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Le blog de Narcipat

Une nouvelle arnaque à l’édition

8 Novembre 2013 , Rédigé par Narcipat Publié dans #Détours

     Visite rituelle, une nuit sur deux, de la boîtelle qui sert d’annexe à narcipat, et d’un an n’a pas reçu dix messages, tous absurdes. Le dernier vaguement pertinent, en novembre dernier, émanait d’une petite Irlandaise qui, dès son second courriel, me demandait d’en écrire moins long, offense sans précédent : ce blog est une impasse. Et puis voilà qu’hier matin… Façon de parler, car je me lève ces temps-ci à 10h du soir – ce qui ne signifie pas que je sois pressé de vivre! – pluie sur le Roub-al-Khali! non pas un courriel, mais deux… strictement identiques :

 « Offre de publication pour votre blog

Cher Monsieur,

     Je travaille pour une nouvelle maison d'édition, BloggingBooks, qui s'est spécialisée dans la publication de blog sous forme de livre broché.

      Nous procédons à une recherche intensive de blogs intéressants que ce soit au niveau du contenu qu'au [sic] niveau de la mise en page. C'est à cet effet [sic] que nous vous faisons une offre de publication pour votre blog..

     Si cette offre vous intéresse ou si vous avez des questions, je vous serais reconnaissante de bien vouloir revenir vers moi par courriel.

     Pour plus de renseignements, vous pouvez également visiter notre site web: www.bloggingbooks.de

J'espère vous lire très bientôt.

Bien cordialement,

Adele Lambert

Lectorat »

     Ici, confessons quelques minutes d’euphorie désemparée : quand on s’enfonce jour après jour dans un puits, et qu’on consacre une fraction considérable de son énergie mentale à essayer de se convaincre que ça n’a pas d’importance, qu’il est trop tard, que mieux valent les oubliettes que les huées, voire qu’on a le droit de n’avoir aucun talent pourvu qu’on n’emmerde personne, etc, il se comprend que, tout en serrant sur son cœur un nom de femme qui vous aurait repéré et repêché dans le lac de poix, on soit un peu perturbé par la perspective de sortir mille couenneries d’une obscurité complice pour les exposer au jour cru. D’un autre côté, pourquoi écrirait-on, si ce n’est pour être lu? Éliminer automatiquement comme invraisemblable le miracle d’être choisi, c’est ôter tout sens à ma seule activité.

     Mais quoi? Si mon blog devait plaire, donc rapporter du pèze à un éditeur, il ne stagnerait pas à 40 ou 50 lecteurs depuis quatre ans. Un éditeur qui cherche des manuscrits, c’est, sans exception aucune, un type qui appète non au fric des lecteurs, mais à celui des auteurs, ou se croyant tels. Chacun d’eux ne voyant, naturellement, que son cas et son génie, et ayant le plus grand mal à imaginer la multitude de confrères en pigeonnat qui font tourner la boutique.

     Un quart d’heure  plus tard, la vérification est faite : certes, il est mentionné que la publication est gratuite; mais presque 20 € le volume de 68 pages, ça fleure très fort l’impression à la demande, que pratiquent un certain nombre de maisons, et jusqu’à la BNF, dans un effort pathétique de sauvetage du livre-papier : il est assez clair que la demande attendue, c’est celle des volumes que les “écrivains” vont distribuer à leurs proches : gain faible par tête de pipe, mais qui peut devenir considérable de par la multiplication des dupes, dont blogland constitue une citerne inépuisable. Le catalogue français  de bloggingbooks est du reste éloquent : que ces malheureux aient été sélectionnés, c’est impensable : on a envoyé une circulaire, les plus naïfs sont tombés dans la trappe, et ne récolteront, pour leur monnaie, que de quoi caler les buffets boiteux des amis et connaissances.

     Pour plus de sûreté, attendons les stats, qui tombent tôt ces jours-ci : peu après 4 heures du mat’, confirmation : le 6, 56 pages lues pour 50 visiteurs! Le pain quotidien des embarqués sur Gogol, et qui, dès terre touchée, se sont empressés de prendre le large. Pas un qui ait poursuivi ses explorations : ces arnaqueurs niais n’ont pas même fait l’effort minimal pour se rendre crédibles. Enlevez, c’est pesé!

