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Le blog de Narcipat

Lecture des Nouvelles solitudes de M.F. Hirigoyen, 1 : platitudes et paralogismes

17 Mars 2012 , Rédigé par Narcipat Publié dans #VA : M.F. Hirigoyen : pervers narcissique et harcèlement moral

     Je n’étais pas spécialement tendre pour le Harcèlement moral ou Femmes sous emprise, mais il s’agissait d’œuvres de génie, au regard de ce tissu de platitudes superficielles et sans rigueur, dont les meilleurs passages, et de beaucoup, sont impudemment empruntés aux ouvrages antérieurs. Dès le début (p.12) on a un aperçu du papotage de bistrot qui nous attend : « comme en témoigne Bernard, 42 ans :

     Les gens ont du mal à comprendre mon choix de la solitude, mais ça fait partie de mon parcours de vie. Certains n’acceptent pas et me conseillent d’aller sur Internet pour rencontrer l’âme-sœur. Et, comme je m’y refuse, je suis catalogué comme quelqu’un de difficile et d’exigeant.

     Pourtant, on peut préférer une soirée en solitaire avec un bon livre à une soirée mondaine ou simplement en groupe. Ou bien, quand on vit en couple, on peut ressentir la nécessité de s’isoler une journée, un week-end ou plus, pour mieux se concentrer, pour jouir de moments seul ou en présence de quelqu’un qui ne fait pas intrusion. »

     Mais fi du défaitisme, le sujet nous intéresse, et au moins c’est pas dur à lire : on peut encore espérer un bouquin ascensionnel. Las! Après 200 pages à patauger dans un marigot de bêtise et de petitesse, on n’a pas avancé d’un iota. Décidément les psychanalystes ne gagnent guère à renier leur doctrine si c’est pour nous régaler de révélations aussi neuves et profondes que celles

– du divertissement pascalien (p.15 : « Ils s’agitent, multiplient les rencontres, les amours et les projets. Ils refusent le vieillissement et la maladie, mais le constat reste là : nul ne peut éviter la mort. L’agitation du monde ne sert qu’à nous masquer que nous naissons seuls et que nous mourrons seuls. » Comme disait Barthes, la banalité n’est pas une voie si sûre pour éviter l’erreur.)

– du mirage du consumérisme (p. 127 : « Pour le philosophe Gilles Lipovetsky, ce seraient les frustrations qui amèneraient les individus à consommer autant : “Plus se multiplient les désappointements et frustrations de la vie privée, plus le consumérisme se déchaîne comme consolation, satisfaction compensatoire, moyen de se remonter le moral.” Mais ne serait-ce pas plutôt parce que la consommation ne les comble pas que les individus sont frustrés? » Les deux, mon Général! « Quand le désir se cantonne à la possession de biens matériels, il en faut toujours plus, ce qui engendre une dépendance, car ce “toujours plus” ne sera jamais satisfaisant. »)

– de la superficialité de la “nouvelle communication” (p.118 : « Nous téléphonons, nous chattons avec des quasi-inconnus, et beaucoup de pseudo-amitiés ne sont que des moyens commodes de fuir la solitude. Le chat est du bavardage, des paroles dont le contenu importe peu et qui sont seulement là pour remplir le vide. Il ne s’agit pas non plus de palabre, c’est-à-dire d’un échange de paroles rituelles destinées à ne pas entrer trop brusquement dans l’essentiel de la conversation, mais de paroles anodines, et qui le resteront » : à l’instar des vôtres, ma chère? Je ne pratique pas le chat, mais elle met un peu plus loin les blogs dans le même panier. Un chat, un blog, comme vos conversations de jeunesse ou un livre imprimé, ne sont que ce qu’on en fait, ce qu’on y a mis. 99% sont vides, je vous l’accorde, mais parce que leurs auteurs sont creux, non l’inverse. N’incriminez donc pas le support! Il y a quelques raisons, au contraire, pour qu’un courriel soit plus réfléchi et mieux ciselé qu’une vieille bafouille à la plume d’oie.)

