec vos numériqu’ aux mille et un’ ficelles
Tout s’ corrige après coup l’ chef d’œuv’ c’est du gâteau
Comment s’ fait-il donc qu’elles
Soient si moch’ vos photos
Et plus grav’ que vous les trouviez belles
Quand on pioche Internet et ses min’ de dialogue
Pourquoi tant d’ déceptions tant d’avis sots ou rogues
Et l’ plus souvent les deux
Pourquoi sur dix-mill’ blogs
Nett’ment plus d’ neuf mill’ neuf cents merdeux
R’marquez bien j’ vous blâm’ pas d’être aigris et grégaires
Ni mêm’ niais mais l’étant d’avoir réponse à tout
Il n’y a rien d’ plus vulgaire
Chacun d’ vous s’ croit hors-pair
Et la terre est peuplée d’ Manitous
C’ que j’ reproche à mes con à mes con-temporains
C’est de pé c’est de pé d’ péter plus haut qu’ leurs reins
Le plus inepte ignare
S’ prend pour un mandarin
Et les nombrils du monde on les compt’ par milliards
II
Vous nous fait’ tout un plat de la violenc’ urbaine
Ell’ dat’ pas d’aujourd’hui
Croyez-vous que sous l’ règn’ de Khéops ou d’ Khéphren
On s’ bagu’naudait la nuit
Mêm’ de jour on s’ groupait tant ça grouillait d’apaches
Pour traverser un bois
L’ canon grondait tout près maint’nant on l’ cherche à dache
La guerre est aux abois
Quand j’étais gosse on nous donnait au plus dix ans
Avant que n’ saut’ la terre
Et voilà qu’ nos gamins pèt’ le feu quoiqu’exempts
De servic’ militaire
Je vers’ ma larmichett’ sur l’Espoir du Grand Soir
Mais qu’a-t-on vu après
Que certain’s expérienc’ appartienn’t à l’histoire
Zinzin qui s’en plaindrait
Vous geignez qu’ les valeurs aient sombré dans l’ marais
C’est bien beau mais lesquelles
Soumission et respect n’ m’inspir’ pas plus d’ regret
Qu’ la goutte ou la gravelle
Ils n’ lis’ plus ils n’ compt’ plus ils n’ sav’ plus l’orthographe
On s’en sent l’ sang glacé
Mais ils baign’ dans des eaux où tu t’ noies crân’ de piaf
Sans t’ soucier d’ potasser
L’ peu qu’ tu sais c’est sacré et c’ que t’ignor’ tu l’ nies
Gâtouillarde impudence
Pas question qu’ ma chanson s’ mêle à vos litanies
Sur l’air d’ la décadence
S’il y a des déficits c’est qu’ l’écol’ a l’ pied lié
Qu’elle colle à ses vieux r’pères
Et qu’au lieu d’ mill’ manants on trouv’ mille écoliers
Pour dix du temps d’ nos pères
Oui mais mais oui mais mais oui mais j’ fris’ l’overdose
Les prétendus reculs j’ m’en bross’ les poils pubiens
J’ pens’ pas pas qu’on n’ sach’ plus rien
J’ pens’ qu’on sait autre chose
Mais qu’on croie tout savoir m’indispose
La pros’ des collégiens ou cell’ des internautes
À moins d’êt’ payé pour j’ vais pas la corriger
Mais c’ qui m’ fait enrager
C’est qu’eux m’ signal’ des fautes
Que l’ néant se permett’ de juger
Il me semb’ que jadis et j’ dirai mêm’ naguère
Nos profs étaient d’ vieux cons mais pas dans leur matière
Que l’ premier morveux v’nu
S‘ prenait pas pour Dieu l’ Père
L’ cri d’ l’ego était moins saugrenu
Il m’ semb’ qu’on s’ rangeait pas dans les paladins d’ l’Art
Pour un clic de Kodak ou un balbutiement
Qu’avant d’ signer Mozart
On piochait l’ rudiment
Que l’ génie seyait mal aux cossards
Je n’ pleur’ pas un système où l’on gardait sa place
D’ la naissance à la mort sans espoir d’en changer
J’approuv’ qu’on s’ décarcasse
Pour émerger d’ la masse
Et j’admets qu’ se connaît’ c’est s’ figer
Ça m’ choqu’ pas qu’ les valeurs soient r’centrées sur le moi
Rien d’ neuf en vérité l’ boniment altruiste
Nul n’y ajoutait foi
Mêm’ si ça vous attriste
Rien n’ se fait qu’ si chacun boss’ pour soi
Seul’ment vous n’ bossez pas voilà c’ qui m’ turlubite
