Overblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
Le blog de Narcipat

Âmes-sœurs dans la forêt d’Internet

22 Juin 2010 , Rédigé par Narcipat Publié dans #Anecdotiquotidien

     Une pause s’impose : Narcipat s’enlise, le roman, s’entend, car pour le blog, ça fait de longs mois qu’il a de la boue par dessus les narines. Mais le roman itou, et plus encore, puisque ce que j’en “publie”, c’est l’état où il s’était arrêté en janvier. J’espérais sans doute lui redonner un peu d’élan en le livrant aux bêtes, mais ce coup-là est manqué : j’entrevois à peu près comment me dépatouiller de la suite, on sent venir qu’au bout de quelques patients supplémentaires mon docteur Laténèbre va commencer à se poser la question : « Est-ce que ça existe, un narcipat? Le mal n’est-il pas universel, du moins de notre temps et en Occident? » pour basculer illico dans le parti contraire : « Le malade, n’est-ce pas moi, et moi seul? Tous les cas dont je disserte ne relèvent-ils pas de la projection? » Après quoi, il resterait à révéler que Laténèbre est un imposteur sans diplômes (et dans quel but, grand Dieu? sinon celui de disculper l’auteur de ses ignorances? Passionnant pour le lecteur, pas vrai?) ou à passer la plume à un de ses cobayes, qui reprendrait le tout à son compte, avec un degré de relativisation supplémentaire : premier sas de déréalisation, après quoi il faudrait en escompter d’autres, si je n’avais déjà usé et abusé du stratagème dans quelques œuvrettes antérieures. Quelle unité là-dedans, au bout de l’aventure? Les personnages sont irrémédiablement séparés, tisser des liens entre eux léserait la vraisemblance, leur seul est analogique : c’est le syndrome lui-même, et malheureusement il résiste à l’élucidation, au point que je doute fort de sa simple existence ailleurs que dans ma tête, donc dans ladite tête elle-même.

     À qui raconté-je tout cela? Jusqu’à la fin mai, à personne, ou quasi : ce blog n’a pas de lecteurs. En neuf mois, soit 298 jours, il a reçu 1889 “visiteurs individuels”, et 4069 pages ont été lues; si l’on me défalque, mettons 1500 visiteurs et 3500 pages, une moyenne de 5 par jour, qui “lisent” 2,3 articles par personne. En réalité, ça signifie au bas mot 12 ou 1300 qui sont tombés là par hasard, dans le cadre d’une recherche-Glouglou sur “Kernberg”, “narcissisme pathologique”, « pervers narcissique”, etc (ou des trucs aussi paraplaques qu’“on ne change pas une équipe qui gagne” ou “je me le sers moi-même avec assez de verve”! vraiment pas à me plaindre du référencement!), et qui prennent la fuite au bout de quelques lignes, rebutés par le style ou le ton ou l’absence d’estampille officielle, en tout cas suprêmement inintéressés; de loin en loin, un “gros chiffre”, (tout est relatif) 50 ou 70 : signifie-t-il qu’on s’est reconnu, ou qu’on m’a reconnu? Impossible de trancher, vu que les rarissimes comm’ sont d’une affligeante insignifiance : les seuls à peu près torchés et pertinents, je les ai rédigés moi-même, avec l’étrange, éphémère et bien évidemment malsaine volupté de remplacer l’accueil inexistant – mais aussi d’en inciter d’autres, des vrais, à sortir de la tranchée, et ça, c’est loupé. Est-ce que ma “culture” (tout est relatif) intimide, qu’on a les boules de passer pour un con et de se l’entendre dire coram populo? Bon nombre au contraire tordent le nez, je présume, devant des élucubrations insuffisamment étayées de lectures. Et puis quoi? On n’a pas envie d’entrer en contact avec un narcipat, c’est-à-dire avec un gus irrémédiablement antipat, même (ou surtout) s’il s’estime, lui, rédimé par le passage aux aveux et la lucidité. Du reste, n’est-il pas ridicule de chercher quoi donc bloque la parole, n’est-ce pas supposer un désir de parler, qui précisément manque? C’est qu’il est plus gratifiant d’être exécré que négligeable...

     J’en étais là il y a un mois, cette routine ne m’occupant pas dix minutes par jour, et se trouvant délestée de toute émotion, lorsque survint... l’âme-sœur? Entendons-nous : je crois avoir enfin cessé d’espérer cette femme inconnue qui m’aime et me comprenne, et le déclin de la concupiscence n’y est pas étranger, qu’il prenne source dans le physique ou dans l’évidence qu’après m’être proclamé laid toute ma vie je le suis enfin devenu : un narcipat (et je tendrais à dire : personne) ne peut aimer, ni même désirer, sans escompter une réciprocité. Mais enfin, c’était le sens de ce blog, de rameuter les gens supposés souffrir de troubles similaires aux miens, pour que nous comparions nos symptômes, et nous y attaquions de concert et dialectiquement : ça ne pouvait rien gâter que le premier ou le seul candidat à cet exercice survînt sous les espèces d’une femme, disait-elle, jeune et belle : l’étreinte, même seulement morale, en aurait plus d’attrait.

     Disait-elle. Et c’est là que le bât blesse, car le soussigné est un chat échaudé : en avril-mai 2005, il a en effet échangé l’équivalent d’un Pléiade de correspondance avec une étudiante en médecine toulousaine et leucémique de 22 ou 23 ans, qui certes n’était pas une lumière, mais avec qui se firent jour de miraculeuses affinités, débouchant sur un aveu de passion réciproque (un peu rapide, mais Flore allait mourir, elle était donc pressée de vivre), avant qu’il ne se révélât que se mussait derrière la belle une vieille toupie hideuse, égoïste, narcissique et psychorigide, une soi-disant amie de 25 ans (en pointillés) si insupportable que j’avais fini par lui fermer ma porte, et qui prenait un pied pathétique à se faire aimer à la faveur d’un dédoublement, mais aussi de faire grimper à l’arbre un zigoto qui l’avait toujours, disons, opprimée. Le plaisant, c’est que je l’avais devinée dès le début, mais que je prenais tant de plaisir à cette fiction… Difficile, difficile : nos lettres, les miennes du moins, étaient une œuvre en soi, et pour moi, ce qui compte, c’est le Livre, c’est l’Empreinte. Mais il fallait tout de même que j’y crusse. Dire que je ne croyais à Flore qu’à demi, c’est biaiser, car j’y croyais, en alternance ou à la fois, totalement et pas du tout. Et pas du tout, moins pour les innombrables erreurs commises par Kapok (la vieille guenon) au premier rang desquelles l’affichage d’une intuition invraisemblable, que pour cette simple raison : il était inconcevable qu’une fille comme Flore existât, s’intéressât à un vieux birbe dans mon genre, simplement parce qu’il savait manier les mots (c’est d’un site de poésie qu’elle était partie à ma rencontre). Or cet inconcevable, c’était précisément mon fantasme! [1]

 

[1] Pour qui s’intéresserait à cette histoire, je la narre en détail ici.

Partager cet article
Repost0
Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :
Commenter cet article