– du “culte de l’apparence” (p.154 : « Autre facteur de blocage : le culte de l’apparence. Sur Internet comme dans la vraie vie, l’apparence est devenue le principal atout pour réussir. Il vaut mieux être beau ou tout au moins attrayant, paraître heureux, s’épanouir dans son travail, avoir des enfants qui ne posent pas de problème. Il est également préférable d’être en bonne santé, mince mais pas trop, ne pas fumer (le point du tabac est précisé dans la fiche de présentation), boire modérément de l’alcool, faire du sport. Il s’instaure ainsi une inégalité sociale par la beauté et la santé qui se traduit par une ségrégation à la rencontre par Internet, et une inégalité devant la solitude. » Gosh! Merci d’être là pour nous l’apprendre! Notons que la spécificité de l'échange-Internet est diamétralement inverse, puisqu'on n'est vu que lors de la dévirtualisation, dont il est loisible de se passer, et qu'on est bien libre d'ici là de se prêter mille qualités.)

– de la pathologie de l’impuissance (p. 130 : « Les injonctions de notre époque – soyez beaux, riches et performants – [comme si la nouveauté se situait là!] ont rendu insupportable<s> l’échec et la privation. Les hommes viennent consulter pour des difficultés liées à l’impuissance, à la peur de “ne pas y arriver” ou “de ne pas être à la hauteur”; ils ont l’impression qu’une charge trop lourde pèse sur leurs épaules, et ils oscillent entre l’insuffisance, la carence dépressive ou au contraire la quête effrénée de plaisir. Selon le sociologue Alain Ehrenberg, de nos jours, les hommes sont confrontés à une maladie de la responsabilité, dans laquelle domine le sentiment d’impuissance : “L’homme est confronté à une pathologie de l’insuffisance plus qu’à une maladie de la faute.” » Ce paragraphe, citation comprise, figurait presque texto dans Femmes sous emprise.)

     Je ne suis pas un paladin de la connaissance historique, et j’endurerais, dussent Molière et La Fontaine s’en retourner dans leur tombe, des résumés d’écolier dans le style de celui du “mariage bourgeois au XVIIème siècle” : « À cette époque, le couple était un arrangement et on se mariait par raison. L’homme apportait au “ménage” la sécurité matérielle, et la femme faisait partager à l’homme son intérêt pour la culture et les échanges sociaux » !!! En revanche, « Au XVIIIe siècle, on a vu émerger l’amour romantique, qui se présentait comme un amour “féminisé”. » (pp. 70-71) Il y a pourtant là comme la première chandelle d’une haine à base d’envie, puisque moi qui en sais à vue de nez vingt fois plus, je n’oserais jamais risquer, même pour les deux lecteurs de mon blog, une généralisation d’une telle envergure. Aux ignorants les mains pleines! Mais passons, bagatelle : le malaise provient surtout du continuel glissement conceptuel, du vasouillage de cette pseudo-pensée :

     pp.45-46 : « Des psychanalystes ont avancé l’hypothèse que si certaines femmes choisissent la solitude, c’est que leur corps est habité par le père : “Le lien inconscient entre une fille et un père charismatique est d’une telle solidité qu’aucun prétendant ne peut rivaliser avec lui.” Mais ne serait-ce pas plutôt la déception face à l’échec d’une mère ayant subi la domination de son mari, ou bien face à une mère frustrée ou peu chaleureuse? Ces femmes disent toutes : “Je ne veux pas ressembler à ma mère!” Dans son livre de témoignage sur la solitude radicale de quelques femmes à la campagne, Françoise Lapeyre avait rapporté que le point commun de ces femmes était d’avoir eu une enfance sans mère ou avec une mère non aimante qui avait ainsi initié la petite fille à la solitude. » Relisez, et essayez de mettre en rapport la dernière phrase avec ce qui précède. Est-ce que l’ajout-raccroc d’une mère peu chaleureuse (ergo frustrée, puisque les hommes sont responsables de tout) suffit à calfater l’absurdité d’assimiler une enfance sans mère à une enfance face à l’échec de ladite maman? On touche à la confusion mentale.