« Chère Madame, Mademoiselle… ou Monsieur

     Je vous remercie de l’intérêt que vous manifestez pour ma prose (la mise en page étant, elle, rudimentaire). Naturellement, je ne manque pas, aux jours d’euphorie, de trouver mon blog verveux et lumineux, du moins par endroits; et j’adore les miracles, comme tout le monde, espérant ne pas être trop racorni pour y croire. Certains sont toutefois un peu difficiles à avaler, après des décennies de paquets postaux à des éditeurs qui ne lisent rien, n’ayant nul besoin de sang neuf – s’imaginent-ils. Vous me pardonnerez donc d’être porté à diagnostiquer, plutôt qu’une édition réelle dont la rentabilité serait problématique, une nouvelle méthode de traque du compte d’auteur. Votre site mentionne, il est vrai, la gratuité. Mais les prix à la page, assez élevés, donnent à penser qu’une impression à la demande pourrait s’avérer rémunératrice, même si la seule demande était celle du soi-voulant-auteur, à l’intention de son entourage! Par ailleurs, la part française de votre catalogue ne donne pas une très haute idée de la sélection opérée. Je préfère donc vous éviter une perte de temps : il n’y a pas un liard à espérer de moi, je n’ai pas d’entourage, et quand j’en aurais un, je ne songerais qu’à lui cacher des pages où je n’épargne personne, et me présente moi-même, à la faveur de l’anonymat, sous un jour peu reluisant. Bien sûr, vous n’en savez rien, ayant probablement expédié la même missive standard à des centaines, voire des milliers de personnes. Je l’ai pour ma part reçue deux fois hier.

     Merci tout de même d’avoir cassé ma solitude nocturne d’un prénom féminin, et bonne chasse aux gogos! C’est un pain bien dur que vous mangez là, mais sans doute n’avez-vous pas le choix. Permettez-moi de vous suggérer, pour plus de crédibilité et d’efficacité, de prendre la peine de cliquer une vingtaine d’articles des blogs visés : ça vous prendra deux minutes, qui, elles, pourraient s’avérer rentables. Je ne suis sûrement pas le seul à vérifier que votre proposition n’a été précédée d’aucune affluence significative.

Avec tristesse, mais sans rancune,

Narcipat »

     Affaire classée, donc, à cinq heures du matin. Une tristesse parente de celle que m’avait procurée Kapok naguère, en se déguisant en adolescente séduisante : le seul intérêt pour mes écrits qui se soit manifesté en un an ne traduit que l’avidité pour le contenu de ma bourse. Ils ne valent donc rien, déduction plus affective que logique, mais irrésistible. Pas trop mécontent, néanmoins, de leur avoir mis le nez dans leur pipi. Aucune velléité de dénoncer ces prédateurs qui mangent les bêtes malades : tout ce blog atteste que je ne me sens pas du troupeau.

Qu’est-ce que je leur reproche, du reste? De donner à quelques malheureux l’éphémère illusion d’exister? Ils ne sont pas formellement trompés, puisqu’on va leur mettre en mains quelques volumes de leur estoc; mais “publier”, terme magique, connote une ouverture sur un public, qui à l’évidence fera totalement défaut. Bah! Je ne vais pas lancer une campagne à la don Quichotte contre les parasites qui grouillent nécessairement sur un phénomène social de cette envergure. 

Comment expliquer alors la presque rage qui m’étreint, aujourd'hui à deux heures, en découvrant cette “réponse” :

« Chère Monsieur, [sic]

     Merci d'avoir pris la peine de répondre à notre courriel.

  Malgré votre non-intérêt, j'ose espérer que vous prendrez en considération les informations supplémentaires sur nos offres si jamais l'occasion se présente. [Pas la moindre info neuve.]

     J'espère que vous pourrez tout de même faire mention des offres de Bloggingbooks dans votre entourage. Un coup de pouce est toujours le bienvenu!

Bien cordialement,

Adele Lambert

Lectorat »

     Je crois que ma bouffée de haine a pour cause, comme à l’ordinaire, un sentiment de rejet. Quoi de plus agaçant qu’une invitation à potasser des informations qui n’ont rien de complémentaires, mais qui sont simplement celles dont mon message se faisait l’écho (gratuité, prix, catalogue), si ce n’est la suggestion de diffuser l’offre truandesque “dans mon entourage”, alors que j’ai précisé que d’entourage, je n’avais pas? Mais calme-toi, pépère! Ne mets pas au compte de l’impudence, du dédain et de l’ironie ce qui relève de l’incompréhension : je suppose que la pauvre Adèle, si Adèle y a, n’a pas compris un mot à ma bafouille, si ce n’est, en très gros, qu’elle était de refus (comme, je présume, 99% des autres), et qu’il y avait un courrier standard à envoyer pour cela. Tu ne vas pas te donner le ridicule de t’irriter contre un robot! Tu n’as qu’à passer tes nerfs dans le ‘coup de pouce” qu’il t’invite à lui donner, sans se rendre compte, apparemment, que cet appel à la famille et aux amis fait un étrange ménage avec la prétendue sélection

