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Le blog de Narcipat

L’inaction sied aux cons  

25 Mai 2018 , Rédigé par Narcipat Publié dans #Bilans

    L’avantage d’avoir lassé tout le monde de mes jérémiades, c’est qu’elles s’en trouvent lavées de tout appel : c’est certainement un soulas immense qu’une main qui tienne la vôtre au seuil du néant, et vous détourne l’esprit du non-être ou des sombres enquiquinements qui vous attendent, mais encore faut-il qu’on serre votre main, qu’on s’adresse à votre spécificité, disons même singularité : aux fonctionnaires de la compassion, je n’ai envie de dire que des injures : raison sans doute pour quoi je m’absolvais allègrement d’avoir malmené F. lundi : tant qu’à faire, mes rosseries témoignaient de plus d’attention pour sa personne que le silence qu’eussent pu mériter ses platitudes. [1] Passons : il se peut qu’une nécessité physique (qu’elle résulte ou non d’une erreur médicale) masque une grave carence affective, reste que l’alternative, trépas ou dépendance doublée d’inutilité, sera incontournable à brève échéance, d’une part, et de l’autre qu’il va falloir affronter la camarde seul, donc avec des ressources diminuées pour en éluder la grimace : des mois à l’avance, je ne m’en inquiète pas, mais j’ai bien peur d’avoir très peur de tout près, pendant les vingt minutes de conscience qui sépareront l’ingestion du plongeon. 

    Merde, après tant d’années passées à m’observer, à m’imaginer penser à la grande bascule, parfaitement certain de ma lâcheté face à la douleur, il faut bien admettre que je n’ai aucune notion du comportement que j’adopterais à l’instant fatal, surtout sans témoins pour me contraindre à un minimum de dignité. Il me semble que le seul antidote à la terreur de disparaître est, paradoxalement, l’amour (A-R) de ceux qu’on quitte, qui m’est inaccessible et l’a sans doute toujours été, ou de se monter la tête avec la trace qu’on laissera, ce qui m’a toujours paru hors-sujet (puisqu’on ne sera plus là pour en jouir), et sur quoi l’ultime relecture de L’Inventaire dissipe jour après jour les illusions qui auraient pu subsister [2]; et simultanément, que ce ne sera rien, parce que ne plus être n’est rien, et qu’au surplus j’aurai soin de ne pas y penser : pour un peu, j’affronterais l’épreuve comme le comte de Charost, avec un bouquin (mais sans marque-page!), que j’aurais choisi aussi désopilant que possible, genre David M. Pearce ou Carl Hiaasen, ou cette petite Hénaff dont les Poulets grillés m’ont bien diverti hier soir… non sans un zeste d’énervement à l’idée de souiller ma scène de suicide avec des conneries pareilles! Mutatis mutandis, il en ira de la mort comme de cette crise de foi d’il y a deux ans et demi, l’injonction de sauver mon père qui me venait d’on ne sait où, et à laquelle j’ai refusé le “suivi” par paresse, c’est-à-dire un composé de dorlotement hédonégoïste et de peur de perdre le contrôle… à moins que le blocage obstiné face aux “Écritures” (alors que j’ai lu mille sottises dans l’intervalle, parfois ennuyeuses à périr!) ne relève d’un endurcissement démoniaque… Toute ma vie fut-elle une fuite devant une connaissance perçue comme invasive? Il suffit de voir abandonné là, prenant la poussière près de mon pieu depuis un mois, le bouquin d’Holbecq et Derudder sur la dette publique, pourtant court, simple et lumineux, et toutes les honteuses sottises qui l’ont devancé à saute-mouton… Ça m’aurait pris une heure ou deux de mieux comprendre le monde où nous vivons, et on dirait que c’est ça même que j’évite de toutes mes forces. Et zut, tiens, ça me ficherait le “mourons” (tout de suite!)… si je pouvais me fier à ce point à mes propres décisions.

    Le fait est qu’il continue à me parvenir des “messages” apparemment destinés à rabattre mon orgueil en insinuant que mon jugement ne vaut pas un clou. Hier, chez LIDL, c’est le numéro de ma carte bleue qui m’échappe, un numéro que j’utilise depuis dix, douze ans, quinze peut-être – parce que, me convaincs-je, il ressemble trop au prix de mes achats? Un seul chiffre, de fait, différait, ce qui explique à la rigueur une première étourderie, mais pas le blanc qui s’est fait ensuite, ni l’incertitude où je suis demeuré des heures. Il faut dire qu'un des départements français qui m'ont été alloués n'a pas de gueule, il fait partie d'une de ces séries de “dans le même coin” qui se distinguent mal les uns des autres… Halte aux excuses, et n'en disons pas trop, ce serait le comble. Il y a d’ailleurs un second démenti, plus bénin, en cette affaire : je m’étais collé dans la queue “tous paiements”, qui m’avait paru plus courte que “carte bleue seule”; or un grincheux faisait des histoires pour un étiquetage erroné de la nourriture pour chiens (dont il avait, au vrai, embarqué un plein caddy), de sorte que tous ceux qui n’avaient pas déposé leur bordel sur le tapis ont fini par se détourner sur la caisse d’à côté : « Tu parles, ronchonnais-je in petto, j’ai encore choisi la mauvaise file »… Pas vraiment, puisque sur l’autre, j’aurais été vraiment coincé. « Merci Seigneur, si tu existes! »

