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Le blog de Narcipat

Otto Kernberg, La personnalité narcissique, XXXVII

26 Novembre 2010 , Rédigé par Narcipat Publié dans #Voix Autorisées (cum commento) : Otto Kernberg

 

L’EXPÉRIENCE SUBJECTIVE DU VIDE

 

     Un soi normal, intégré, et par conséquent concevoir les autres de façon intégrée (représentations d’objets intégrés) garantissent un sentiment de continuité au cours du temps quelles que soient les circonstances. [Intéressant. Est-ce que ce sentiment de continuité me manque? Il s’agit d’une notion tellement inhérente au regard qu’il serait bien difficile de la distinguer et de la comparer. À première vue, je me désolerais plutôt de rester en tous lieux et en tous temps si désespérément semblable à moi-même, alors que je cherche à gagner une position dominante d’où mon ex-moi serait relativisé et dépassé. Mais il s’agit plus de répétition que de continuité, et, me sentant en devenir perpétuel, je ne puis sentir mon âge qu’en extériorité. Le soi, je le perçois comme une énigme, mais l’effort de synthèse est constant; quant aux autres, d’accord, c’est un troupeau  indifférencié, une “condition humaine” qui relève largement de l’identification projective (au sens où je l’entends, et qui n’est pas celui de Melanie Klein), mais il me semble tout de même affouiller plus loin dans le cas-par-cas que la plupart des “gens normaux” et indifférents. De les comprendre mieux, en tout cas, qu’ils ne me comprennent. D’autre part, ce “soi intégré” ne relève-t-il pas nécessairement de l’illusion? Je suppose que ces bataillons de dégonflards qui se voient en foudres de guerre, ou ceux qui ont toujours raison, alors qu’ils ne comprennent rien et ne répondent à rien, sont parfaitement normaux. Et le sentiment de continuité lui-même… Combien je trouvais Hélène plus près de la vérité, elle qui n’avait aucune prétention à se connaître, et ignorait totalement de quoi elle était capable (ordinairement, du pire) dans l’heure qui suivait… En l’observant, on pouvait la définir, à la rigueur la prévoir, dans la mesure où elle se répétait beaucoup; mais elle était aussi un caméléon, prenant les couleurs de n’importe quel compagnon de lit, et en cela encore, plus vraie (comme nombre de femmes) que si elle avait plié ses humeurs à une vision préconçue de soi.] Ils garantissent aussi les sentiments d’appartenance à un réseau de relations humaines qui rend la vie pleine de sens [Ici, la carence est patente : la vie aurait un sens, en effet, s’il y avait des êtres qui me tinssent à cœur, et à qui je pusse imaginer tenir à cœur]; ils garantissent le “sentiment de soi” que nous considérons comme admis et qui normalement n’est menacé que dans les situations de traumatismes psychologiques les plus extrêmes et inhabituels ou dans les situations vitales. Jacobson a remarqué que ce sentiment de soi qui dérive de la conscience chez l’individu d’un soi intégré devait être distingué de “l’estime de soi” ou du “respect de soi” qui dépend de l’investissement de ce soi intégré. [Ça paraît aller sans dire.]

 

     Lorsque, pour diverses raisons, la relation normale entre le soi et le monde interne des objets (les représentations d’objets intégrées) est menacée, et qu’apparaît quelque chose comme un abandon interne du soi par les objets internes ou une perte de ceux-ci, il se produit des expériences subjectives pathologiques, douloureuses et très perturbantes. Parmi ces expériences prédomine un sentiment de vide et de futilité de la vie, une inquiétude et une lassitude permanentes et une perte de la capacité normale de ressentir et de surmonter la solitude. [Comment la vie ne serait-elle pas vide et futile, quand vous existez seulement par le regard des autres, et qu’ils ne vous voient pas? Comment toute relation humaine ne serait-elle pas génératrice d’inquiétude et de fatigue, puisqu’il y va de votre être, à gagner ou à perdre? On pourrait en revanche trouver savoureux de taxer un ermite d’être incapable de surmonter la solitude, qu’il surmonte apparemment mieux que les autres, chez qui ce n’est qu’un cri : plutôt se flinguer que de vivre comme toi! Chtiendrais jamais l’coup, etc. Et pour la plupart, les relations humaines leur apparaissent d’abord sur le mode du divertissement pascalien. Cela dit, est-ce que je ressens la solitude, quand je ne mets pas le pif dehors d’une semaine ou d’un mois? Le moins qu’on puisse dire, c’est que ça se discute. Je m’efforce de la meubler, à force de routines, de lectures, de musique, d’écriture et d’auto-observation, et au fond je ne l’avais pas ressentie depuis un bail comme ces temps derniers, où une amorce de relations humaines a créé, ou plutôt libéré, un besoin. Jamais je ne me suis senti si seul qu’après un cours ou une fête. Si j’habitais un de ces châteaux de vacances à l’anglaise, le livre commencé en juillet resterait corné en septembre : je serais tout le temps à chercher s’il n’y en a pas un qui glande, avec qui papoter. Il se peut que toute cette mienne vie, qui n’est pas marrante, mais tout de même plus sûre que la recherche directe d’aval, alias course aux râteaux, soit édifiée à contre-moi. N’est-il pas significatif, d’ailleurs, que je persiste à tenir la solitude pour provisoire? Comme disait mémé, c’est “du provisoire qui dure longtemps”!]

