Overblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
Le blog de Narcipat

XII : “vagabondage affectif”

21 Juillet 2013 , Rédigé par Narcipat Publié dans #VA : Le Senne : Les Nerveux

C) Le vagabondage affectif. – L’accumulation de ces divers traits converge dans la disposition qui est l’expression la plus frappante du caractère nerveux. La plus précieuse contribution de la caractérologie à la connaissance de l’homme consiste dans la détermination, non d’une essence qui serait au-dessous de la vie concrète de l’esprit, mais d’une résultante où un grand nombre de dispositions du caractère viennent se composer et se fondre : nous l’appellerons la résultante caractéristique du caractère donné. [J’entends bien qu’on n’a pas une personnalité mystérieuse indépendante de ses manifestations, et qu’il ne s’agit que de dégager une ligne de force de l’observé; il n’empêche que dès lors qu’ensuite, en recomposant, on en déduit tel ou tel trait particulier, elle gagne un statut causal; or les explications qu’on donne des détails paraissent bien souvent sujettes à caution, et relever du verbalisme. Peut-être, englué dans une explication différente, ne joué-je pas assez le jeu de laisser mon auteur développer sa thèse; mais les distorsions me semblent incessantes, la dominante narcissique constamment sous-évaluée, et nullement déductible des données AAR. – qui demeurent une vue de l’esprit.] 

     On pourrait penser que la classification à laquelle arrive Spranger dans ses Lebensformen quand il distingue six types humains définis par leur intentionnalité maîtresse équivaut à une détermination systématique des résultantes caractéristiques. En réalité ce que nous appelons ici de ce nom sont les orientations concrètes et singulières des caractères qui ne peuvent être dégagées par une rapide considération des directions possibles de l’activité individuelle mais doivent être obtenues par une analyse serrée et minutieuse [et orientée] des documents relatifs, soit à des vies originales, soit à des types généraux ou spéciaux. Il y a autant de résultantes caractéristiques à la rigueur que d’individus et si l’on admet des résultantes typiques, c’est par une abstraction à partir des résultantes individuelles.

[Le problème étant encore une fois que ces “résultantes”, simultanées de ce dont elles résultent, ne sont pas des conséquences, et que c’est d’elles qu’on induit les “propriétés fondamentales”.] 

     Par la suite nous ne confondrons pas résultante caractéristique avec visée de valeur : la résultante caractéristique est au caractère ce que la visée de valeur est à la personnalité.

     C’est à l’une de ces résultantes caractéristiques que nous amène l’étude des nerveux : on peut l’appeler le vagabondage affectif.

