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Le blog de Narcipat

Au delà du chantage?

22 Mai 2018 , Rédigé par Narcipat Publié dans #Bilans

    Sur ce, passons aux choses sérieuses, à celles du moins qui le sont pour moi, ou que je m’efforce d’estimer telles, bien qu’à la rigueur j’en sois incapable sans l’aval d’autrui, dont il faudrait tout de même apprendre une bonne fois à me passer, fût-ce in extremis. Après tout, cet autrui relève de l’absolu, il transcende tous les êtres que je connais ou ai connus, et je ne pense pas qu’il ait ombre de chance de s’incarner même imparfaitement pendant le peu d’ans qu’il me reste à vivre, lesquels pourraient se réduire à peu de mois si un très probable glaucome poursuit son accélération : la vie sans vue me reste inconcevable, et je n’envisage même pas de mettre la pédale douce : lire et écrire un peu moins? Et quoi faire à la place, vous pouvez me dire? Chercher la vérité ou écrire des poèmes les yeux clos? Devenir créateur en musique? Mes lyrics ont cinquante chansons d’avance, personne ne fera ce boulot à ma place, et ça ne me prendrait qu’une heure de changer ma chambre d’angle (je n’aurais jamais le cœur de chanter à portée du palier) en studio d’enregistrement… Mais cui bono? S’il ne s’agit que d’occuper le temps à contre-dons, je peux aussi bien aller me promener, tant que je distinguerai encore où mettre un pied devant l’autre… Non, millemerdes : je peux le prendre comme une pénitence, s’il s’avère que je sois un abominable pécheur, et attendu par autre chose que le Grand Sommeil [1], mais comme, du train où je vais, je ne risque pas d’en obtenir la preuve avant d’arriver de l’autre côté, il s’impose de mesurer le risque de cécité, et de prendre le raccourci avant qu’il ne soit trop tard. Tout me porte à croire que mon ophtalmo, “très estimée dans son quartier”, s’est convaincue que la compétence était son fief inaliénable, et soit devenue ipso facto, à l’insu de ses patients, fort peu fiable, un peu comme moi-même, le plus concis des écrivains vers 1980 [2], j’ai basculé dans le bavardage. Il est en tout cas certain qu’après m’avoir seriné ad nauseam que je n’étais affligé que d’une “petite cataracte”, et aurais sans doute le temps d’attendre qu’à la chirurgie le progrès substitue d’autres types de soins, la voilà qui, en fin de consult’, en février 17, semble visitée d’une idée : elle me prend par la manche, ou quasi, et m’entraîne jusqu’à un appareil dont tout me porte à croire qu’il sert à mesurer la tension de l’œil : l’examen semble peu enthousiasmant, mémère s’assombrit, et me colle une ordonnance de Cartéol, auquel est substitué le Monoprost un an plus tard, toujours sans un mot d’explication : comme je sais à peu près lire une notice de collyre, que ma vue ne cesse de baisser et de se brouiller, ni l’œil de me péter de plus en plus tôt (au sortir même du sommeil, ce matin), je suis bien obligé de m’interroger sur l’issue possible d’une opération : celle de la cataracte n’était qu’une formalité suivie de résultats “miraculeux”, il n’en va pas de même, selon diverses sources webbeuses, de celle du glaucome, qui, au mieux, conserverait le statu quo : un succès pas assez engageant pour prendre le risque de se relever aveugle du billard, et sauter d’un coup à une dépendance extrême qui pourrait durer très longtemps si je cane face au bobo ou à la famine; car, répétons-le, je ne trouverai aucune aide sur ce plan, ni gratuite ni contre rémunération : je serai acculé à la défenestration-marmelade, ou autre solution douloureuse.