 

     Certains patients décrivent une expérience subjective douloureuse et très perturbante qu’ils rapportent fréquemment à un sentiment de vide. Dans les cas typiques, c’est comme si ce vide était la modalité de base de leurs expériences subjectives à laquelle ils essaient d’échapper en plongeant dans de nombreuses activités ou dans des relations sociales frénétiques; en buvant, en se droguant ou en essayant d’obtenir des satisfactions pulsionnelles au travers de la sexualité, de l’agressivité, de la nourriture ou d’activités compulsives qui les détournent de leurs expériences intérieures. [Ah ah ah! Quels débutants minables! Comme si la meilleure des chnoufs (et en tout cas la plus économique : il ne faudrait pas oublier ce paramètre de la peur de manquer, donc, horreur, de dépendre) ne consistait pas à se scruter! Le bilan du désastre rassérène, le portrait du vide dispense d’y sombrer… Cela dit, je ne suis pas à couvert de la solution du tonneau, et si j’aimais, par exemple, le goût du pinard ou du whisky, je serais mal aventuré. Quant au vide, qui est en effet la modalité de base, il est bien difficile d’admettre qu’il n’en aille pas de même pour tous! À quoi servent donc les divertissements de tout ordre, télé et travail au premier rang, sinon à le combler? Pascal était-il une personnalité narcissique? Probablement. Mais y en a-t-il d’autres que celles-là? Des normaux selon Janov (et Kernberg), qui vivent pleinement leur vie, au lieu de peinturlurer le néant?] D’autres patients, à l’opposé, semblent succomber à cette expérience du vide et acquérir ce qu’on pourrait décrire comme un style de vie mécanique – ils agissent à travers leurs activités quotidiennes avec un certain sentiment d’irréalité, avec un estompage de toute expérience subjective, si bien qu’ils semblent se fondre, pour ainsi dire [“quelque chose comme”, “pour ainsi dire”… Notre auteur n’est pas coutumier de telles formules. On dirait qu’il n’est guère à l’aise, et qu’il fait du tourisme à l’étranger. Du reste je ne me reconnais pas non plus dans ces êtres absents de leur vie, alors que je devrais peut-être], à n’importe quel environnement proche, inanimé ou humain.

 

     L’expérience subjective du vide peut prendre diverses formes. Certains patients qui ont des dépressions névrotiques durables ou certaines structures dépressives de la personnalité connaissent cette expérience subjective de façon seulement intermittente et la décrivent comme constituant un contraste frappant avec les autres types d’expériences. Pour eux, les périodes où ils se sentent vides se caractérisent par un sentiment de perte de contact avec les autres, qui apparaissent assez distants, inaccessibles ou mécanisés, et ils se sentent eux-mêmes identiques. La vie paraît ne plus avoir de sens, il n’y a rien à rechercher, à espérer, à attendre. Ces patients ont le sentiment qu’ils ne peuvent plus aimer personne ou que jamais personne ne pourra les aimer; toutes les relations humaines sont vides de significations ou tout au moins il n’y a plus d’amour possible. Leur monde d’objets inanimés semble plus rigoureusement délimité, comme si ces objets se trouvaient propulsés de leur habituel environnement et devenaient soudain impénétrables, insignifiants, inaccessibles. Les objets inanimés de leur environnement quotidien qu’habituellement ils apprécient et aiment, deviennent étranges et douloureusement insignifiants. [Je te vois venir. Chez les “patients narcissiques”, cet état n’est pas occasionnel : il est la base sur quoi ils édifient tout le reste. Le non-sens de la vie et des relations humaines n’est pas une découverte fortuite : il nous attend là, à la moindre brèche du revêtement. Que je mange ou chie, j’ai toujours un bouquin ouvert, que du reste je ne lis pas nécessairement : c’est une protection symbolique. Je n’ai pas peur pour autant de rester des heures au lit à cogiter, parce que l’incapacité avérée à toute forme de concentration contribue à me préserver du gouffre, et qu’au surplus la cogitation est en soi une protection contre son objet : le désespoir est une vieille connaissance rendue transparente, muée en fond d’écran, par la routine. D’autre part, Kernberg me semble un peu trop facilement oublier que cette expérience subjective du vide, le déprimé la met en scène : « plus d’amour possible » est un appel à l’amour, comme une tentative de suicide ratée. Quand vous avez pleinement compris qu’il est indifférent à quiconque que vous creviez ou surviviez (et votre indifférence à l’égard d’autrui vous facilite cette prise de conscience), eh bien, il vous reste à vous tuer pour de bon ou à meubler le vide. Les mois qui précèdent, et l’existence même de ce blog, attestent que l’espoir d’accéder à l’être par l’aval (amour ou admiration) n’est qu’en léthargie chez moi, et ne demande qu’à revivre. Mais j’y crois tout juste assez pour “mettre un pied devant l’autre, et recommencer”, et sans doute est-ce à dessein que je taille à la Rédemptrice une niche trop étroite pour qu’elle consente à s’y loger. Je ne sais pas… L’optimisme semble bon teint cependant, et la terreur de la mort meilleur encore.]

