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Le blog de Narcipat

L’immortalité pour demain?

26 Mars 2012 , Rédigé par Narcipat Publié dans #Détours

     Accéderons-nous à l’immortalité sur terre? Oui, selon Ray Kurzweil et quelques autres, dont je me garderai de reproduire les arguments : n’ayant ombre de lumière dans le domaine des nanotechnologies, de la génétique (décodage du vieillissement), des silicones, etc, je ne saurais que recopier des passages de Sommes-nous immortels?, un bouquin que je découvre, avec six ans de retard, et dont je suis hors d’état de contester les conclusions. La thèse générale, bien évidemment, n’a rien de neuf, la science-fiction a pris les devants depuis longtemps, et il y a plus de trente ans, voire cinquante  – Hennig en parlait déjà dans son Morgue de 79 – que diverses entreprises conservent plus ou moins bien dans l’azote liquide les corps – ou les seules têtes – de dizaines de gogos, centaines peut-être, et peut-être pas-si-gogos-que-ça, qui ont misé sur la résurrection-sans-Dieu. Après tout, dès lors qu’on claque, pourquoi ne pas se raccrocher à n’importe quel espoir, et, si on en a les moyens, ne pas préférer (car ça coûte bonbon) la faible éventualité d’un coucou-me-revoici au bien-être de ses héritiers? Si l’on n’en est pas encore à “Debout les morts!”, il semblerait qu’il ne soit pas inenvisageable, et dans un délai assez court, d’en finir avec le décès par vieillesse ou maladie, et au surplus de choisir tranquillement l’âge auquel on souhaiterait revenir et se maintenir, sans compter quelques améliorations esthétiques. En bref, que 150 ans d’espérance de vie deviennent la norme vers 2030, avec des progrès assez rapides par la suite, de sorte que l’immortalité serait pour demain! J’avoue que l’hypothèse de faire partie de la dernière génération qui trépassera ne laisse pas de me troubler.

     Car il va de soi que dans un premier temps, attendu le type d’organisation sociale qui prévaut sur la terre entière, l’immortalité, comme l’est actuellement la longévité (qui va du simple au double selon le pays qu’on habite), sera réservée aux riches – ce qui ne serait pas nécessairement une mauvaise affaire au départ pour les pauvres, toute technique cafouillant un peu à ses débuts, mais qui pourrait se pérenniser, dans la mesure où le procédé resterait cher, et où la durée de vie permettrait l’édification de fortunes colossales, introduisant entre la masse et les privilégiés la différence la plus monstrueuse qu’on puisse imaginer : selon que vous serez puissant ou misérable, tout bonnement, vous irez engraisser les patates ou resterez là à jamais, à la seule condition de faire attention en prenant le volant et de ne pas trop agacer votre entourage. D’autre part, si les cerveaux peuvent être indéfiniment régénérés, l’accumulation de connaissances sera en principe sans limite (et sans effort, s’il suffit de se les faire greffer), reste seulement à savoir si leur utilisation correcte sera fournie en kit. Mais halte, tenons-nous-en provisoirement à la mort de la mort.

     Un bouleversement aussi radical des données donne le vertige : comment mesurer l’ampleur de ses implications? À vue de nez, on se dit qu’il faudra choisir entre sa propre durée et la procréation, les capacités d’accueil de la planète Terre ne laissant pas déjà, dans les conditions actuelles, de donner des inquiétudes. Comme écrit Vicinczey dans Le millionnaire innocent, « le fait de nourrir, de loger, de transporter vingt milliards de personnes produirait davantage de pollution que la terre ne peut en supporter. Le problème, c’est les gens. » En d’autres termes, l’éradication de la mort aurait quelque chance de déboucher à brève échéance sur des hécatombes, une légalisation de l’assassinat, ou un renoncement universel à faire des gosses; le temps ne comptant plus, il deviendrait certes envisageable, au terme de siècles d’exploration, de coloniser des planètes habitables, à supposer qu’il s’en trouve, mais le procédé ne jouerait jamais les grands nombres, à moins qu’on ne découvre des sources d’énergie indéfiniment renouvelable.