    Il se trouve qu’il tomberait assez bien que ma vie s’achevât dans l’année, car je n’ai plus rien à en faire : l’Inventaire n’est pas précisément terminé, mais l’étude de mon propre style est au fond accessoire, ça me brise les burnes de m’y astreindre, je crains de n’être pas en mesure de remarquer mes propres aspérités, à moins de me servir, pour les traquer, de conclusions préalables, et alors, à quoi bon? Quant aux “ultimes révélations”, je doute qu’il m’en parvienne en ce monde. Ajoutez à cela que ce chef-d’œuvre ou cette merde n’a pas de lecteur, comme tous les blogs que j’ai détachés du tronc commun, que la censure Gougueulienne en soit ou non cause. (Les chiffres semblent parlants, mais on voit mal pourquoi Narcipat serait seul épargné.) N’importe : je me suis attelé à un ultime rapetas, qui risque de durer facile jusqu’au déclin de l’hiver : il y a quand même là plus de 4000 A4 (en Georgia corps 14, avant d’être contraint de grossir encore) dont je ne puis soigneusement toiletter qu’une vingtaine d’affilée : au delà, je ne fais plus qu’entériner, “l’œil assis dessus mon livre”. Bien sûr, je pourrais m’y remettre après pause, mais cette, ces pauses, il faudrait encore les occuper, et corriger à outrance, avec ou sans recherches stylistiques, n’est pas l’idée que je me fais d’une journée créative. Alors quoi? D’autres chansonnettes? Pourquoi pas? Certaines ne sont pas si mal, et du précieux pourrait avoir décanté. Une nouvelle trado? J’y songe : les diverses autobiographies de Stephen Fry me séduisent fort, et le boulot ne semble pas fait. Mais ce ne sont là que des compléments : le plat de résistance d'une “nouvelle JOP” manque, et à cet égard tout ce que j’ai tenté depuis deux mois m’a pété dans la main. “Rien à dire” n’est pas une situation si défavorable qu’il pourrait y paraître; c’est en tout cas l’occasion pour soi de trouver du neuf. Occasion théorique, mettons.  Il se peut qu'il soit des vieux pour trouver des filons avant de basculer dans le puits. Mais l'ordinaire de notre temps, c'est ce grouillement d'exténués qui se sont fait un nom, et n'en sont plus que l'ombre, avec rien en magasin, et trop de probité ou d'orgueil pour engager des nègres : inutile de commencer des listes : si talentueux qu'ils se soient montrés avant, c'est la dérive ordinaire des écrivains de 60-70 ans, un dégât collatéral, en somme, des progrès de la médecine. Pourquoi donc ne serais-je pas “vidé”, moi aussi, sans avoir jamais été “empli”, de talent ou de louanges? Pourquoi donc l'arbuste fossilisé espérerait-il un printemps? Ni sur ce plan ni sur d’autres ma vie ne grouille de grâces. Et je ne peux même pas trouver étrange, après avoir tant attendu cet après-Inventaire (pour des souvenirs en liberté, un roman du siècle, un recueil de joyaux quelconques) de me trouver vacant quand il est à peu près advenu. Donc, « Merci, Seigneur, si tu existes », comme dirait feu Sertillanges, « de m’avoir permis de remplir ce pot de chambre avant de claquer. » Après tout, je suis à peu près dans la même situation psychique qu’en novembre 14, et quatre ans de sursis ne sont pas à dédaigner, même s’ils ne m’ont pas fait la jambe plus belle, et si, après coup, on aurait préféré ne pas se rater.

    

 

[1] Je viens d’écouter Lazare, un oratorio assez marrant d’Alfred Bruneau, sur un “poème lyrique” de Zola, où l’idée unique est celle d’un aller-retour : Jésus, sur les instances de la mère, de l’épouse et du fils, ressuscite son pote, lequel ronchonne : il était si à benaise dans l’inexistence (« J’ai couché avec la mort, et c’était si bon »…) qu’il supplie Jésus de l’y renvoyer, finissant par convaincre sa petite famille de joindre ses prières aux siennes, et hop! « Lazare, rendors-toi! » – « L’immensité noire, l’infini du silence, ô Jésus, merci! » Bon, d’accord, c’est idiot, je l’ai dit en prose et en mauvais vers, mais cette absurde “volupté du néant” calque assez bien ce qu’on peut éprouver, au réveil bien sûr, après une anesthésie (ou un suicide raté aux benzos), et correspond à ce que je puis espérer de mieux, me semble-t-il, d’un Rétributeur, attendu qu’il m’est possible de changer d’actes, mais non pas de motivations.

 

[2] Pour prouver cette assertion, je songe à mettre le Cas Trou en ligne, quitte à le déchirer férocement entre crochets.

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