     Par le vagabondage affectif, le nerveux réalise le complexe du Juif errant. Verlaine, nerveux large, appelait Rimbaud, nerveux étroit, “l’homme aux semelles de vent” : il voulait signifier par là la disposition invariable de Rimbaud à la fugue, son impuissance à se fixer en aucun lieu. Peut-on limiter le vagabondage à cette manifestation visible? Ce serait refuser de pénétrer dans l’esprit d’où elle est issue. Le vagabondage du corps ne peut être que la manifestation du vagabondage de l’âme [sottise : on peut être obligé de bouger, pour raison économique ou autre.] et c’est l’ensemble des sentiments, des goûts, des affections d’un homme qui est emporté par le besoin de changement quand celui-ci est, de par la constitution nerveuse, la disposition maîtresse de son esprit. Le nerveux vagabonde d’un lieu à l’autre parce qu’il vagabonde d’une sensation, d’un sentiment, d’un goût, d’une amitié, d’un amour aux autres. [Je ne dis pas que ce soit faux; mais d’abord que cette extension analogique n’est pas établie, et ensuite qu’on occulte encore et toujours ce paramètre : la part tenue par les relations humaines dans le goût de la vadrouille. L’attrait du neuf joue, c’est sûr; mais si j’en juge par moi, on change surtout de crémerie parce qu’en un lieu donné on s’est mis à dos le cheptel humain, ou qu’on a simplement épuisé avec lui ses réserves de séduction, et qu’on veut recommencer à zéro avec des gens vierges, qu’on n’a pas encore indisposés ou lassés. Il est infiniment moins grave de les connaître par cœur que d’être connu d’eux. Après vingt ou trente déménagements, je n’ai plus bougé de mon actuel gourbi pourtant peu attrayant depuis plus d’une décennie : pourquoi? Parce que  les rel. hum. s’y limitent à l’A.G. de copro, une fois l’an, et les problèmes de voisinage à quasi-rien, aucune liaison ne s’étant esquissée, une fois sorti du conseil syndical. Ce qu’on voudrait renouveler, bien avant les objets, c’est soi, et à défaut de soi, son public. D’autre part, l’expression vagabondage affectif ne prend pas en compte un élément qui me semble essentiel, à savoir que le changement doit être ascensionnel. En un sens, il l’est toujours, tant qu’on n’a pas sombré dans le gâtisme, puisque ce qu’on a vécu subsistant à l’état d’expérience, tout changement doit enrichir; n’empêche que, matériellement ou par le spectacle qu’on donne, rien n’est plus pénible pour certains que l’impression de rétrograder vers une étape antérieure, de supporter une baisse de salaire, un boulot moins intéressant, ou de vivre avec un veau, quand on a partagé la couche d’une nénette sublime, bref de ne pas pouvoir se représenter hui ou demain comme un progrès. Rien ne m’endeuille l’âme comme de revenir à une étape dépassée, comme d’être nommé, par exemple (c’est arrivé) dans un patelin distant d’à peine trente bornes d’un où j’avais déjà officié. Ailleurs et demain exercent une indéniable attirance tant qu’ils ne se sont pas métamorphosés en pitoyables hic et nunc. Mais c’est que l’inconnu qu’on y loge est présumé meilleur que le présent et le passé. Sans ce paramètre, le changement ne me séduit guère, et si une carrière de Don Juan avait été dans mes cordes, je n’aurais su la concevoir qu’au pourchas de l’Unique. Comment la suivante me séduirait-elle, si je ne parviens pas à la trouver, en quelque manière, mieux que celle qui précède? Et ce principe vaut éminemment pour les ouvrages de l’esprit, et rend tragique la conscience d’une dégradation des facultés, ou d’avoir vidé son sac. S’il existe vraiment des gens capables de jouir de leur reste, nous ne sommes pas faits du même bois.] Avec ces nouveautés successives le nerveux ne tend pas à rien construire car c’est la secondarité qui permet l’accumulation des instants, par exemple chez les avares; mais comme cette même secondarité, par son défaut, ne le fait pas sortir de la jouissance du présent, il n’en éprouve pas non plus le désir. [Il faut croire, répétons-le, que je suis à la fois primaire et secondaire : quel sens garde donc cette distinction?] Son bonheur s’exprime par la devise “Carpe diem”. Ce qu’il veut c’est un présent intense et au mieux ravissant; quand il l’obtient il n’a pas besoin d’autre chose. [Il n’est pas intense quand il l’est moins qu’hier.] C’est ce qu’a montré Ibsen quand il a peint le nerveux dans le personnage de Peer Gynt; et lorsque Kierkegaard fait le portrait philosophique du nerveux dans le type du séducteur, dans la peinture du stade esthétique, on peut juger que, s’inspirant lui-même de la vertu du sentimental, il a mieux montré la faiblesse qui résulte de la mobilité des impressions de ce caractère que la valeur qu’il peut trouver dans la vivacité de leur actualité. Aucun caractère ne doit être destitué de ce qu’il donne à cause de ce qu’il refuse parce qu’il n’y a pas d’homme dont la grandeur ne doive en quelque mesure résulter à la fois de ses puissances et de ses impuissances. [Belle pétition de principe; ça n’empêche pas Le Senne de consacrer 82 pages aux sentimentaux et moins de 6 aux amorphes : à qui prétendrait-il faire croire qu’ils se valent?]