    Et ce matin, coup sur coup… J’avais commandé sur eBay un clearomiseur Kangertech T3S, pour essayer, les T2 authentiques étant devenus introuvables : impec! J’envape mon burlingue toute la soirée, et au matin colle sur le site un éloge dithyrambique de l’objet : sur ce, recharge du réservoir, vigoureuse aspiration… Je m’étonne que la batterie ruisselle gras… jackpot! l’embout est niqué, en éclats, irrécupérable… et naturellement, le “commentaire additionnel” vengeur ne s’affiche pas. Plus fort encore, peut-être : je ne sais pourquoi Simone de Beauvoir, à qui je ne pense jamais, s’est insinuée dans mes rêveries d’avant lever, plus précisément sur le thème, parti de Drieu et d’Ormesson : « Ils fourrent décidément n’importe qui en Pléiade », et de dévider la liste, avec cette exception : mais tout de même pas la grande Sartreuse, ils n’oseraient, le sinistre ennui que distille son style n’a décidément aucune chance de ressusciter »… (quoique Le deuxième sexe m’ait causé une surprise agréable (et tardive)). Sur ce, déboule une pub chapitre com : je clique et, surprise! c’est Momone qu’ils ont choisie cette année pour la Quinzaine, et, au 110ème anniversaire (ce qui est en un sens plus troublant, car ils sont moins obligés), les voilà qui publient deux tomes de sa terne autobiographie… nécessairement moins exécrable que ses romans, mais de si peu! Alors que George Eliot (pour ne rien dire de L’idiot de la famille, sommet (rarement violé) de son demi-siècle) n’est même pas en projet! Mais me voici, du coup, dissuadé de vaticiner que “ça ne va pas marcher”, et qu’ils vont garder les stocks sur les bras…

    Je sais bien à quel point il peut paraître ridicule de voir dans toute erreur de jugement l’intervention d’un Dieu facétieux qui me soufflerait que la raison seule, la mienne surtout, est un fort mauvais guide, et que je devrais y regarder à deux fois, et peut-être consulter, avant de me zigouiller. D’abord, les faits arrivent prématurément, puisque ledit décès est remis à l’hiver. Et puis, merde, quelle conclusion plus générale suis-je censé en tirer? Celle de m’abstenir de tout avis, même interne, ou de réfléchir, et surtout de m’informer, davantage avant d’en formuler, voire d’en concevoir un? Dans l’immédiat se posent un certain nombre de problèmes, dont celui d’opter pour un type d’action à l’A.G. – et “immédiat” est trop dire, attendu que le 25 mai on n’a encore reçu aucune convocation… si toutefois je n’ai pas été frauduleusement exclu des listes, en considération du pouvoir que Céline, s’abreuvant à  un passé bien révolu, peut prêter à ma parole. Couper notre administrateur judiciaire en deux parts inégales, est-ce vraiment un service à rendre à la collectivité avant de tirer ma révérence? Sans doute, si c’est une fripouille, ce dont j’ai peut-être tort de me tenir pour certain, car ça implique que la plupart des membres de ce CS domestiqué soient imbéciles ou complices.  Mais du coup je peux me faire coxer, et me mettre dans l’impossibilité de hisser les voiles vers les sommets gelés de la Fin. En outre, à moins d’être confronté à un improbable règne de Mars, Thor ou Huitzilopochtli, je doute qu’un meurtre soit très bien vu dans l’au-delà, comme ultime  (disons même unique) prouesse. Mais que puis-je faire d’autre, surtout si l’escroquerie a déjà fait le plus gros de son œuvre, changé les trois quarts des proprios, si, d’ores et déjà, deux ou trois grosses sociétés ont refermé leur paluche sur mon immeuble? On dirait que le message de toutes ces boulettes et méprises anecdotiquotidiennes, c’est : « Attendu ton esprit irrémédiablement tordu, tu ne peux faire que des conneries. Donc abstiens-toi! » Mais, tonnerre, m’abstenir, j’ai déjà l’impression de ne faire que ça!

 

 

[1] Apparent désaccord là-dessus avec une majorité d’humains, qui semblent trouver une mercuriale plus offensante que le silence. Va savoir : ce sont les mercuriales qu’ils reçoivent, et le silence qu’ils m’infligent. On ne peut affirmer que j’aie follement goûté les rares engueulades que j’ai reçues, ni que mes rares exercices de mutisme soient tous restés sans impact.

 

[2] Ce n’est pas du Cas Trou, me semble-t-il, qu’il faudrait crucifier un extrait, mais de ces premiers livres de ma Somme, Spectre de Proust, Comment commencer, Esquisse de l’outrecuidance, Mentir et se mentir, ceux que je tenais, ou peu s’en faut, pour les plus achevés, qui devraient être, en tout cas, les plus travaillés, et qui, creux? guindés? niais? scolaires? histrioniques? chichiteux? trop denses? obscurs par défaut de distanciation? en tout cas ne se lisent pas au delà d’une page ou deux : la censure de Grogl reste probable, mais il n’en était guère besoin : tout ce fatras est verrouillé, et ne fait pas naître une minute le désir d’aller plus loin.

 
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