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Le blog de Narcipat

L’ennemi intérieur

23 Mars 2012 , Rédigé par Narcipat Publié dans #Théorie plus perso

         C’est un thème auquel j’ai sacrifié, dans Someone in my head, par exemple, le premier des Fonds de cercueils, sans trop le prendre au sérieux : nos oublis, nos erreurs, nos actes manqués, après tout, ne sont pas bien méchants, puisqu’ils nous laissent en vie. D’autre part, l’hypothèse du masochisme psychique et du syndrome d’échec me gêne; certes elle est plutôt flatteuse, puisqu’elle remet l’échec en ma dépendance : si je me casse le nez, ce n’est pas que je sois insuffisant, donc qu’on ait raison de me mépriser, mais qu’une instance mystérieuse, laquelle, même inconsciente, relève plus ou moins des États et Empires de l’Ego, s’oppose à la satisfaction, et, avant elle, à l’accomplissement. Seulement, si c’est au ratage, à l’inobtention, au malheur, que j’aspire en secret, on voit mal comment je pourrais encore voir l’avenir en rose, espérer guérir, et l’on finit par se demander si l’espoir de guérison ne se maintiendrait pas en place dans le seul but de pérenniser la confrontation à un soi déficient.

         Or j’ai l’impression ces jours-ci que le diablotin se déchaîne : il a commencé en douceur, par une erreur de date : m’étant fourré dans le crâne qu’il fallait résilier le contrat d’eau de ma masure creusoise, histoire de pouvoir rétorquer à Veolia que lorsqu’on ne reçoit pas de flotte propre on ne risque pas de la relâcher usée dans la nature (et tout de même d’en finir avec quinze ans de factures d’abonnement sec pour un local inhabité); ma frangine d’autre part devant se rendre dans le coin avec ses moutards, je lui ai demandé ses dates, pour m’y conformer dans la requête de rencard (pour dépose du compteur) que j’envoyais à Suez, et faire d’une pierre deux coups. Et à peine avais-je posté ma R.A.R. que je me suis avisé d’un écart de 12 jours! Pas de quoi fouetter un chat, certes, mais pourquoi? Ne suis-je même plus fichu de lire un chiffre? Freud nous a fait comprendre, et cet apport-là n’a rien perdu de sa pertinence, que ce genre de bévue (surtout lorsqu’on s’en avise dès qu’elles sont irréparables) est toujours subvolontaire et doté d’un sens. Or, à supposer que je n’aie pas envie de voir ma sœur, quoi donc m’y oblige? Je ne peux pas m’empêcher de penser que je n’avais pas d’autre intention que de m’enquiquiner moi-même, et c’est ce que confirme, depuis quelques jours, une série d’oublis et de bugnes bizarre : je passe des heures à chercher des objets posés n’importe où, et, à voir certaines zones, on dirait que je sors d’un passage à tabac : j’ai réussi à me flanquer une entorse en dégringolant d’un escabeau, et tape ce texte d’un seul index, m’étant aplati le gauche d’un coup de marteau assez inutile. Plus grave (pour moi), j’ai été à deux doigts, dans une semi-hébétude, d’effacer mon disque dur; et de me faire une omelette non pas à l’huile, mais au liquide vaisselle. Pourquoi pas, tant qu’on y est, à l’eau de Javel? Il doit bien y en avoir qui traîne quelque part.

     Ces bagatelles ont culminé hier sur un épisode que je redoute depuis belle lurette : allant vider le coffre de ma bagnole, j’ai posé mon trousseau de clefs sur la lunette arrière… et refermé le hayon, sachant quelque part ce que je faisais, à moins bien sûr que la conscience ne bave un peu vers l’arrière… mais non, ce fut instantané. Là encore, la nuisance effective fut nulle, puisqu’il m’a suffi de sonner chez la voisine, et de passer de son balcon au mien, un mètre à peine séparant les deux balustrades. [1] Recherche de contact? Ridicule : elle est maquée, de toute façon, bien trop jeune et jolie pour moi, et je ne me sens pas plus seul que d’hab. Réaction à la honte qui m’étreignit avant-hier, à la lecture du journal d’Anna Politovskaïa? Imbécile, mais fort possible : pour me disculper de la répugnante mesquinerie de mon sujet unique, je ne cracherais pas sur un peu de gravité; mais laquelle, à part m’écrabouiller soixante mètres plus bas, et de m’enlever ainsi toute chance d’en disserter? D’ailleurs, non : la crise a précédé cette lecture, et lui a sans doute donné du poids. Et quoi, chacun son truc : disons-le avec toute la grossièreté requise, entre le désespoir d’une mère qui a perdu son fils et mes petits problèmes narcissiques, il n’y a pas photo; mais la difficulté de pensée, elle, serait plutôt du côté de ces derniers, et n’importe comment, je n’ai pas le choix : comme je l’ai répété vingt fois, personne ne me demande rien, je ne peux pas aller gaver les gens – avec quelle offre, d’ailleurs? Ce que j’ai à offrir, nul n’en veut, ne le reconnaît même – et c’est bien le problème de base. 