Je trouv’ sain de n’ pas trop baliser ses limites
C’ qui m’ paraît d’ la folie
C’est d’ surfair’ l’accompli
Ou d’ se voir sans rien foutre au zénith
C’ que j’ reproche à mes con à mes con-temporains
C’est de pé c’est de pé- d’ péter plus haut qu’ leurs reins
De s’ rêver en cadors
Sans fair’ le moindre effort
Et à forc’ de s’ rêver d’ s’enfoncer dans l’ purin
III
Quand nos pot’ les robots s’ farciront tout l’ boulot
Qu’ tout’ la bouff’ s’ra chimique
Qu’on jouira d’ prés sans vach’ sans péqu’nauds sans silos
Pour fair’ d’ la botanique
Quand j’ pourrai empletter la gueul’ d’Alain Delon
Chez LIDL ou à Carr’four
Mais qu’ les fill’ s’ront tout’ bell’ ou tout’ moch’ car c’est s’lon
Et qu’ c’en s’ra fait d’ l’amour
Quand on s’ télétruqu’ra avec arm’ et bagages
Au bout d’ la galaxie
Qu’ la chanson des embruns et des appareillages
Se s’ra tue elle aussi
Quand les cerveaux poussifs au lieu d’ suer sur des l’çons
S’ f’ront greffer tout’ les sciences
Qu’ sans affr’ et sans divan un p’tit coup d’ultrasons
Nous lav’ra d’ nos démences
Quand on aura percé le mystèr’ de la vie
Et qu’ la mort sera morte
Le tragiqu’ la r’ligion et la philosophie
Lui faisant une escorte
Quand on communiqu’ra de cervelle à cervelle
Sans mensonge et sans mots
Et qu’avec le s’cret d’ l’Autre et romans et nouvelles
Descendront chez Plumeau
Je n’ suis pas d’ ces péteux qui s’ dis’ bonjour l’angoisse
Heureus’ment qu’ j’y s’rai plus
Un sérieux coup d’ balai dans la bibli d’Augias
N’aurait rien qui m’ déplût
J’en ai plutôt ma claqu’ d’être toujours confit
Dans la mêm’ confiture
Après tant d’ livr’ et d’homm’ faits au moul’ j’ f’rais pas fi
D’une ultime aventure
Oui mais mais oui mais oui mais voilà mais voici
Quand on n’ s’ra plus qu’ des têt’ sans membr’ et sans viscères
Rangées sur l’étagère
En mon for j’ me d’mand’ si
Chacun’ d’ell’ s’ mythonn’ra en Messie
Cett’ préoccupation peut sembler fort puérile
L’av’nir cert’ j’en conviens recèl’ quelques périls
Un peu plus grimaçants
L’ défaut qui m’ fouett’ le sang
C’est d’ la daube à côté d’ Tchernobyl
Réchauff’ ment climatiqu’ trou dans la couch’ d’ozone
Croissance exponentiell’ de la consommation
Quand l’énergie plafonne
Populo pollution
Merd’ de chiens su’ l’ trottoir nan j’ déconne
Seul’ment moi ces trucs-là j’ les ai pas constatés
On m’ ressass’ qu’ ça s’ réchauffe et j’ me caill’ mêm’ l’été
J’ vais pas bourrer mes strophes
De c’ plâtras d’ catastrophes
M’ planter dac mais pas sous la dictée
C’est d’ailleurs un des traits que j’ peux pas supporter
Qu’on prenne un air pensif et s’ figure inventer
Ce qu’on a vu dans l’ journal
Qu’on s’ croie original
Et futé quand on n’ fait qu’ répéter
Et si ça n’ dat’ pas d’hier il faut tout d’ même admettre
Que d’ nos jours rien n’ compens’ cett’ rag’ du vouloir-être
Qui n’ sait qu’ se conformer
Et qui a besoin d’ maîtres
Pour lui dir’ comment s’ fair’ vidimer
Pourquoi oh pas d’ mystèr’ c’est qu’ ça rapporte plus
De vendre à mille egos mill’ bagnol’ qu’un seul bus
Pas d’ personnalité
Tu n’as plus qu’à l’ach’ter
Si t’as d’ quoi c’est qu’ t’es pas un minus
C’ que j’ reproche à mes con à mes con-temporains
C’est de pé c’est de pé- d’ péter plus haut qu’ leurs reins
S’ils font d‘ la surenchère
C’est qu’ils sav’ leur misère
Mais pour ces abyss’ là faut prend’ son sous-marin
En présenc’ d’ leurs manières
Un sage aurait pitié mais moi la trouill’ m’étreint
Faut croir’ qu’en mon jargon j’occup’ le mêm’ terrain