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Le blog de Narcipat

À la maison, 9 : Tableaux comparatifs

6 Mars 2014 , Rédigé par Narcipat Publié dans #VA : Teresa M. Amabile : comment on tue ou favorise la créativité des enfants

     Un groupe de psychologues californiens a effectué une fascinante étude de longue durée sur les foyers et familles des enfants créatifs. Ils ont comparé ces résultats avec ceux des maisonnées dont la progéniture manifestait une créativité bien moindre. Les tableaux 2 et 3 montrent les attitudes et comportements opposés des parents des deux groupes :

 

TABLEAU 2

 

Parents des élèves hautement créatifs

 

Attitudes adoptées par ces parents

 

Je respecte les opinions de mon enfant et l’encourage à les exprimer.

 

J’estime qu’un enfant devrait disposer de temps pour penser, pour rêver, et même pour flemmarder.

 

Je laisse mon enfant prendre beaucoup de décisions pour ce qui la concerne.

 

Mon enfant et moi vivons ensemble des moments de chaleur et d’intimité.

 

J’encourage mon enfant à être curieux, à explorer les choses et à les questionner.

 

Je m’assure que mon enfant sache que j’apprécie ses tentatives et ses réussites.

 

Ce que faisaient ces parents quand ils tentaient d’enseigner à leurs enfants les moyens d’effectuer une tâche

 

Encourageaient l’enfant.

 

Étaient chaleureux et solidaires.

 

Répondaient à l’enfant de façon à mettre en valeur son ego.

 

Paraissaient se réjouir de la situation.

 

Tiraient du plaisir d’être avec l’enfant.

 

Le soutenaient et l’encourageaient.

 

Faisaient son éloge.

 

Étaient capables d’établir une bonne relation de travail avec l’enfant.

 

Encourageaient [Ter! Toutes ces redondances sont, bien entendu, dans le texte.] l’enfant à continuer de façon indépendante.

 

 

TABLEAU 3

 

Les parents d’enfants moins créatifs

 

Attitudes adoptées par ces parents

 

J’enseigne à mon enfant que d’une manière ou d’une autre il sera puni s’il se conduit mal.

 

Je n’autorise pas mon enfant à se mettre en colère contre moi.

 

Je m’efforce de tenir mon enfant éloigné des enfants ou des familles qui professent des idées ou des valeurs différentes des nôtres.

 

Je crois qu’il faut qu’on voie un enfant, mais qu’on ne l’entende pas.

 

Je trouve mon enfant un peu décevant.

 

Je n’autorise pas mon enfant à remettre en question mes décisions.

 

Ce que faisaient ces parents quand ils tentaient d’enseigner à leurs enfants les moyens d’effectuer une tâche

 

Avaient tendance à structurer les tâches à l’excès

 

Avaient tendance à contrôler le travail.

 

Avaient tendance à fournir des solutions spécifiques pour mener les tâches à bien.

 

En situation, se montraient hostiles.

 

Critiquaient l’enfant; rejetaient ses idées et ses suggestions.

 

Semblaient avoir honte de leur enfant, ne plaçaient pas assez d’orgueil en lui.

 

Entraient en conflit pour le pouvoir avec l’enfant; compétition entre parent et enfant.

 

Renonçaient et battaient en retraite en cas de difficultés; échouaient à faire face.

 

Exerçaient des pressions sur l’enfant pour qu’il effectue les tâches.

 

Étaient impatients avec lui.

 