     L’irrésistible, je crois, c’est de me défouler un peu sur la fantastique bêtise des margoulins, ces prétendus marionnettistes émérites de nos désirs et de nos valeurs, dont la psychologie pourtant semble parfois confiner à la débilité mentale. L’autre jour, mon imprimante m’ayant lâché, je fais pour acquit mon petit tour de l’e-commerce, PriceMinister compris… Cinq minutes plus tard, poulet dans ma boîtelle : « Vous avez regardé la HP Jsais plus combien » (ils m’ont fait le même coup avec des BD de cul), et bien sûr, un énorme poussoir ACHETER. « VOUS N’AVEZ RÉCOLTÉ AUCUN SUPER-POINT CE MOIS-CI ». Ne parlons même pas de leur grotesque sélection d’“Articles susceptibles de m’intéresser”, ou des invitations à la revente (postérieures à l’achat d’à peine quelques jours) dont un clic nous débarrasse. Ce qui est plus taonnant, c’est que vous ne pouvez plus consulter un dictionnaire en ligne, une banque de données quelconque, sans voir défiler en encart, à un rythme déstabilisant (car c’est tout ce qui bouge sur l’écran) un échantillonnage complet des objets vers lesquels vous a tourné un caprice fugitif au cours de l’année écoulée… Et tout de même la question se pose, car je ne me crois nullement original, comme consommateur : comment ne réalisent-ils pas qu’un tel harcèlement ne peut être que dissuasif? Où ont-ils donc mené ces études de marketing qu’ils sont censés avoir sous le coude? En extrême-orient? Je n’arrive pas à imaginer Chinois et Japonais si faciles à intimider. Si de telles tactiques marchent, ce ne peut être, au mieux, que dans une maison de retraite, et ne nous appesantissons pas sur l’aspect éthique du problème.

     Mais côté exaspération, rien n’égale celle qui vous biche, en cas de pépin, devant ces correspondances en langue de bois, et l’impossibilité de trouver un interlocuteur doté d’un cerveau. J’ai dû rompre successivement avec Amazon et Abeille Musique, lesquels, trouvant la Poste peu fiable et surtout trop chère, s’étaient adressés chacun à un de ces transporteurs-bidons qui semblent confier la distribution des colis à des clochards. Après le flop d’un envoi pour “problèmes d’adresse” imaginaires, et qui pis est signalés sur demande et au bout de huit jours, j’aurais désiré conserver ma clientèle à Abeille Musique, dont le catalogue est attractif et les prix modérés : il m’a été impossible de trouver quelqu’un à qui expliquer que les livraisons par Route-Cra-Cra n’arrivaient pas à bon port, et qu’en conséquence je ne pouvais risquer aucune commande. J’en effectuais jusque là une dizaine par an, il ne peut leur faire aucun bien de s’essuyer les pieds sur un client fidèle… et je mettrais ma main au feu qu’AM a perdu un bon quart d’iceux du fait du simple choix d’un transporteur saugrenu. Strictement aucune présence humaine n’est prévue, aucun Service Avant Vente, tous mes mails m’ont été retournés. Et quand on vous “répond”, chez Amazon, après vente exclusivement, c’est par un enchaînement de formules toutes faites qui donnent à douter qu’au bout du mail on comprenne un mot de français. Réduire les coûts, moi je veux bien, les analphabètes sont moins chers et plus corvéables; d’autre part, préformater toutes les formules permet sans doute d’éviter les procès. Mais impossible de se convaincre qu’une telle tactique puisse être globalement rentable! J’ai l’impression que le bilan à court terme leur bouche la vue, à tous ces prétendus Machiavels du marketing.

 

PS : la robotisation est encore plus caricaturale que je ne l'imaginais, puisque je reçois, le 10 décembre, exactement le même pourriel “lambertien”, fautes de français incluses. Même pas de fichiers! Mais c'est moi qui suis ridicule, avec ma cautèle de grand-papa : supposons un pigeon sur 10000 sollicités, ça donne 1000 clients pour 10 millions de “messages” qui surchargent les lignes, mais ne coûtent rien à l'envoyeur. Les margoulins vont finir par nous casser ce bel outil.

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