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Le blog de Narcipat

Les sentiers tortueux de la guérison

23 Avril 2011 , Rédigé par Narcipat Publié dans #Anecdotiquotidien

     Même si ce blog avait eu un ou deux “fidèles lecteurs”, un mois et demi de silence aurait largement suffi à les mettre en fuite. Et même s’il en restait, je ne dois de comptes à personne, et aucune réponse à qui ne pose pas de question : bien jeté, coco! Sur ce, une fois bien établi qu’on n’a pas l’ombre d’une raison de donner la moindre explication à qui que ce soit, empressons-nous de le faire quand même, dans la lumière noire de l’Absurde – ou dans la glauque de l’esse est percipi.

     Je ne sais quelle mouche m’a piqué (ou plutôt si : c’est celle du moment de contingence qui précède tous les jours la remise au boulot) mercredi d’aller voir si le mois d’avril n’aurait pas été plus fertile en comm’ que les précédents : non. [1] Pas d’état d’âme, l’espoir d’un dialogue est mort et enterré, et je n’ai pour votre silence que mépris. En revanche j’ai frémi devant un écran envahi de pubs à la con, et notamment du type particulièrement taonnant des “tiroirs” qu’on peut rabattre en marge, mais non point faire disparaître. Que faire? Au choix, laisser bêler le mérinos ou tout effacer : le deux, morbleu! Ce n’est qu’après quelques tâtonnements (mot de passe oublié) que j’ai découvert, si j’ose dire, une “troisième alternative” : en effet, Overblog s’engageait à retirer les pubs dès la première reprise d’activité. Ni une ni deux : mettons Narcipat en ligne! Et tant qu’on y sera, puisque je me suis remis à la chansonnette, pourquoi pas en larguer une de temps en temps? Ça ne mange pas de pain, et qui sait s’il ne se pointera pas un visiteur point trop chassieux, qui s’avisera que ça vaut bien Brassens ou Vian, j’entends leur meilleur.

     On voit que ma psychè s’est relevée de la cuisante tarte infligée par la révélation qu’un texte autobio que j’avais cru jusque là presque génial était en fait lamentable – encore qu’“en fait” soit trop dire, puisque la nouvelle évaluation était aussi subjective, aussi peu fiable, aussi sujette à révision que la précédente. N’empêche qu’elle n’a pour l’heure pas été révisée, et que la honte d’avoir étalé des confidences sans l’excuse et la transfiguration du talent demeure fidèle au poste. Il est vrai que ce blog en est bourré, et que si je le relisais… Autant m’en garder. Du reste, si j’ai bazardé début mars une cinquantaine ou centaine (souviens plus) de livraisons de Pour en finir avec l’amour, ce n’est pas tant pour la pitoyable nudité/nullité que j’y exhibais que pour les secrets des autres que j’y déversais – d’autres dont je m’étais peu à peu rendu compte qu’ils étaient aisément reconnaissables, pour peu que passât par là un de leurs potes. Encore une fois, ça ne m’aurait nullement gêné s’il s’était bien agi d’un texte de valeur : Proust n’a pas à s’embarrasser des blessures qu’il inflige aux corniauds qui ont croisé sa piste, le don qu’il nous fait plane très haut au dessus de ça. En revanche, quand Capote (celui de Prières exaucées), voire Roger Peyrefitte, se prennent pour Proust (remarque déplacée en ce qui concerne le second, qui croyait ses patchworks de ragots bien meilleurs que La Recherche), on est tout à fait fondé à ne s’occuper que du mal qu’ils font à leurs plus ou moins proches.

     Noter tout de même, en guise d’élément d’une histoire du parêtre, qu’il a fallu, pour voir s’éteindre l’étoile, que je publiasse (potentiellement, mettons) le ci-devant chef-d’œuvre dans un blog dont tous les lecteurs sont probablement des imbéciles pressés – et, quoi qu’il en soit, aucun d’eux ne m’a octroyé d’avis. Mais rien qu’imaginer un autre regard posé sur le texte en a changé la tronche! Bonne excuse pour tout mettre en ligne, histoire de voir si des mises en perspective vont s’opérer.