 

     Chez ces patients déprimés, les sentiments sont proches du sentiment de solitude, sauf que la solitude implique une attente, et le sentiment que d’autres personnes sont nécessaires, dont l’amour est nécessaire, et qui paraissent actuellement inaccessibles. L’opération analytique révèle habituellement qu’ils souffrent d’un sentiment inconscient de culpabilité et que la “vacuité” de leur expérience subjective reflète les attaques de leur surmoi sur leur soi. La dure punition interne infligée par le surmoi consiste en un dictat implicite qu’ils ne méritent pas qu’on les aime et les apprécie et qu’ils sont condamnés à la solitude. Plus profondément, et dans les cas graves, dans leurs fantasmes internes qui proviennent de la pression du surmoi, ils ont le sentiment, à cause de leur méchanceté, d’avoir détruit leurs objets intérieurs et par conséquent de rester solitaires dans un monde maintenant privé d’amour. [“sentiment inconscient de culpabilité”, moi je veux bien, mais je ne serais pas surpris que “l’opération analytique révèle habituellement”… ce qu’elle attend. Du reste, la “dure punition interne” me fait plutôt l’effet d’un leurre concédé au surmoi. Mes dépressions les plus récentes sont causées par l’expérience de la stérilité sans bord ni rive, et je suis surtout frappé par les autorisations qu’elles me délivrent : quand on est si mal en point, spas, ça ne compte plus, de trouver quelque chose d’intelligent à écrire : état d’urgence, la survie est menacée! Donc droit (ne serait-ce que pour irriguer l’inspiration) d’aller se promener, de lire des conneries, d’acheter des choses, etc, et si je n’avais usé tous les humains à portée, d’aller leur casser les roubignolles, ou plutôt les trompes de Fallope. Cela dit, je confesse que cette minimisation de mes déprimettes est aussi un moyen de dévaloriser les dépressions d’autrui, avec leurs gros effets scéniques : plus désespérés que moi? Ah mais non! Leurs simagrées sont un appel à l’amour, qui atteste bien qu’ils le sont moins.]

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S
<br /> <br /> J'attendais cette partie sur le vide, un des critères du dsm-IV pour le diagnostique des personnalités narcissiques et borderline. Il me semble que je ne le comprends qu'à moitié, de façon<br /> abstraite en tout cas. Kernberg semble donner des explications qu'il rattache plutôt à l'état dépressif. Intéressant, mais toujours aussi aride.<br /> <br /> <br /> Je suis encore dans les parages, je lis quelques extraits de votre blog, bien que ces derniers temps j'aie eu plusieurs missions à rendre très vite.<br /> <br /> <br /> <br />
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N
<br /> <br /> Pour le diagnostic différentiel, je suppose, car je ne vois pas trace de ce critère au DSM-IV pour les personnalités narcissiques. Ma conviction<br /> (provisoire), c’est que chez elles le noyau de vide est soigneusement évité, la fonction primordiale du self grandiose étant de préserver de l’effondrement. Cela dit, toute cette balkanisation<br /> psychiatrique m’inspire une méfiance extrême.<br /> <br /> <br /> <br />