[Le film n’est pas très difficile à saisir : d’un côté, confiance, souplesse, positivité, insistance sur la réussite, même partielle; de l’autre, directivisme, rigidité, négativisme, menaces, aucun partage du pouvoir.  La répartition peut paraître un peu caricaturale, mais c’est souvent à notre insu que nous adoptons les comportements du second registre. Cela dit, je suis loin d’être certain que l’attitude systématiquement positive soit bien efficace avec la majorité des gosses de notre temps, qui semblent réfractaires à l’effort, et surtout à la persévérance, du moins quand c’est la tête qui doit, tant soit peu, travailler. Qu’on ne se préoccupe pas assez de faire naître un intérêt, c’est indéniable, mais il est bien possible aussi qu’il ne consente à se poser spontanément que sur des activités stupides et/ou de divertissement. Ma nièce de seize ans, qui se dit folle du Japon et des histoires de samouraï, n’a pas été fichue de lire plus de cent pages de La pierre et le sabre de Yoshikawa. Dieu sait pourtant que je ne l’avais pas pressée, et que l’attitude parentale est systématiquement positive! La contrainte est contre-productive, affaire entendue, du moins quand elle vous est imposée de l’extérieur; mais je doute qu’on puisse passer insensiblement de l’émerveillement d’apprendre et de faire du jeune enfant au minimum de discipline qu’exigent l’accroissement du bagage et l’œuvre élaborée. Il faut qu’on ait envie de s’adonner à une tâche, O.K., mais quand la tâche devient difficile, il faut qu’on s’y astreigne, et combatte une propension à la flemme, qui ne se résume pas, je le crains, à la peur d’échouer. Comment trouver du plaisir à l’effort et à combattre la difficulté (je dis bien la combattre, car la vaincre est évidemment jouissif), telle est la question, que pour mon compte personnel je n’ai toujours pas résolue. Du spin painting à Velázquez ou Dali, du vagissement de jeunesse à « Longtemps, je me suis couché de bonne heure », il n’y a pas de solution de continuité; or le spin painting, même très joli, ce n’est rien – à moins de ne retenir, de la prétendue création, que le bonheur qu’elle procure, et dans ce cas, on ne voit pas pourquoi elle aurait priorité sur une partie de pétanque ou un bon coït.]

 

DE QUOI IL NE FAUT PAS S’INQUIÉTER

 

     Si vous parvenez à créer le bon type d’environnement domestique, la créativité de vos enfants peut devenir remarquablement résistante. Il est naturel de vous inquiéter que les traumatismes variés, les bouleversements, les tragédies qui surviennent dans la vie de votre enfant puissent retarder sa croissance et sa créativité. La recherche fournit toutefois des éléments troublants qui suggèrent que des difficultés de ce genre ne saperont pas nécessairement la créativité. En fait, si surprenant que cela puisse paraître, elles peuvent souvent la stimuler.

     Dans certaines études, par exemple, l’absence de père (suite à décès ou divorce) semble s’associer chez les enfants à une créativité accrue. Une étude a montré que les enfants hautement créatifs ont en réalité subi un plus grand nombre de traumatismes que les enfants ordinaires. Et rien n’indique qu’un traumatisme précoce nuise à la créativité.

     Essayez, autant que faire se peut, de ne pas trop vous ronger des risques que prennent vos enfants. Aussi longtemps que leur vie, leur intégrité physique ou d’autres personnes ne sont pas en danger, le risque peut être un facteur important de développement de l’estime de soi, des aptitudes, et des intérêts.

     Et ne désespérez pas si votre enfant est une plante à floraison tardive. Le développement précoce est, en fait, un piètre indicateur de créativité ultérieure. Si votre préscolaire ne semble rien moins que brillant, souvenez-vous d’un trait que le scientifique Albert Einstein et la romancière Virginia Woolf eurent en commun : ni l’un ni l’autre ne sut parler avant l’âge de trois ans.

[Curieuse et intéressante conclusion, qui remet en perspective tout ce chapitre (voire tout le bouquin) essentiellement consacré à la créativité des gosses d’âge pré-scolaire! Il est savoureux de lire après cela que ces petits génies du collage et du modelage rentrent ensuite pour la plupart dans le rang, et qu’en conséquence préserver la créativité n’est peut-être pas précisément la tâche la plus urgente. Il serait intéressant d’étudier sur plus de deux cas, et avec plus de précision, les rapports qu’entretiennent les retards et handicaps apparents avec d’éventuelles réussites ultérieures. Ne nous payons pas de balivernes, tous les inventeurs et créateurs n’étaient pas de vilains petits canards, mais je croirais plus volontiers à cette vertu de la carence et du défi relevé, du manque que seul l’exceptionnel peut combler, qu’à tous ces foyers chaleureux, où l’on vous raconte des histoires, où l’on vous met le pinceau en main, vous prodiguant les encouragements, et qui n’ont pas mis quinze jours à me porter sur les nerfs : cette création si facilement acceptée, qui ne dérange personne, n’a rien à voir avec la vraie.

