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Le blog de Narcipat

D’une agression à l’autre

15 Mars 2012 , Rédigé par Narcipat Publié dans #Théorie plus perso

     Je l’ai sûrement déjà dit, dans ce blog obèse et incontinent (l’équivalent de deux Pléiades! Pas étonnant qu’on se décourage! Il est temps d’en finir, voire d’en effacer les trois quarts) puisque la pensée n’est pas neuve, tant pis, répétons-le : du temps où j’avais encore une petite surface sociale, on m’a couramment tenu pour paranoïaque, et, après mûr examen, je refuse de contresigner ce diagnostic, en dépit des symptômes qui le rendent crédible : rêves de grandeur sans le socle d’un fait, conviction d’être plus malin que la moyenne, voire que l’élite (tout en me tenant, à un autre “niveau”, pour le pire des abrutis); manie persistante de lancer des passerelles entre éléments séparés, de les grouper en réseau pour faire du sens à tout prix (lequel est très rarement le bon, à supposer qu’il y en ait un); ignorance du monde tel qu’il est, induisant une certaine fausseté de jugement; méfiance tous azimuts, étrangement mêlée de confiance éperdue, de sorte que je prévois toutes les trahisons, et qu’elles ne m’en stupéfient pas moins… Ce qui, malgré tout cela, me fait conclure à la relaxe, c’est que je me donne tort dans l’intimité (face à l’adversaire, ça relèverait du désarmement unilatéral), et ne me sens jamais visé dans mon unicité par les agressions. Mais est-ce que je ne fabrique pas, pour me gargariser de n’être pas lui, un modèle de paranoïaque totalement fantasmatique? En l’espèce, le véritable dément qui se croirait, lui et lui seul, en butte à l’hostilité viscérale et inexplicable du monde entier? Même le dernier Rousseau, en qui ce modèle semble s’incarner, cherchait des raisons au “complot” qui transcendassent sa personne. Dans tous les bahuts où j’ai été en conflit avec la direction et les trois quarts des collègues, je m’expliquais le bain de haine où je barbotais tantôt par ma cote auprès des élèves et le dépit de voir leurs faces s’éclairer quand ils passaient de votre cours au mien, tantôt par l’exaspération provoquée par mon refus des commodités du Respect, encourageant la contestation des flemmards et des incompétents, par un certain dérangement que j’apportais en ne me soumettant pas à certaines normes, en abusant du parler-vrai, etc, etc. L’animadversion des chefs me paraissait particulièrement “naturelle”, puisque proviseurs et principaux sont tous d’anciens profs qui, ne trouvant pas le bonheur dans leur boulot, se sont fait mettre à l’infirmerie, et prennent en grippe ceux qui se débrouillent mieux qu’eux naguère, et pour comble ne leur font jamais appel. Loi quasi sans exception : si un prof est l’objet d’une certaine ferveur de la part des masses écolières, on peut parier qu’il est classé démago, et plus bas noté que le sombre raseur en qui le chef se reconnaît. Ce qui ne m’empêchait pas de m’interroger, à l’écart des combats, sur ma propre culpabilité, et, en général, d’y conclure, ou du moins d’en accepter une bonne part (la fureur de me distinguer, de faire valoir une différence, euphémisme pour une précellence) jusqu’au clash suivant. D’accord, je ne me croyais pas “visé dans mon unicité”, pas plus que par les éditeurs qui ne lisent aucun envoi postal, mais tout de même, dans les abysses de ma pauvre coucourde, c’était bien contre un être exceptionnel que se reformait toujours la conjuration des imbéciles. Parano ou pas, en somme, selon qu’on ratisse plus ou moins large. Un peu étonné d’ailleurs que la plupart des auteurs semblent tenir la mégalomanie pour un dérivé du complexe de persécution, alors que la filiation inverse me paraîtrait plus logique : 1) Je suis le meilleur. 2) Or nul ne s’en avise, on me réserve une place subalterne, et je n’y donne même pas satisfaction. 3) C’est donc qu’on m’en veut, parce que je suis moi, ou femme, ou homme, ou juif, ou arabe, ou de-souche, ou simplement parce que je dérange les nuls par mes trop évidentes supériorités.