     De ce vagabondage de toute l’âme il est naturel de considérer d’abord son aspect le plus extérieur, le vagabondage local. Le voyage, le déménagement, la fugue, la fuite vers les pays lointains et exotiques sont les traits fréquents de la vie des nerveux. Byron, Rimbaud, Van Gogh, Gauguin, Baudelaire, Douwes Dekker, Dostoïewski, autant de vagabonds. Plus caractéristique peut-être est chez eux le changement de résidence que le voyage. Baudelaire n’a pas cherché à voyager. Envoyé dans sa jeunesse vers les Indes, arrivé à l’île Maurice, il n’a eu qu’un souci, en revenir et il n’est pas reparti; mais sédentaire à Paris par paresse, c’est-à-dire par inactivité, il passait de domicile en domicile. [Va savoir s’il n’avait pas, avant tout, usé ses voisins! Il est par ailleurs fort possible que ce voyage de jeunesse imposé ait dégoûté Baudelaire pour la vie des appareillages réels. « Ah! Que le monde est grand à la clarté des lampes! / Aux yeux du souvenir que le monde est petit! » Souvenir chez lui à peu près imaginaire. Si l’on étudiait de près la fonction du voyage chez chacun des grands noms cités, on relèverait d’étranges différences, qui ne laisseraient pas grand’chose debout de cette notion fourre-tout de vagabondage. Noter d’ailleurs qu’il n’y a pas un seul explorateur là-dedans.] Ce trait se retrouve chez beaucoup d’autres nerveux. Fatigués d’avoir à déménager les meubles, ils vont d’hôtel en hôtel, de meublé en meublé. C’est ce besoin de vagabondage local et plus profondément de vagabondage affectif qui fait à d’autres nerveux, moins primaires et plus disciplinables, opter pour des carrières, comme la marine, qui donnent satisfaction au besoin de changer de milieu; et il leur devient facile, comme à Loti, de concilier, dans le cadre de leur profession, leur humeur errante, et leur goût pour la littérature. On conçoit que, dans les civilisations organisées de notre temps, cette disposition puisse donner lieu à des mouvements de masse, comme il arrive pour ces hoboes qui, dans les États-Unis du Nord, vont faire la moisson d’État en État. Parmi eux se comptent beaucoup de poètes et de musiciens populaires, qui doivent être des nerveux incapables de s’adapter à la régularité de la civilisation industrielle.

     Ces considérations sont appuyées encore par une étude de Pannenborg sur les vagabonds : il a décelé chez eux “une forte faculté d’émotion, un manque d’activité, un très faible développement de la fonction secondaire” : à cela se rattachent, outre l’amour du vagabondage, une série d’autres propriétés encore, comme l’impressionnabilité, le dyscolisme, la vive imagination, la facilité de conception, le mauvais jugement, la vanité, le penchant au mensonge, le manque de naturel, la tendance à la dissipation, etc. (G. HEYMANS, Rés. et avenir de la psychologie spéciale, p.13.) [Tranquilles, les bourges! Le mauvais jugement, c’est celui qui diffère du vôtre, je suppose? Le naturel, vos attitudes compassées? La vanité et le mensonge sonnent autodéfensifs à mes oreilles. Quant au dyscolisme, il pourrait prêter à confusion : il ne s’agit pas d’un mauvais fonctionnement du côlon ou du système digestif dans son entier, certes présent chez les vagabonds (lesquels, attendu ce qu’ils bouffent et l’effet des frimas sur la zone intestinale, passent couramment de la constipation à la chiasse sans guère d’étape moulée) mais d’une tendance à la mauvaise humeur. S’est-on préalablement penché sur leurs raisons de s’irriter? Avant de se lancer dans une psychologie du vagabond, il faudrait quand même se demander en quoi les prétendus traits de caractère résultent du mode de vie, et pour combien d’entre eux ce mode de vie résulte d’un choix.] On retrouve dans ces conclusions aussi nettement qu’on peut le désirer la connexion entre les propriétés caractéristiques du nerveux et le vagabondage. Veut-on de cette connexion une vérification psychographique? [On s’en passera, vu qu’il s’agit du portrait d’un disciple de Diogène du nom de Charles Hanner, connu surtout de sa famille, et qui n’apporte rien au débat. Si je ne fais pas de coupes, je ne sortirai pas de cette galère avant la fin août : on n’est même pas à mi-parcours. Il est vrai que, considérant le mince intérêt de tout cela, je ferais sagement de passer à la trappe ces douze livraisons, et, pour faire bon poids, tout le laïus préparatoire. Persévérance ou entêtement? Je désirais, et désire toujours, atteindre l’étape où Le Senne aborde le narcissisme comme résultante, mais je ne suis pas bien sûr de tenir jusque là, d’autant plus, s’il faut tout dire et en juger par les stats, que ça n’intéresse personne. Je ferais mieux de me remettre en plongée.]