     La souffrance n’est certes pas une recette, elle abat beaucoup plus souvent qu’elle ne stimule, mais sa vertu éducative, célébrée par de nombreux écrivains, a peut-être été un peu trop passée sous silence dans le texte d’Amabile. Il est vrai que ça craindrait quelque peu, à supposer que la maltraitance permît l’envol vers les cimes, de la conseiller, si “scientifique” que se veuille l’ouvrage. Mais enfin, c’est là, bleu sur blanc : plus vous aurez subi de traumatismes dans votre enfance, plus vous serez créatif! De là à violer les gamins, sinon pour leur bien, pour celui, à long terme, de l’humanité, il y a… quelques pas, que je me garderai bien de faire. Mais c’est l’occasion de rappeler que le bonheur est prioritaire : qui donc souhaiterait pour son rejeton la vie de Modigliani ou d’Emily Dickinson? ou même celle de Rousseau… pour ne rien dire des légions de perdants qui n’auront jamais vu le reflet de leur œuvre dans l’œil d’autrui… Prof, je confesse que j’attachais plus d’importance aux deux ou trois qui sortaient de l’ordinaire qu’aux gros bataillons de bacs au rabais; et je me lavais un peu les mains des illusions que je risquais de donner à cette “élite” sur ses possibilités de percement. Indéniable égoïsme : c’est surtout à me former des interlocuteurs que j’aspirais. Mais je n’aurais pas choisi pour eux une vie de malheur, même avec l’assurance de déboucher sur Les frères Karamazov!

     Je ne me donne pas, on l’a vu, pour un modèle de créativité, il s’en faut bien. Mais je crois que l’obsession de trouver du neuf et de comprendre (en très grande part pour montrer que j’ai compris, mais pas seulement, j’espère) me poursuivra jusqu’aux premiers grondements du gâtisme [1], et je ne suis pas certain du tout qu’il en irait ainsi si une sage-femme avinée (ou un obstétricien maladroit) ne m’avait crevé un œil à la naissance, et si les déficiences parentales ne m’avaient incité à tirer de cette mutilation toute une mythologie du rejet. Il y a des chances que la plupart des mecs de mon âge, qui n’ont plus à lutter pour leur quignon, s’autorisent à se la couler douce, ne portant pas ce fardeau d’un déficit à (sur)compenser – et n’étant pas, de fait, tenus pour des objets de rebut, ou se refusant à en prendre conscience. Et je ne prétends pas me fatiguer beaucoup moi-même; mais je vis dans l’insatisfaction permanente de ne rien trouver, laquelle pourrait être liée au fait que créer et comprendre relèvent d’impératifs surmoïques/narcissiques, et non de la jouissance. Ce qui complique tout, naturellement, c’est que l’incréativité ne peut être constatée que sous sa forme la plus simple : « Il ne trouva rien. » D'une production non-créative, tout ce que j’observe objectivement, c’est qu'elle n’intéresse personne, et les techniques de diffusion peuvent avoir le dernier mot. De sorte que je suis écartelé entre les deux questions : suis-je, de fait, stérile? Et pourquoi? La réponse au un, d’évidence, devant précéder l’investigation du deux. Mais cette réponse, dans la solitude, ne peut que m’échapper : l’évaluation de l’accompli m’est impraticable, et de toute façon, ne saurait préjuger de l’existence d’un potentiel éventuellement libérable.

     Une chose est certaine, c’est que la traduction et le commentaire de ce livre, qui m’avaient paru prometteuses, ne m’apportent rien, et me prennent trop de temps, bien que je bâcle et bavarde de plus en plus. Soliloque pour soliloque, mieux vaut le poursuivre in ovo, et essayer de marcher, plutôt que de m’évertuer à l’analyse impossible de mes non-pas. Il y a un bail que la nouvelle version d’Over-blog aurait dû naufrager narcipat, et peut-être devrais-je prendre les devants. Mais continuer de mettre en ligne la part “achevée” de l'Inventaire ne me coûte qu’un peu de honte, au vrai croissante, à mesure qu’émergent les faiblesses du texte, qu’elles se multiplient de fait ou que la dépression me fasse voir tout en noir. Un de ces quatre, j’effacerai tout, et sans préavis. Mais j’ai quand même les boules que l’effondrement ne s’ensuive. Alors… essayons, pour le moment, d’embrayer.]

 

 

[1] Voire au-delà, à ce qu'il paraît (note de 2018).

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