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Le blog de Narcipat

Coïncidences et superstition. Le sens et la vie

20 Janvier 2011 , Rédigé par Narcipat Publié dans #Anecdotiquotidien

     Avant-hier, à peine ai-je en-ligné quelques élucs sur (ou plutôt à partir de) l’affaire B., qui défraie la chronique locale, que la trouille me biche : ces noms en toutes lettres, une recherche-Gogol pourrait y mener droit… pas n’importe qui, mais des gens de Maville, et parmi eux, qui sait? quelque voisin proche, qui n’aurait aucun mal à me situer… Vu ce que je déballe de moi passim, et surtout des autres, il ne me resterait plus qu’à déménager, ou à raser les murs… et à fermer ce blog, pas une grosse perte, certes, mais je suis trop pauvre pour balancer sans état d’âme dans les 1000 A4 à la poubelle. Une peur mêlée d’attirance pour cette “expérience” (mille lecteurs, mille chances d’âme-sœur); une peur dont la légèreté m’amuse aussi : fort probable que l’audience ne connaîtra pas le moindre frémissement, et continuera sa doucette descente vers zéro; par ailleurs, connais-je sur place un seul pékin qui soit capable de lire assez de ma prose pour m’identifier? Les plus savants caleraient au premier alinéa.

     C’est pourtant avec une certaine fébrilité que vers une heure le lendemain je découvre dans ma boîte un courriel de Céline, avec qui toute relation est rompue (ouf! C’est une circulaire avisant le populo des travaux de la porte d’entrée), puis contrôle les comm’ (état néant, R.A.S.)… et un raz d’adrénaline qui me submerge à quatre heures, quand je constate que les visiteurs, lesquels jamais, au grand jamais, n’ont dépassé la quarantaine, sont, pour la journée écoulée… non pas mille, mais 150! Merde! Je le savais! Comportement d’échec, masochisme, enfin toute la lyre… Comment ai-je pu? Triple con! Vérifions tout de même, avant de tout bazarder… Et la panique s’affaisse, pendant que stupeur s’accroît : les deux tiers de ce beau monde se sont rués non pas sur mes commentaires de l’affaire B., qui ne reçoivent apparemment aucune visite, mais sur un article vieux de quatorze mois, où je recopiais le test « Êtes-vous un Peter Pan? » dans le bouquin de Kiley, en l’accompagnant d’une glose fielleuse; article tout à fait épargné jusqu’à l’heure par la ferveur des masses.

     Il ne s’agit pas exactement de stigmatiser une fois de plus ma rage paranoïde d’introduire du sens dans ce qui en est dépourvu : il est à présumer que cet afflux (de visites, non de lecteurs, puisqu’à 150, ils ne se sont farci que 186 pages, ou les ont seulement cliquées : l’âme-sœur n’est pas venue) kekchose l’a causé, émission de télé, article de presse ou forum à succès; reste que je griffonne ici depuis seize mois, et que si l’audience devait bondir un jour (elle n’est pas tout à fait retombée, et celle d’hier, 80 et 120, confirme un presque exclusif peter-panisme), il n’y avait, en strictes probas, qu’une chance sur 500 qu’elle bondît le jour même où je le redoutais, mais pour des raisons qui, quelles qu’elles soient, n’ont rien à voir! Si aucune info ne m’était fournie sur la répartition du cheptel, sa provenance et le libellé de ses recherches, ne serais-je pas certain d’avoir prévu juste – tout comme je l’étais avant-hier de la culpabilité de B…, après avoir lu quelques articles du Figaro et du Midi libre! Je me prononçais en véritable imbécile, sans la moindre notion de la complexité du problème, ni mesurer à quel point il était simplifié par les enquêteurs, les juges et les journalistes. Pas impossible du tout que B… soit un bouc émissaire, qu’on n’ait pas sérieusement fouillé dans le “passé de barbouze” du vicomte, que trois coups de feu aient été tirés, et non deux, par deux tireurs et non un seul, etc : théoriquement, je n’ignore pas qu’à moins d’avoir fait le coup l’on ne peut se tenir assuré de rien, jamais; et pratiquement, je bêle comme un mouton de Panurge, à la merci du dernier qui a parlé. Laissons ce blabla pour ma courte honte, mais virons les noms propres… et revenons à notre affaire. Le sens donc n’était pas le bon. Ce qui ne me guérit nullement d’en chercher un… à la coïncidence.

