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Le blog de Narcipat

Adieu au[x] blog[s]

28 Mars 2012 , Rédigé par Narcipat Publié dans #Ego scriptor

     Oh, pas une grande date dans l’histoire de l’humanité, je suis indéniablement fêlé, kekchose pèche dans ma vision du réel, mais ignorer mon inexistence n’est pas mon style de péché : ça exigerait du reste une cécité complète, puisqu’il suffit que je passe moi-même dix minutes à chercher un article pour multiplier la “fréquentation” de Narcipat par deux ou trois. Il demeure surprenant que Gogol ne me loge pas dans le trente-sixième dessous, et qu’on puisse déboucher ici par son canal, mais c’est sans doute que l’assiduité et l’abondance sont des critères de sélection, à moins bien sûr que la presque totalité des blogs ne reçoive pas une seule visite, et que cette prétendue communication ne soit, du seul fait du nombre, qu’un immense miroir aux alouettes. Quoi qu'il en soit, elle n’a pas rempli son objet dans le cas présent, puisqu’en plus de trente mois, elle n’a suscité que trois interlocuteurs, dont un caritatif fourvoyé et une jeune dame dont l’autonomie persiste à m’inspirer des doutes. Rien n’est joué, je veux, mais je n’ai pas l’éternité devant moi, et apparemment, plus le texte s’allongera, plus il dissuadera d’y réagir. Fermons donc. Je ne me cache pas que je patauge ici dans le retrait narcissique, et le paralogisme qui lui est inhérent : « Puisque vous ne voulez pas de moi, eh bien, je vous en prive! » Cf. De Gaulle, Jospin, bientôt Sarkozy – à qui il restait ou restera, nuance! du monde à punir… mais pas le bon. N’ouvrons pas un concours de folie, je ne suis pas assez sûr de le gagner, et rabattons-nous sur les arguments sensés : ce bleurgh me prend trop de temps, et en échange je ne reçois rien, que le déboire quotidien de ces chiffres de fréquentation, avec pages lues et visiteurs individuels presque à égalité, qui m’assombrissent l’âme, puisqu’ils signifient qu’à peine entrevoit-on à quoi et à qui on a affaire, on se tire les pattes aussi sec.  Qu’il y ait parmi vous une écrasante majorité d’idiots dont le bagage lexical n’excède pas mille mots, qui prennent en grippe la moindre difficulté de pensée, et ne placent pas leur grain de sel de peur de se faire claquer le museau, ça ne fait guère de doute. Mais tous, ce serait encore plus désespérant que d’être méprisé. Entre la solitude choisie et la solitude infligée, il est temps de revenir à la première, tout en mesurant l’extrême minceur de ma marge de manœuvre. Pour le moment, elle ne trouve à s’épaissir que dans une surenchère rageuse : « Plus jamais aucun blog! » Mais comme ce n’est pas la première fois, je ne puis exclure, dans un an ou deux, le temps que la plaie cicatrise, quelque revue de livres, d’affaires criminelles, ou un autre regard sur l’actualité (Sarko assassin d'enfants? Plus fort que Giscard, avec sa bombinette de 81) : seulement, trouverai-je là ce que mon cœur désire? Plus je donnerai accueil au savoir des autres, moins j’obtiendrai d’aval de ma différence, et je n’imagine pas d’être comblé par quelque afflux de clients sur le moins personnel, une traduction, par exemple, ou des textes et photos glanés ailleurs.

     Il y a une facette ultime appel dans le retrait narcissique; mais aussi un désir de disparition totale, contrebalancé par une assez cocasse peur du plagiat, qui m’incite à garder des preuves d’antériorité, de sorte qu’une fois de plus je vais opter pour la politique de l’autruche, laisser ces mille pages en place, mais n’y plus jeter l’œil, et sans doute, comme à l’accoutumée, en oublier sous peu l’adresse et le mot de passe. Triompherai-je un jour de ce revers du self grandiose, de la terreur d’être pour tous un objet de rebut et de risée? Dans les romans de lycée des adolescentes anglaises dont je fais une consommation immodérée dans l’espoir de capter le regard de la fleur, de cerner l’altérité féminine, il y a un personnage qui me transperce, c’est celui du premier de la classe, lunettard savant, spirituel, gentil, serviable, pas nécessairement laid, boutonneux ou court sur pattes, mais tenu pour impossible par la gent pétassière au complet, au point que ses avances font l’effet d’insultes, alors que les minettes se disputent certaines brutes au front bas et aux égards introuvables. Pourquoi ce gars-là est-il éliminé de la course? Les raisons n’en sont pas données, ça va de soi, et il me semble me trouver dans une situation équivalente depuis les environs de ma naissance, ne pas même mériter, en somme, qu’on me précise pourquoi je suis un déchet irrécupérable, avec qui même bavarder ne présente aucun intérêt. À moi loisible, certes, de me dire que « c’est tout dans ma tête », et que l’obstacle réel, c’est d’être handicapé des premiers pas. Mais quand on s’époumone trente mois à appeler au dialogue et qu’on en est réduit à converser avec soi-même, c’est bien que le mal n’est pas si imaginaire. Acculé à chercher seul ses contours, j’ai tendance à le rattacher aux épisodes de mon enfance qui me brûlent encore, à tant de gesticulations pour la plupart verbales destinées à attirer l’attention, à donner l’impression d’une maîtrise sur la base de l’ignorance et du vide – comme ce discours, à la piscine, où, vers treize ou quatorze ans, j’exposais doctement à une assistance plus dessalée, et probablement goguenarde, que le désir sexuel, c’était tout de la frime. Je ne mentais pas, mais j’étais ridicule, de projeter le silence de mes sens sur l’humanité entière, et il me semble qu’avec un peu plus de moyens et de sophistication, c’est ce que je continue de faire à soixante berges. L’imposture formelle, l’imitation scolaire des autres (avec, toujours, ce supplément qui faussait tout), j’y ai à peu près renoncé, mais il me semble persister à feindre d’être vivant, et que, par une divination mystérieuse, tous les vrais vivants s’en avisent plus ou moins vite.