     Au début mars, je me portais plutôt mal, je le confesse : je me suis rarement senti plus proche de l’effondrement. Depuis, je n’ai pas progressé d’un iota dans l’analyse de la narcipathologie et de ses origines, et sans doute cette décision d’impasse n’est-elle pas étrangère à la relative euphorie dans laquelle je baigne. Relative, mais assez sûre, alors que l’accueil d’autrui, certes plus enivrant (enfin, ça dépend de l’autrui) est éminemment précaire. Votre secret, Docteur? De tous connu, ou presque : c’est le repli narcissique dans le travail, à condition que ce dernier, sans se réduire à celui d’un bœuf dans son sillon, ne se situe pas non plus sur la crête du tout-ou-rien. Plutôt que de remâcher niaisement ma nullité toujours hypothétique, j’ai pris la décision, semi-arbitraire :

1) d’apprendre l’anglais, que je n’ai guère fait que baragouiner jusqu’à l’heure. Et, la seule imprégnation des lectures s’avérant insuffisante, de me lancer dans la traduction d’un mid-seller américain dont, chose étonnante, il ne semble pas exister de version française : c’est l’histoire de deux filles de 14 et 15 ans qui, en 1983, trucidèrent une vieille dame pour lui faucher sa bagnole, qu’elles ne parvinrent même pas du reste à faire démarrer. On a vu pire depuis, mais elles avaient eu leur heure de célébrité, du fait seul de l’entrée de journal de la 14 yo : « Today Cindy and I ran away and killed an old lady. It was lots of fun! » Bien que le bouquin soit loin d’être un chef-d’œuvre (je préférerais évidemment m’atteler aux pièces de Shaw ou aux romans de Lodge, mais c’est déjà fait) et qu’on s’explique assez bien qu’il n’ait pas été réédité, il m’a néanmoins touché, surtout par ce que l’auteure met d’elle dans son héroïne, et ce que j’y retrouve de moi-même, en dépit de toute la distance qui me sépare d’une fillette violée par son père depuis l’âge de trois ans (le fait est sujet à caution, d’ailleurs, mais je suis assez enclin, du fait de nombreuses confidences reçues, à penser que les gamines ne sont protégées de l’universelle saloperie des mecs que par leur laideur, et encore cette protection n’est-elle pas du 100%). Donc je me tape mes deux-trois pages par jour, j’en chie comme un Polonais, et me rends compte mieux que jamais que même si je n’étais pas complètement ignare en ce domaine, la traduction est un boulot impossible. Je m’en expliquerai un de ces quatre. Ce qui est porteur, en tout cas, c’est que le self grandiose n’a qu’à se taire : je sais que je ne suis là qu’un novice et un tâcheron [2].

2) Il devrait l’ouvrir encore moins en ce qui concerne l’activité number two, qui est l’apprentissage du chinois, oral et écrit, sous l’influence de Teresa Teng, une chanteuse morte depuis quinze ans, sirupeuse et, avouons-le, passablement vulgaire, mais cette vulgarité-là me chausse, puisque je pleure comme un veau en l’écoutant. Avec ma mémoire de plus en plus semblable à une écumoire, je perds neuf idéogrammes pour dix que j’acquiers, mais tant pis! Le “vieillard abécédaire” s’opiniâtre.

