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Le blog de Narcipat

Divagations en orbite autour d’un œil malade

30 Mai 2018 , Rédigé par Narcipat Publié dans #Bilans

    Et merde, j’ai un de ces maux d’œil, ce matin, à courir aux urgences ophtalmo, si je ne savais comment on vous y reçoit (« Les urgences ne sont pas un supermarché ») et qu’il suffirait de douze heures de sommeil, voire de huit, pour me rafraîchir le calot… Manière de dire, en réalité je ne sais rien du tout, et, en remettant mon trépas à l’hiver, je laisse peut-être passer la dernière chance de prendre le raccourci avec un semblant d’élégance. Il est vrai que d’élégance, je n’ai rien à cirer, et que ce souci d’être vrai plutôt que de me raidir sur une attitude superbe à ma dernière heure pourrait bien constituer mon pire handicap.  « C’est pas juste! J’ai pas eu le temps de corriger mon Inventaire! » Je me fais l’effet, l’altruisme en moins, de ce Mourant de La Fontaine, “qui comptait plus de cent ans de vie”, et qui piaille à la Mort :

Ma femme ne veut pas que je parte sans elle;

Il me reste à pourvoir un arrière-neveu;

Souffrez qu’à mon logis j’ajoute encore une aile…

    Bon certes, je n’ai pas cent ans; mais moult autres ont claqué plus tôt que ça, et surtout un sursis de trois ans et demi m’a été accordé, dont je n’ai su rien tirer : la vie, ou le choix de vie que j’ai fait, ou qui s’est imposé à moi, ne cesse de rétrécir : il suffit d’un aperçu de ce sombre pan de Pléiades, entre les deux portes-fenêtres, dont les apparats critiques me sont depuis longtemps déjà quasinaccessibles, et dont à présent je ne déchiffre le corps du texte qu’avec des lunettes superposées… ou simplement de mesurer ma stérolo… eh non : ma stérilité, quand je tape les yeux fermés, faisant parfois autant de fautes que de lettres… “Qu’on sortît de la vie ainsi que d’un banquet”, ouais, mais c’est plus facile à dire qu’à faire, et le “bonhomme” La Fontaine, non content d’avoir abjuré ses contes et ses fables, portait cilice dans la dernière ligne droite : la peur de l’enfer l’avait chopé sur le tard, et j’aimerais être sûr que ça ne témoigne que de la puissance du Zeitgeist et de la sotte emprise des religions.

    Une chose est sûre, c’est que l’approche de la mort, qu’elle soit ou non volontaire, ne préserve pas de la futilité, et même pourrait bien l’aggraver. Bien des choses ne comptent plus, dans le sas du pré-caveau : les prestiges, certes, mais aussi les luttes, l’avenir de l’humanité, la permanence de l’injustice et du mensonge, même la connaissance de soi… Tout cela, brusquement, se trouve dévêtu de la moindre importance, la perspective d’une disparition de la conscience, c’est-à-dire de tout, ôtant tout sens aux interrogations de la vie. Il s’y substitue celles que suscite la mort, terriblement puériles et autocentrées, je veux dire encore plus autocentrées, même pour un narcisse quasi-militant. Évidemment, elles ont un caractère universel, mais au fond elles se ramènent pour moi à l’alternative bien connue :  une vie sans corps est-elle concevable? Existe-t-il un Dieu? Va-t-il me punir, et de quoi? De ce que j'ai fait, ou de ce que je suis? Est-ce que je n’aggrave pas mon cas en mettant les voiles avant l’heure? Le problème, c’est que si les grandes religions – qui regroupent une écrasante majorité de crétins, mais aussi, je suppose, un nombre non négligeable de croyants lucides – sont dans le vrai, ça va chauffer pour mes fesses, sauf à rejoindre l’“ecclesia in sanctis” par la venelle de l’altruisme des actes, même si les motivations sont irrémédiablement pourries, et à faire au moins un effort pour éclaircir les questions qui ont ressurgi devant moi, et qui pourraient être autant de grâces dont je me serais montré indigne, en partie par crainte de passer pour un con.