     Sous des formes parfois moins accentuées nous voyons tout autour de nous des hommes d’une nature comparable. Branwell Brontë, le frère d’Emily et de Charlotte, avait été un jeune homme brillant, doué pour la littérature et la peinture, sur lequel les siens formaient les plus hautes espérances. Il ne fit que les décevoir comme le montrent les détails biographiques contenus dans l’ouvrage de Virginia MOORE, Emily Brontë (trad. fr. par Mireille Hollard, Gallimard, 10ème édit., 1939).

C’était un “caractère impétueux et rebelle” (p.33); passionné pour les arts, maladroit dans ses démarches pour se faire connaître (p.98); bientôt il commet diverses frasques, ouvre un atelier mais se met à boire ce qu’il gagne (p.122); “Une intelligence splendide; quel riche talent il lui restait encore à gaspiller!” (p. 167). Obligé de prendre un emploi, il devient chef de gare d’une petite station, passe son temps au cabaret d’en face et vole pour boire (p.166, etc). Menteur et vantard, il s’attribue le roman d’Emily, Wuthering Heights. Placé comme précepteur chez un pasteur, il noue une intrigue avec sa femme, jusqu’à ce qu’il se fasse renvoyer. Il est mort, après être tombé dans une paresse complète, des conséquences de l’alcool et de l’opium. [Je peux me tromper, mais je perçois tripalement Branwell comme un type divinisé par ses sœurs, et qui, ne pouvant supporter de se sentir en déficit (au regard des espoirs placés sur sa tête, mais aussi et surtout du succès d’Anne, Charlotte et Emily) a préféré dévaler la pente jusqu’au bout, et le plus vite possible. La nécessité de perdre conscience de son infériorité explique assez, ce me semble, la solution du tonneau et de la chnouf. Faire au mieux aussi bien que des filles, haleter à leur suite! Plutôt crever. Il ne nous est pas parvenu grand’chose de lui, et ça ne me ferait pas une hernie d’y jeter un coup d’œil, mais de toute façon la vie des Brontë me fascine beaucoup plus que leurs livres, même Wuthering Heights. Et je crois que ce pauvre gars n’était pas mis en situation d’avoir du talent, du fait même de l’attente excessive qu’il sentait peser sur lui, alors que ses frangines, dont on n’attendait rien, avaient de ce fait la voie libre.]