3) de me remettre aux vers, dont je n’avais pas tâté depuis presque dix ans. C’est surtout ça qui m’a sauvé du désespoir. Un turbin étrange, très différent de l’écriture romanesque ou autobiographique, qui vise toujours peu ou prou à l’absolu et à la découverte de vérités nouvelles. Éloigné aussi de l’écriture poétique, qui pour moi se ramène essentiellement à l’épiphanie, et s’avère donc des plus frustrantes quand on n’est pas “visité”; quand on croit l’être, d’ailleurs, rien n’assure qu’on ne se leurre pas. Exemple de haïkaï (ce n’est pas un haïkaï, lequel a au Japon des règles très précises, mais ne chipotons pas) :

Quand je suis seul avec mon pénis

Je le sors de sa cachette

Et je lui souris

Un frisson d’absolu? Peut-être. Mais en même temps, ce n’est rien, et ce vacillement entre les deux extrêmes est assez inconfortable. Encore ces trois “vers” ont-ils l’heur de me plaire; le terrifiant de ce que j’appelle “poésie”, c’est qu’elle est sans garantie aucune, qu’on n’a pas de certitude sur quoi se reposer, et qu’on peut suer du sang toute une nuit sans que l’esprit trouve le positionnement d’une inventio comme “naturelle” : guère surprenant que chez un Queneau ou un Prévert, qui ne sont point des pires, on n’accroche guère que deux ou trois poèmes à sauver dans un recueil, tous les autres relevant du remplissage! Remplissage qui remplit souvent les anthologies elles-mêmes. Mais bon : essayons de respecter l’altérité de l’anthologiste!

     C’est une tout autre affaire que le travail versificatoire. Certes il faut une idée de départ, et pour le moment je ne suis guère satisfait des miennes, qui sont trop prosaïques et ratiocinantes : j’ai beaucoup de mal à décoller de la chanson à thèse, à préserver un minimum de mystère et de polyguïté, et ça me ronge assez. Mais enfin, une fois que l’idée est là, que le programme est tracé, qu’on sait à peu près où l’on va, il ne reste plus qu’à donner forme à la chose… non pas la meilleure forme, pure chimère, tout vers “définitif” est un vers qu’on a renoncé à améliorer, mais, disons, une forme qui ait l’éclat du neuf et de l’aisance, qui n’ait pas l’air d’aller chercher le mètre et la rime à l’autre bout de la terre. Un taf assez ingrat, puisqu’on peut fort bien suer deux heures sur un quatrain sans trouver moyen d’y loger une métaph neuve et prétendument “incontournable”, mais un taf rassurant, de par son objectif limité. Très proche de la traduction, en somme, avec cette différence que je ne suis pas disposé à m’échiner outre-mesure sur l’œuvre d’autrui, surtout le bas-de-gamme sur lequel je suis obligé de me rabattre.

     Durable? L’avenir le dira. Mais c’est un fait que, bien que le “moment de s’y mettre” reste vaguement pénible, dès lors que j’y suis plongé, cette activité me procure un élation dont le roman a bien rarement approché. Du fait qu’elle est circonscrite, essentiellement. Bien sûr, l’euphorie qui émane d’un quatrain “bien jeté” est toujours anticipation d’un public, je ne suis pas plus habité qu’auparavant par un ego “véritable”; mais que le public soit improbable et lointain ne me gêne pas, et si l’autosuffisance réelle n’est pas à ma portée, comme ersatz, ce n’est pas trop mal. Quant à l’autosatisfaction, elle sourd sans effort d’une journée composée de six ou sept heures de vers + une ou deux de trado + une de chinois + une de “musique” (créa de mélodies sur mon ptit synthé) + cinq ou six de lectures anglo-saxonnes +, les jours fastes, une ou deux de rapetas de divers inachevés. Le meilleur signe que ça marche, c’est que je n’ai besoin que de quatre heures de sommeil – avec toutefois l’inconvénient de me ruiner le dos et la vue. L’abîme, certes, est toujours là. Mais je regarde ailleurs.

 

 

[1] Rodomontade : la vérité, c'est que même lorsque je n'écris rien je regarde les stats tous les jours.

 

[2] Un lecteur curieux trouverait ici le fruit de cet effort.

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