     Souvent, si la liaison pèche, c’est qu’il y a de l’assertion toute faite à loger, comme p. 48 : « Les femmes seules se retrouvent souvent entre elles comme à l’adolescence, à l’époque où ne se posait pas la question de “s’installer” avec un homme, où il suffisait de s’amuser et de plaire. Quand elles se sont libérées, certaines refusent de faire le deuil de tous les possibles. S’engager avec un homme signifierait renoncer à tous les autres : “Tant que je suis libre, je peux plaire à tous les autres hommes.” Elles veulent avant tout “se” plaire. » Est-ce seulement possible dans l’“autonomie”, et sans regard valorisant? La question ne sera pas posée : le psychologiquement correct a frappé : sans la moindre base factuelle, plaire au maximum de mecs devient SE plaire, objectif nettement plus valorisé.

     Et p. 64, vous y retrouvez-vous? « Beaucoup d’hommes confondent amour et possession. Or l’amour n’est pas possession, mais échange et partage. [On y reviendra, et ce ne sera qu’un rappel, puisque ce paragraphe aussi sort quasi-inchangé de Femmes sous emprise.] Quand un homme dit à une femme : “Je te veux toute à moi”, cela peut signifier le désir, mais ce peut être aussi : “Tu m’appartiens, et tu n’existes pas sans moi.” Et dans ce cas, si elle s’éloigne, elle risque de le payer par un dérapage de violence. Dans ces relations fusionnelles, sans aucune limite, tout changement de l’un met en péril le couple. Quand un couple repose sur un mode de maternage de l’homme par la femme, la venue d’un enfant peut par exemple le déstabiliser. Plus tard, si la femme semble être trop fusionnelle avec son enfant, l’homme peut se sentir frustré et essayer de reprendre le pouvoir par tous les moyens.

     Pour les hommes, tout est un problème de distance : trop de proximité les inquiète, car ils le ressentent comme un risque d’engloutissement, mais une trop grande distance réactive leur peur de l’abandon. Le contrôle qu’ils exercent sur leur femme leur permet de préciser à chaque instant la distance à laquelle elle doit se tenir. » Désolé, mais la phallophobie forcenée n’autorise pas à faire flèche de tout bois, à glisser de la possessivité à une demande de maternage, et surtout à affirmer que “beaucoup d’hommes” sont possessifs et fusionnels à l’excès, puis, à peine le temps de reprendre haleine, que trop de proximité les effraie tous. S’il existe des femmes que rassure et conforte une daube pareille, je ne donne pas cher de leur cervelle.

     La formule n’est pas souvent coruscante; mais on voit bien comment elle tue la pensée : p. 173, par exemple, « La frigidité est devenue une maladie honteuse, l’impuissance un symptôme qu’il faut absolument soigner. » Parallélisme factice : la première proposition épingle effectivement un changement de mentalité; mais la honte de l’impuissance masculine, des “œufs froids”, vient du fond des âges; et bien sûr on embraie : « Au lit comme au travail, l’homme [c’est moi qui souligne] se sent soumis à une obligation de résultat et il craint d’être viré s’il n’est pas à la hauteur de ce qu’on attend de lui », dont il est du reste précisé ailleurs qu’on ne l’attend nullement, et qu’il ne fait que l’imaginer.