     Déjà en dépeignant le vagabondage local, nous avons par la force des choses empiété sur la considération des autres formes de vagabondage. Celui-ci entraîne en effet le plus souvent, si l’on ne choisit pas telle ou telle carrière exceptionnelle comme la représentation de commerce ou la navigation, le vagabondage des professions. Après avoir cessé d’écrire des vers, Rimbaud fait tous les métiers : il est débardeur à Marseille, carliste [?], racoleur en Allemagne, soldat hollandais à Java, puis déserteur, employé de cirque en Suède, surveillant de carrière à Chypre. Sa vie est le grossissement de la succession des occupations chez beaucoup d’hommes de cette catégorie, illustrant ainsi les nombres de l’enquête statistique. Le nerveux goûte à chaque profession la jeunesse de l’expérience qu’il en fait, mais il la déserte, dès que l’habitude en a amorti la nouveauté et que la persévérance y exige l’effort. [Je ne dis pas non, mais l’exemple de Rimbaud me paraît un peu tordu : désireux de se faire le max de fric en peu de temps, et n’ayant aucune qualification tant soit peu lucrative, il a saisi les emplois qui passaient, pour finir par se stabiliser au Harar, où il se serait plus durablement installé, s’il ne s’était pas esquinté le genou. Il en est rentré avec des kilogs d’or sur les reins, alors que, répétiteur de latin en doulce France, il n’aurait pas mis un sol de côté. S’il s’est enrôlé dans l’armée hollandaise, c’est pour être transporté gratis à Java, où il espérait le filon, etc. Ne serait-il pas pour le moins obscurantiste de traiter de “nerveux” le bonhomme qui est bien forcé d’accepter mille boulots intérimaires pour ne pas crever de faim?] 

     Comment ne serait-il pas aussi vagabond en amitié et en amour? Il se lie rapidement et ardemment et, soit par une susceptibilité excessive et souvent injuste aux actions des autres, soit par son instabilité propre, le plus souvent par les deux, il commet une déloyauté en criant à la trahison! De là deux cas, qui se rencontrent souvent, l’un après l’autre, dans la vie d’un nerveux. Il rencontre un ami sincère, une femme généreuse. On l’aime d’autant plus vivement qu’il est plus séduisant et que sa sincérité, pour être momentanée, n’en est pas moins désintéressée; d’autant plus longuement souvent qu’il arrive vite à faire pitié parce qu’on le sent moins coupable par sa volonté que victime de son caractère. Mais il lui manque pour être fidèle à cet amour ce que la secondarité met de constance dans une âme et comme il a besoin des autres, qu’il est sensuel, il tombe peu à peu au niveau de compagnons ou de femmes, dont le cœur vaut parfois mieux que les mœurs, mais dont il doit partager la déchéance : ainsi Baudelaire ou Verlaine. Encore n’est-il pas sûr que ces nerveux soient les plus grandes victimes de ces associations mal faites, car, comme tous les émotifs inactifs, faibles envers ceux qui leur résistent, ils se font souvent les bourreaux de ceux qu’ils aiment. [Mais pourquoi cela? L’émotivité et l’inactivité ne l’expliquent pas!] De ces péripéties doit résulter le vagabondage amoureux. Synge encore a symbolisé dans L’ombre de la ravine l’essentiel de la sensibilité nerveuse dans le personnage d’un chemineau qui change d’amour parce qu’il doit changer de résidence. Ardents et infidèles comme Musset ou voluptueux et libertins comme La Fontaine, ils ne donnent leur cœur, violent ou léger, que pour le reprendre bientôt.

[Je n’en disconviens pas, toute espèce de couple durable m’est incompréhensible. Je peux “aimer”, soit, des années, une fille qui ne veut pas ou plus de moi, mais une cohabitation, même avec l’être le plus éperdument désiré, m’assomme en moins d’un mois, et “amour conjugal” sonne à mes oreilles comme un oxymore. Le paradoxe est que pourtant, sans désemparer, je vise au définitif à chaque nouvelle venue qui me tape dans l’œil; et d’autre part, il me semble que la couche d’ennui n’est que superficielle, et qu’en profondeur, quand une fille dont je suis fier m’avalise, gît un bonheur dont je ne prendrai conscience que lorsqu’elle m’aura trompé ou plaqué, dénouement auquel mon harcèlement moral n’est pas étranger. Il faudrait d’ailleurs mettre tout cela au passé, peu importe. Il n’y a pas à se casser la tête sur la séduction de la passante, à laquelle on prête tous les potentiels, alors qu’on a l’impression de connaître Bobonne par cœur, surtout si l’on a réussi à l’asservir, ou si elle fait comme si. Mais potentiel de quoi? Encore une fois l’essentiel me semble évité : ce qu’on cherche, ce n’est pas un objet, mais surtout un regard.]