     Bien entendu, je me préoccupe fort peu de l’incidence d’une telle révolution sur le devenir des religions. Les croyants auraient lieu de se sentir perturbés que le rendez-vous avec Allah soit remis aux Calendes, mais rien ne lie formellement l’inéluctabilité de la mort à l’existence de Dieu, même s’il est clair que sans la première la seconde n’aurait pas suscité moult adhésions. Quoi qu’il en soit, pas grand’chose de changé dans un pays comme le nôtre, où la foi est moribonde, et la morale altruiste de pure façade. D’ailleurs, on peut se demander si le Christianisme ou l’Islam ont beaucoup dissuadé les gens de voler, de tuer, de ne penser qu’à eux, et si le bilan éthique n’est pas plutôt négatif, être du parti du Bien dispensant d’en faire, surtout à ceux qui n’en sont pas. Tanta potuit religio suadere malorum! La valeur de la vie pourrait bien se trouver changée par la durée illimitée qui lui serait offerte, mais est-ce qu’un kamikaze en hésitera davantage? Peut-être… Mais il y a peu de chances que supprimer la vie des autres le dérange plus qu’avant. Le pari de Pascal aura du plomb dans l’aile, mais au fond, pour l’athée, la vie terrestre, c’était déjà tout, et que ce tout soit appelé à durer cinquante, cent ou dix mille ans ne change pas vraiment les données du to be or not to be. Quand il vous reste dix années diminuées à vivre, on se dit qu’on ne perdra pas lourd à se suicider, mais de là à passer à l’acte, il y a de la marge, j’en sais quelque chose; si l’enjeu est centuplé, si l’on peut rejouer tous ses coups, réviser ses erreurs, recommencer à zéro septante-sept fois sept fois… il se peut qu’on devienne d’une étrange frilosité, qu’on répugne à toute prise de risque… mais aussi qu’on cesse de progresser, vu qu’on aura toujours le temps plus tard. Dans After many a summer, Huxley imaginait, si mes souvenirs sont bons, une cure de Jouvence débouchant sur une régression au pithécanthrope, mais Huxley ne faisait, comme Orwell et tous les autres, qu’extrapoler à partir du présent, et de l’état de la science de son temps, il ne faut pas lui demander plus de prescience qu’à Nostradamus.

     Et ce n’est certes pas moi qui leur donnerai des leçons. En fait, je n’arrive tout simplement pas à penser un pareil changement, et le diable me patafiole si je ne me réjouirais pas plutôt d’échapper à cette imminente éternité d’ennui. À ceux qui se plaignaient de la brièveté de la vie, Sénèque répliquait qu’ils en usaient mal, et je ne puis que lui donner raison, moi qui, dans une perspective constamment ascensionnelle, ai pourtant l’impression de stagner depuis un demi-siècle, et qui pense le plus souvent que cette plaisanterie n’a que trop duré. L’aventure de la connaissance, certes, est quasi-illimitée, et des moyens supplémentaires de l’acquérir nous seront fournis de surcroît : est-ce que ça va nous booster l’épistémophilie? Un jour que je dépeignais le paradis comme le lieu d’un intolérable ressassement, un Témoin de Jéhovah me répliqua : « Vous mangez tous les jours, et ne vous en lassez pas. » Vrai; mais l’idée de cesser un jour n’est-elle pas continuellement présente? Même l’hédoniste le plus convaincu ne peut nous présenter la bouffe et la baise comme le but de l'existence, surtout si elles sont assurées. Si la vie ne s’arrête pas, je ne parviens plus à lui trouver un sens. Et comment écrire cela, pourtant, sans s’aviser que jusqu’à l’heure, si elle n’a pas de sens, c’est bien parce qu’elle doit s’arrêter?

     Ça ne me casserait pas trop la tête, dans un 2034 moins fagoteux que le premier, de brosser le tableau d’un monde où l’on laisserait périr un chercheur plein de promesses, et maintiendrait en vie les présentateurs jetables de la télé : tout porte à croire, en effet, qu’il en ira, dans un premier temps, de ce progrès hallucinant comme des autres, l’homme restant à la traîne. Ce sont toujours les mêmes débiles, voire de pires, puisqu’ils n’approfondissent plus rien, que l’avion transporte d’un bout à l’autre du globe, ou auxquels Internet permet de tonitruer leur opinion sur des trucs dont ils ne comprennent pas le premier mot. Mais tout de même cette découverte-là est susceptible, pour une fois, de changer l’homme, et sur 2134, je sèche absolument. Selon ces moralistes pour lesquels le mal procède nécessairement de l’erreur, un accroissement illimité du savoir devrait se traduire par une équivalente amélioration éthique, mais je n’en crois rien, ni vous non plus. Quand tous auront accédé à l’immortalité potentielle, quand il faudra s’habituer pour toujours aux mêmes têtes d’affiches… qu’un Staline ne crèvera plus, et qu’il lui suffira de la menace de faire crever les autres pour être plus absolu que jamais… mais non, je cale. La seule chose qui me paraisse évidente, c’est que les livres, qui matériellement sont déjà en voie de disparition, perdront tout autre sens que de témoignage sur une préhistoire révolue. Une littérature sans la mort, je ne peux même pas l’imaginer. Nous avons eu notre content de vieux machins dépassés par les techniques, infoutus de s’adapter à la bagnole, au téléphone, à l’ordinateur… Je crains fort d’être un vieux machin intellectuellement incapable de s’adapter à l’immortalité. Du coup, me voilà tout heureux d'y échapper. Ce Qu'il Fallait Obtenir?

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