     Quoi qu’il en soit, dans cette chaîne de querelles et de coups bas souvent éprouvants, je goûtais au moins le soulagement d’être cherché pour mes caractéristiques propres, non certes de par l’intérêt intrinsèque qu’elles auraient suscité, mais du fait de la perturbation qu’elles occasionnaient à l’estime de soi des agressés-agresseurs. Et il est bien évident que je n’étais pas blanc-bleu quand je lançais à une classe qui se récriait sur la rareté d’un pudibonderie ou d’un valétudinaire : « Mais tout le monde connaît ça! Si un seul de vos profs l’ignore »… déclenchant une enquête immédiate, aux conséquences aisément prévisibles. Que mes vertus ou mes vices motivassent la haine, que j’eusse ou non frappé le premier, il n’en reste pas moins que c’est en tant que personne que j’étais assailli, et non, comme actuellement, que pur et simple porte-monnaie à pressurer. L’offense gratuite s’est faite sporadique, vu que lors de mes rares sorties je fais profil bas, et n’arbore évidemment rien qu’on puisse envier. Comme la majorité des vieillards, je n’ai plus de contours pour nul au monde, que vaguement repoussants ou négligeables, je n’existe plus que sous la forme virtuelle d’un tas de fric où piocher, par séduction ou contrainte, et, comme autrefois en Inde ou en Afrique, je puis me reposer sur la triste certitude qu’on ne viendra à moi que pour m’estamper. L’humiliation, en un sens, s’en aggravant : lorsqu’un proviseur n’hésitait pas à nuire à mes élèves pour m’atteindre, au moins me faisait-il l’honneur de réagir à des traits distinctifs qui lui faisaient ombrage, alors qu’un margoulin ne s’intéresse qu’au chiffre qu’il peut m’extorquer : exactement au même pognon inodore que verserait le voisin. Le plus drôle, c’est que lorsqu’un interlocuteur se pointe, jouant les désintéressés, je me sens tout gêné à l’idée de lui faire perdre son temps, et tiens à poser d’emblée qu’il n’a pas un sol à espérer.

     L’agression toutefois s’allège de passer à la toise commune : ma taxe foncière, une des plus élevées de France et de Navarre au mètre carré, me coûte bon an mal an presque un mois de pension, et la mairie s’en sert… pour bâtir une nouvelle mairie, un énorme et sinistre parallélépipède noir [1] qui rappelle le Ministère du Recoupement de l’Information, dans Brazil, et ne sert strictement à rien aux administrés, pas plus que la dizaine de festivals qui séduisent les étrangers par la modicité du prix des tixons : quoi de plus scandaleux que cette extorsion subie par le prolo pour couvrir les dépenses du nanti? Mais comme tout l’immeuble, tout le quartier, une bonne part de la ville, casquent de même, et que cette exaction est devenue norme, elle ne me fait pas bouillir le sang comme les cas qui en dépit de leur caractère général semblent particuliers en ce que le voleur, dans l’isolement de la relation duelle, semble s’en prendre à ma faiblesse spécifique. Je commande un coffret de zizique à Amazon, lequel le confie à Adrexo, transporteur exécrable, du moins à l’heure qu’il est et dans ma région, qui égare les colis en remplissant des “suivis” bidons : après avoir été baladé deux fois, les mensonges étant palpables, je me dérobe à leur petit jeu de l’ajournement perpétuel, et exige un remboursement, puisqu’il est avéré que je n’ai rien reçu, a fortiori signé; et ces crapules d’Amazon, totalement responsables du choix d’Adrexo, ne se gênent pas pour subordonner le remboursement au retour d’un paxon probablement perdu! La “matière grave” manque, le débours ne me ruinant pas; mais j’écume de cette iniquité impudente, et en suis stérilisé pour des heures, parce qu’elle me rappelle que je ne suis rien, ne puis rien, que, pour me voler impunément, il suffit de le vouloir, et que, vu mes capacités d’autodéfense, je devrais déjà me réjouir qu’on m’ait laissé en vie si longtemps. Le fait qu’il s’agisse de deux négriers, qui n’embauchent que des laissés-pour-compte à des salaires de famine ne m’émouvant, naturellement, que fort peu. Mais des “empathiques”, dans des situations de ce genre, une balade sur le Ouaibe ne m’a pas permis d’en rencontrer beaucoup.