     En l’état, en tout cas, je réussis à me faire trembler moi-même sur le thème de ce que je me réserve au prochain essai : un bon petit accident, par exemple, lors du déplacement projeté? Je m’y vois. Mais sans trop d’épouvante, n’ayant pas ombre de foi en la prémonition, du moins la mienne, et par ailleurs ne prenant guère au sérieux ces espèces de concessions symboliques au surmoi. La menace de l’ennemi intérieur est certes la pire de toutes, dans le principe, puisqu’elle pèse en permanence, même au sein de la plus entière solitude, mais jusqu’à l’heure, que je sache, aucun dédoublement réel n’a été établi. Le plus célèbre, le dénommé Billy Milligan, reste, en dépit d’une décision de justice (le seul et unique non-lieu de tous les temps, si je ne m’abuse, pour personnalité multiple) très suspect d’affabulation disculpatrice. On peut, sous l’influence de la chnouf ou de l’alcool, perpétrer des actes que le moi refuse d’avaliser, et ne se souvenir de rien le lendemain, mais, sauf en littérature, il est sans exemple qu’on s’écrive des lettres à soi-même  et tombe des nues en les recevant. On fait mille bassesses et âneries qu’on refuse de regarder en face et d’appeler par leur nom, d’accord, c’est même la règle en la matière, et la lucidité l’exception. Mais on retrouve ses marques : il m’angoisse un peu, certains matins, de mettre quelque temps à me rappeler qui je suis, mais j’ai cru remarquer qu’il en va de cet oubli comme des autres : il se dissipe dès qu’on touche à des moyens sûrs de le dissiper. Il suffit de me lever, mon nom et mon passé me reviennent, dès lors qu’il y a là mon ordi, qu’il suffirait de brancher pour les retrouver.

     Si j’ai peur d’être autre, et un autre plutôt mal disposé à mon égard, c’est au sein de l’exercice même du jugement et de la volonté. Il me semble, sciemment quelque part, mal poser le ou les problème(s), et ne leur chercher de solutions que dans un cadre délibérément défini pour n’en souffrir aucune. Et à l’instar d’à Freud sa pulsion de mort, c’est de la répétition que m’arrive le soupçon d’une volonté perverse de maintenir une situation dont je proteste qu’elle n’est pas douloureuse au jour le jour, mais qu’il reste intolérable d’imaginer définitive. Ça rime à quoi, de commencer trente romans, d’en pousser dix jusqu’à l’avant-dernier chapitre, et de les planter là parce qu’ils ne sont pas le bon? Comme si le bon n’était pas un mythe! Pour l’autobiographie, c’est pire encore, puisqu’elle est censée tout contenir, et qu’il est bien entendu impossible de trouver une formule pour mener à bien une entreprise aussi fumeuse que grandiose. Tout se passe comme si seule l’excellence pouvait compenser l’absence de débouché, or l’excellence n’est pas de ce monde, et en tout cas pas à ma portée. Mais c’est l'évolution de mes blogs, terriblement parallèle en dépit de leurs divergences, qui me trouble le plus. Il me semble qu’aussi bien dans  Diarrhy, qui avait plus ou moins “marché”, parce que plus varié, moins exigeant, plus superficiel, et surtout que j’étais allé pêcher les interlocuteurs un à un dans leurs propres sites, qu’ici même, où le soufflé ne monte un jour que pour retomber le lendemain, l’erreur de base consiste à spéculer sur l’intérêt que pourrait susciter tel ou tel article pour me faire avaliser en totalité, bref que le message : « Aimez-moi! » affleure d’autant plus clairement qu’il est de mon sujet de traquer le non-dit. Le seppuku de Diarrhy avait été précédé d’une longue plage de commentaires bidons, intégralement de mon estoc, et qui provoquaient à la longue le type de déboire et d’écœurement qu’on associe d’ordinaire à la masturbation : comment donc ai-je pu retomber dans ce travers? Il n’y aurait que demi-mal si je parvenais soit à me distancier authentiquement de moi – mais c’est loupé –, soit à me contenter du support de ce faux Autre, et faisais de la sorte quelques pas vers l’autarcie psychotique – mais il est patent que j’aurai beau multiplier ces Averell, Houlaksécho, Madelon, en une clique de démons hurlants, capter le regard porté sur eux et moi par le vrai Autre demeurera l’objectif essentiel de ma quête, et « Puisque vous êtes défaillants, il faut bien vous remplacer » le fond du message. Que je le comprenne ou non, que je l’admette ou non, les faits sont là : le type de relation duelle que j’essaie d’instaurer ne m’est pas accessible. Alors, pourquoi toujours recommencer? Ne serait-il pas à tout prendre plus sain, la solitude s’avérant incassable, de m’y résigner, et de porter tous mes efforts sur la consolidation du self grandiose? Est-ce que l’ennemi de l’intérieur se déchaîne, ou suis-je tout bonnement confronté à un problème insoluble?

 

 

[1] Si terne que paraisse cet épisode, il n'en était pas moins inventé : six ans plus tard, je ne comprends même plus pourquoi.

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