     Inutile d’insister, les exemples grouillent, tout le texte, lu d’un peu près, n’est qu’un rideau de verbiage dont la rigueur est absente. Il n’est pas surprenant, dans ces conditions, que la plupart des patients présentés en caractères plus petits, rivalisent de bêtise et mesquinerie, et que leur discours (car il s’agit moins de cas cliniques que de ce qu’ils disent d’eux-mêmes) autocomplaisant, qui retombe sans cesse dans la matérialité la plus sordide, soit en quelque sorte avalisé par l’écri-ô-combien-vaine. La récurrence des cris d’indépendance traduits en activités est particulièrement pénible :

     p.86 : « Avec ce système, j’ai une certaine liberté. Je fais ce que je veux, je peux aller au spectacle, voir une expo, recevoir des amis. Autour de moi les hommes sont casaniers, ce sont les femmes qui poursuivent les liens sociaux. » On pourrait au moins se demander si ce n'est pas pour compenser l'absence de vie intérieure…

     p. 197 : « Lorsque je vivais en couple, j’attendais avec impatience les déplacements professionnels de mon mari. Lui était désolé : « Tu ne vas pas t’ennuyer? » Moi j’étais ravie, enfin du temps à moi, pouvoir gérer mon temps comme je veux, ne rien prévoir pour le dîner, ne pas avoir à parler. »

     pp. 191-192 : « Au début le silence est assourdissant. On retrouve sa tasse vide là où on l’avait laissée. Et puis on s’habitue. On peut s’étaler dans le lit, lire jusqu’au milieu de la nuit, manger, fumer, sans que personne ne vienne se plaindre. » On voit que ça vaut le coup d'être libre!

     Quasi-jamais, du moins quand c’est une femme qui parle, on ne s’interroge sur la validité de ce qu’elle dit d’elle-même : la psy semble n’être là que pour en prendre note. Écoute “respectueuse”, peut-être, mais sans portée thérapeutique ni le moindre intérêt pour le lecteur. C’est particulièrement frappant lorsque MFH aborde “l’asexualité”, avec une faveur marquée qui sent à plein nez le plaidoyer pro domo : « Certains médecins se réfèrent à des constantes biologiques telles que le taux de testostérone ou le taux de dopamine cérébral pour expliquer le manque de désir sexuel. Cependant les asexuels, à la différence des frustrés sexuels, ne sont pas déprimés, ils ont envie de sortir, de voir des amis, de rire, de boire du bon vin, d’apprécier la bonne nourriture. Le problème est donc ailleurs. [Tu parles! Comme si la bouffe et le pinard n’étaient pas des dérivatifs!]

     La caractéristique constante de ceux qui ont fait le choix de renoncer à la sexualité est une volonté de ne pas se disperser, de ne pas jouer le jeu des rencontres fugaces et de l’injonction de jouissance de notre société. Plus que d’un refus du sexe, il s’agit d’un refus d’une superficialité des rencontres. Il est donc faux de dire que le désir n’existe plus, il n’est simplement plus où nous l’attendons. Pourquoi critiquer ceux qui ont fait ce choix intime? À partir du moment où le taux de natalité ne baisse pas en France, quel préjudice apportent-ils à la société? » La question n’est évidemment pas là, il y a bien assez de monde sur terre. Nul ne les condamne, que des arriérés. D’autre part, je garde la conviction qu’un nombre important et inavoué de femmes (peut-être pas les 95% de Brassens, mmmmais…), en dépit de la frime à la mode, n’a jamais aimé faire l’amour en soi, même à l’âge du plein épanouissement, et qu’en renonçant à cette corvée, elles se libèrent en effet, mieux en tout cas qu’en jouant les nymphos. Mais enfin, s’il s’agit de vos patientes, elles font le choix de venir vous voir, c’est sans doute que quelque chose ne tourne pas rond, non? Et si l’asexualité n’était qu’un faux self et une position de repli? Moi qui à une surprise près fais ceinture depuis dix ans, qui n’en suis pas mort et n’en souffre que médiocrement, il me serait loisible de traduire la nécessité en “choix de vie”, le devoir de lucidité m’en empêche; or rien ne m’assure que ce devoir-là pèse sur les prétendus asexuels volontaires; et d’autre part il me paraît étrange que la branlette ne soit pas évoquée un instant : cette question-là non plus ne sera pas posée, alors que si le sujet se pignole avec renfort d’images, son ataraxie asexuelle paraît pour le moins sujette à caution.

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