     Le second exemple me fait rire moi-même. N’importe, le voici : hier, brève rencontre de la charmante F., qui fait un stage de formation dans Maville, mais y est venue avec mari et enfants, et ne pouvait m’accorder, avec quelles précautions, que sa pause de midi. Je l’avais vue pour la dernière fois en juillet 95, ruisselante de larmes, à travers la fenêtre d’un train qui la ramenait vers l’aréopage familial, et le plus étrange est sans doute que quinze ans d’intervalle s’abolissent, pour elle comme pour moi, non qu’elle retombe amoureuse (quant à moi, je ne le fus jamais), elle a vécu, changé, et surtout aimé plus intensément; mais elle dit juste : c’est comme si c’était hier, la confiance est telle que pour un peu il m’en viendrait des remords (de l’avoir berlurée sur l’origine de mes mannequins, surtout, et de parler d’elle ici sans respect ni tendresse), et ce qui me touche le plus, peut-être, c’est qu’elle occupe un poste assez important et n’en soit pas grisée : pas ombre d’arrogance, de désir de me réduire ou de m’opprimer, et réciproquement il me semble accepter son altérité – éloge de la tiédeur, peut-être. Mais voici le point : je m’étais vêtu d’une djellaba, sous prétexte d’être plus facilement reconnu dans la foule, ce qui déjà aimantait les regards au restau; et en la quittant, voilà que je réalise que la semelle d’une de mes Nike est décollée sur toute sa longueur, à la Ribouldingue, et crie : « Clodo » à chaque pas. Pas explicable, ou au moins disproportionnée, l’espèce de colère ridicule qui, en pleine rue, a submergé la nostalgie : contre qui? Contre Dieu? Reste que je n’ai pas souvenance de m’être baladé une fois, même à l’époque de la bohème, avec un croquenot ainsi béant! Une chance sur… ne cherchons pas, le pourcentage est biaisé, en bien des occasions la gêne eût été pire. Reste qu’il y a des jours où l’Ange du Bizarre paraît en pleine activité; des jours où, dans la plus morne des vies, il se passe trop de choses à la fois, après des semaines et des mois de désert complet. Admettons encore que j’aie trouvé une solution prometteuse pour débourber l’intrigue de Tueur à gags, dont je désespérais; et même qu’au repos j’aie eu le mollet déchiré par une crampe atroce et sans précédent : elle pouvait être psychosomatique, et se proposer de saborder mon rencard avec F. Mais comment fourrer dans la grille qu’Aude, qui depuis des mois ne m’avait donné signe de vie, m’ait envoyé hier un message de banané? Qu’Abeille Musique, me faisant faux-bond pour la première fois, m’expédie un Alkan et un Borodine qui n’étaient qu’un complément de commande, mais non l’intégrale Rachmaninov qui servait de plat de résistance? Tous ces éléments hétéroclites, pour quelle raison sont-ils rassemblés en une pincée d’heures, alors qu’il ne s’est rien passé de notable pendant une éternité? Il me semblerait obscurantiste de ne pas poser la question, solidement campé sur l’a priori constitué par leur hétérogénéité, d’autant plus que cette loi des séries, qui paraît absurde, en totale contradiction avec… quoi? mon frottis de sciences? ma simple mouture du Zeitgeist?, m’a giflé bien des fois.

     Des peuples entiers, et qui n’étaient pas intégralement idiots, ont cru aux jours fastes, aux horoscopes, à l’influence des astres… ou en Dieu et sa Providence. Ils n’avaient guère le choix, c’est vrai, pour s’y retrouver, doter de sens ce qui en était vierge, et de telles croyances avaient au moins la vertu d’inciter occasionnellement à agir : on ne réussit pas tout ce qu’on entreprend, mais on ne réussit que ce qu’on entreprend, et la certitude de réussir est une forte incitation à entreprendre. C’est stupide de se croire invulnérable, mais au moins poitrine-t-on au feu. D’autre part, comment admettre que des prédictions toujours erronées aient pu garder le moindre impact sur le gogo? Ce n’est pas que je veuille revenir à l’astrologie ou à l’oraison utilitaire (de cette dernière il me semble être toujours encrassé “en creux”), mais les lois du hasard, dans des domaines où l’esprit, l’inconscient, n’ont pas leur mot à dire (événements naturels, actes des autres, quand ils sont éloignés) ne rendent pas compte de coïncidences aussi bizarres. Le sont-elles vraiment? Pour la bêtise égocentrique, toucher le gros lot relève du miracle, mais dans une perspective élargie, il faut bien que quelqu’un le touche… Au ras des pâquerettes, les minutes les plus anodines comportent une chaîne de faits unique, qui avait une chance sur des milliards de se produire. N’empêche que j’ai l’impression de noyer le poisson, de refuser l’attention à ce qui n’entre pas dans ma grille, et de bétonner moi-même la mornitude de mon existence, non seulement en n’allant pas au devant des autres, mais en éliminant comme insignifiant a priori tout ce qui sort de ma grille.

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