     Je ne sors pas de là : jouir, vivre à part entière, est pour moi irrémédiablement subordonné à cet aval qui m’est refusé, et dont tout le reste n’est qu’ersatz. Je peux à la rigueur me l’accorder à moi-même, par le truchement matériel d’une page, d’un texte, d’un bouquin, ou de quelque effort d’efficience extra-littéraire, mais c’est une simple anticipation du jugement d’autrui, de son amour, de son estime ou de sa reconnaissance, que je soupçonne de ne répondre jamais à la demande, si dissimulée et élaborée qu’elle soit : ma littérature, toute charnelle et charnue qu’elle se veuille, est aussi évidée que ma vie. Et comme le talent, l’empathie, l’amour, la foi ne sont pour moi que de vains mots, je ne sais que répéter leur néant comme un sourd parlerait de musique : quand on entend les sons et en jouit, qu’irait-on lui répliquer? On le laisse baver, grand bien lui fasse.

     Je geins qu’on me refuse le droit de vivre; mais c’est stupide, car de par la surenchère grandiose, ce prétendu droit de vivre est un besoin de primer. L’omnipotence infantile s’est modelée aux baffes du réel au point d’en devenir parfois méconnaissable, mais elle n’a pas abdiqué : il est clair que la lucidité a pris la place de la volonté, et que si l’angoisse m’accompagne, ce n’est pas aux lésions que j’attache grande importance, mais à la défaite, que j’essaie bien vainement d’annuler d’avance en la prévoyant, et ipso facto provoque bien souvent, puisqu’il m’est presque intolérable de passer pour dupe aux yeux de l’éditeur qui ne lira pas mon livre, de la fille qui va me préférer un quelconque, ou du margoulin qui s’apprête à me gruger. À l’égal de la jouissance, les pertes en soi ne sont rien, elles n’ont que la valeur que les autres leur confèrent, de sorte qu’il n’y a pas de privation qui tienne, si je puis affecter de n’en point souffrir, ou de les avoir quasiment voulues. Je pourrais donc me battre pour une cause, mais en aucun cas pour moi, car ce serait Urbi et orbi douer de valeur la défaite. Si le constat ou le pronostic du pire m’apaisent un temps, c’est qu’en quelque manière ils effacent l’incertitude, la dépendance et la dévalorisation, dont je me fiche au fond, si aucune conscience ne la reflète. Mais disparaître dans un trou de souris n’est pas la solution, vu que je n’existe pas par et pour moi-même. Bien des chances que j’en ressorte un jour pour me remettre sur nouveaux frais en quête d’un miroir parlant par lequel advenir à l’être. La seule “solution”, ce serait la mort, mais il faudrait qu’elle survînt par surprise, l’extinction de ma conscience m’emplissant d’une terreur – disons “viscérale”, et n’en parlons plus.

     D’ailleurs, ne tais-je pas en ce moment même, en affectant de me retirer sous ma tente pour vous “punir” de votre silence dédaigneux et/ou pusillanime, ma motivation majeure, à savoir que je n’ai plus rien à dégoiser sur le narcissisme pathologique? Bien sûr, je pourrais jouer les prolongations en déversant mes fonds de tiroirs, ou en trouvant des ouvrages à commenter, voire à recopier. Mais les trois quarts du contenu “utile” datent de 2009, il y a des lunes que je n’avance plus, et quant à mes dysfonctionnements, ils n’ont fait, dirait-on, que croître et embellir, ce qui ne plaide pas en faveur de mes analyses. En tentant de décrire mon cas avec le maximum d’objectivité, je lançais un appel aux “Moi, je” : ils ne sont pas venus, et je demeure incapable de déterminer ce que ledit cas a de spécifique ou de singulier : pour ce que j’en sais, je pourrais bien avoir élucubré sur la condition humaine, et n’avoir rien percé à jour de ce qui me distingue objectivement, à commencer par la solitude.

     Qu’allons-nous faire? Renouer, probablement, hors-micro, avec l’entreprise autobiographique “exhaustive”, qui a déjà foiré vingt fois. Histoire d’un cadavre. Il serait sans doute plus malin d’y renoncer une bonne fois pour toutes. « Plus on creuse, plus on tombe », m’écrivait Zigatine, qui après tout n’est peut-être pas Kapok, et quelques années plus tôt, Hélène, lors de notre ultime échange téléphonique : « On peut passer la vie à essayer de se connaître, c’est une tâche sans fin, et tout ce qu’on y aura gagné, c’est de n’avoir pas vécu. » C’était parler d’or, du moins si je me réfère à mes résultats. Mais il est bien tard pour vivre, ça ne se décrète pas comme ça, et après tout, l’effort de me connaître, avec issue éventuelle sur les autres, c’est ma spécialité, c’est ma vie! Pas très marrante, mais toutes les alternatives me paraissent encore plus maussades.

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O
<br /> Interesting discovery... I guess that's enough reading to get me going for a while!<br />
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