     Mon empathie, et même ma sympathie, je la réserve aux coureurs d’amok malais, ou à ces êtres trop rares (surtout américains, vu la facilité là-bas de se procurer des flingues) qui, las d’encaisser les gnons, sortent un beau jour et font un massacre; je leur reproche de prendre pour cibles de relatifs innocents (des gosses, notamment, comme Laurie Wassermann et bien d’autres); mais comment toucher les coupables? Je ne vais tout de même pas aller descendre, quand je saurais où les trouver, les pauvrettes Meriem, Ibtissam ou Djamila dont les courriels lénifiants et stéréotypés me traitent en parfait imbécile! Il faudrait aller à la tête, ne serait-ce que pour démesquiniser la rancune, et la tête sait se protéger. Comme je le rappelais hier via Jamerey-Duval (et l’on n’a que l’embarras du choix) l’oppression fut incommensurablement plus cynique par le passé. Et pourtant, moi qui me suis retiré sous ma tente, qui n’ai part à rien, qui ne demande rien, il me semble effacer des baffes à longueur de semaine. Il est tellement plus facile de s’attaquer aux petits, aux obscurs, aux sans-grade, quand ils sont atomisés comme nous le sommes pour la plupart! À la veuve qui pousse sa crocrotte minuscule dans des chiottes non-conformes, et à qui on va reprocher d’empoisonner les fleuves, alors qu’on foutra une paix royale aux authentiques pollueurs industriels, et même agricoles, qui ont un cabinet… juridique, celui-là, à dispose. Chacun de nous ne rapporte pas gros, mais nous sommes des millions, de laminés-nés, dont une fraction non négligeable se voit en samouraï-télé. (Cela dit, je m’étonne que les notaires, qui vont perdre un tiers de transactions immobilières à dater du 1er janvier, n’aient pas fait un peu de contrecarre. Sans doute que jusqu’à présent ils n’ont qu’à se louer de la situation.)

     Il se peut que j’aie projeté mon père ou ma mère (archaïques) sur tous les autres, et raté, à force de méfiance, des occases de relations épanouissantes, mais, tout près de la Borne, je vois peu à rabattre de mes maximes de jeunesse : non seulement le pouvoir corrompt, mais il est, en soi, le mal. Aussi bien que celui qu’on subit, celui qu’on accepte d’exercer. La seule façon d’annuler ce mal serait d’ôter l’intérêt (personnel, groupal, catégoriel) de la balance, et de ne viser qu’au bien public, mais sans contre-pouvoir, quand le juge est partie, il n’y faut pas compter. Et moi qui me flatte d’avoir refusé toute délégation de pouvoir, de n’avoir jamais fait appel au Chef ou flanqué une colle, je n’en ai pas moins donné toute ma carrière des notes qui avaient une incidence sur le devenir de mes élèves, et l’autorisation que je leur octroyais de les contester avait tout de l’échappatoire, vu que je tranchais en dernier recours. Le moyen, vu le cheptel et le contexte, de faire autrement?

 

 

[1] Du moins vu de mon clapier. De près, l'architecture en est un peu plus ambitieuse.

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