D) Puissance de séduction. – Nous venons de contrôler et de confirmer les résultats de l’enquête statistique, en ce qui concerne les effets du groupement ÉP chez les nerveux, d’après les documents biographiques fournis par la vie des plus grands ou généralement des plus accentués d’entre eux. Ils nous donnent déjà d’eux une image assez pathétique. Il ne faudrait pourtant pas qu’elle fît méconnaître un trait essentiel à ce caractère, c’est sa puissance de séduction. Leur gloire littéraire ne serait pas si large, si la mobilité de leurs sentiments, telle que la conditionne l’émotivité-primaire ne rayonnait à l’entour d’eux en cause d’admiration et de sympathie. D’abord ce ne sont que leurs proches qui peuvent souffrir de leurs défauts personnels, leurs lecteurs ne connaissent que leur gloire et leur génie littéraire ou artistique. Ils les voient dans l’éclat de l’art. Mais ceux mêmes qui ont passé près d’eux, surtout les femmes, ont subi l’influence de leur séduction. C’est leur émotivité primaire qui fait la vivacité de leur regard, leur esprit, la contagion de leurs sentiments. [My ass! C’est leur désir éperdu de plaire, qui finit par s’autodétruire.] Étroits, ils apportent souvent une force singulière dans les expressions de leur sensibilité et de leur imagination; larges, ils participent au plus haut degré, du charme propre aux consciences que la conceptualisation ne dessèche pas. [Tout en me situant à un niveau de séduction plutôt bas, avec les + de 15 ans du moins, j’ai observé en effet que rien n’assommait la plupart des femmes comme la pensée systémique et systématique, à laquelle elles ne croient pas (d’où leur verbalisme et leur soumission aux idées reçues) et qui de toute façon leur paraît aux antipodes du bonheur. Or je suis une espèce de composé de primesaut imprévisible et d’acharnement systématique, entre lesquels je ne vois pas de contradiction, le travail et le fun ne valant à mes yeux qu’ensemble et associés. Mais apparemment, ce qui passe à l’oral, c’est plutôt la rigolade sans conséquence, alors que l’écrit, si marrant que je le veuille, paraît austère par manque de légèreté. D’où, en dépit de ma tronche en biais, une séduction en présence ou au téléphone sans aucun suivi à l’écrit, mon mode de communication de prédilection, et le seul par lequel, paradoxalement, je conçoive de séduire. Je crois être devenu incapable d’un autre échange qu’épistolaire; or, toutes les anciennes élèves qui ont renoué par téléphone, enchantées de sauter d’un coup dix, vingt ou trente ans, se sont lassées très vite des échanges de courriels, par flemme d’écrire, certes; parce qu’elles ne se sentaient pas à la hauteur, peut-être; me trouvaient puant pour mille raisons évidentes ici, dont quelques-unes pour moi, soit encore; mais d’abord, je crois, à cause de cette austérité de la “conceptualisation” inévitable à l’écrit.]  Dans les deux cas ils sont imprégnés de mélancolie et en suggérant les sentiments tristes ils attendrissent leurs lecteurs. Tout cela leur fait une grande puissance sur les sensibilités et il devient beaucoup plus aisé de leur pardonner leurs fautes parce qu’ils en sont les premières victimes, et même qu’elles paraissent la condition et le prix dont leur caractère les force à payer leur génie.

Partager cet article
Repost0
Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :
Commenter cet article