    Cette corrélation du Q.I. et de la croyance religieuse ne devrait pas m’impressionner à ce point, d’abord parce que je ne nourris aucune révérence pour le Q.I. et les questions sur la base desquelles on est censé le déterminer. Que j’aie vu de très grands connards (et connasses) dotés d’un Q.I. élevé n’est évidemment pas à retenir contre lui, vu qu’il est facile de rétorquer que le connard, en l’espèce, est plutôt le juge; mais ce sont des formes d’“intelligence” routinières et respectueuses qui me semblent ordinairement favorisées par les tests, l’innovation étant plutôt négligée ou carrément mal vue : rien là d’un plaidoyer pro domo, je ne me considère pas comme plus inventif que logique (il est possible néanmoins que, me sentant, en gros, con moi-même, je m’efforce de plaider en faveur d’une connerie universelle). D’autre part, on ne peut qu’être surpris quand on lit que les seules religions dont les sectateurs comportent plus de Q.I. élevés que les athées sont 1) la juive (33%), 2) l’anglicano-épiscopalienne (29%), considérées comme “libérales”, ce qui semblerait indiquer qu’on y inclut les nombreux incroyants qui se rangent sous ces bannières. Cela dit, je ne mets pas en doute que ça n’exige une cervelle particulièrement déliée de parvenir à percevoir dans la Torah autre chose qu’un tissu de monstrueuses stupidatées – “reconnues” il est vrai par les chrétiens et les musulmans, mais les uns et les autres ont au moins  l’excuse, dans leur écrasante majorité, de ne les avoir jamais lues, alors qu’on n’imagine pas un “juif pieux” qui ne sache sa Torah sur le bout du doigt. Comment il arrive à croire à ces conneries avec 130 ou 140 de Q.I., je n’en suis que médiocrement curieux, bien que ça ne me paraisse pas un argument négligeable contre ledit quotient. Ma conviction, c’est que pour ces gens-là, absorbés dans le casuisme des microbservances, la foi ne fait pas un instant question. Est-elle même tenue pour nécessaire, je me le demande.

    Notons en passant un autre fait étrange : d’après la même “enquête” intra-américaine, les athées (25% de Q.I. supérieurs à 120) seraient plus malins que les agnostiques (19%) : on se demande à partir de quel degré d’incroyance le doute cesse d’être bon signe! Il est vrai que les chiffres doivent ici friser l’insignifiance, puisque les non-croyants représentent à eux tous (en 2008, apparemment) 10% de la population des U.S.A. Et bon : on peut toujours supposer les agnostiques alourdis par un troupeau de chéééépaaaas bêlants, qui n'avaient ni les moyens ni le désir de chercher.

 

    Ces lignes, interrompues par la cuisson oculaire, et qui datent de dimanche, ne méritent pas d’être publiées. Mais comme elles ont déjà plein de petites copines avec qui jouer dans cette cour… aggravons notre cas. Lundi, journée-bandeau, en prévision d’un mardi médical chargé, puisque je pensais profiter de la consultation du Ponte de l’urologie locale (dont la vertu d’accueil s’est avérée conforme à sa réputation : excellente! Je me demandais, à constater avec quelle courtoisie il recevait un clodo comme moi, pourquoi tant de ses pairs tiennent à se signaler par leur arrogance) pour faire un crochet par les urgences ophtalmos toutes proches, avant de finir ma journée par l’extraction de deux dents de sagesse. Hélas, si l’on ose dire, suite au repos du lundi, mon œil se portait plutôt bien le lendemain, et je n’eus pas le courage d’endurer des heures de queue pour ne récolter au bout que les propos, sarcastiques ou émollients, d’un interne. Quant au dentiste, il décida, vu l’état des lieux, de ne m’arracher qu’un chicot, et de remettre l’autre à la semaine suivante : depuis quinze jours, de toute façon, c’est purée-yaourt à tous les repas. Je ne fêtai donc ça qu'en grignotant jusqu’à minuit les prétendues “œuvres complètes” de Bret Easton Ellis, que j’avais butinées en Bouquins pour dix balles, pour ma parfaite déception, et le plaisir plus secret sans doute d’effacer les bienfaits du régime cabinet noir de l’avant-veille. Il me semble parfois – quelle blague! tout le temps, qu’il suffirait de convertir deux heures, voire une seule, de fatigue oculaire en l’équivalent de musique, de muscu, ou, plus sûrement, de sommeil, pour stabiliser ma vue et prolonger ma vie. Mais que j’ai autant de patience qu’un môme de six ans : quand ça va bien, il faut que j’en abuse jusqu’à skeçaille mal. Foutu connard, auquel l’expérience n’apprend rien! Si au moins toutes ces lectures et scribouillages me donnaient du plaisir ou étaient utiles à d’autres! Mais il s’en faut bien.

    Quittons les puérilités, ou plutôt les mesquineries de la survie, pour revenir à celles où la mort nous confine. Seigneur! Quoi de plus étriqué que cette question de l’origine de la Trace sur le Linceul, sur laquelle je persiste à me focaliser, sans me donner les moyens de la résoudre? Rien de plus aride, ni cependant de plus important par ses implications, si l’on tient là la preuve de la métamorphose en lumière d’un corps que la tradition lie via textes à un certain nombre de paroles, souvent insensées ou démenties par les faits, plus d’une fois sans doute mal comprises ou mal traduites, mais dont certaines exigent, par leur gravité et leur insistance, qu’on s’en préoccupe fissa avant de faire le voyage, ou de choisir de s’en dispenser, dans l’espoir d’un rattrapage in extremis

    Et au fond, n’est-il pas aussi ridicule de s’interroger, surtout à blanc, et sans le moindre souci de probabilités, sur les complications du monde, et surtout de la vie, qui semblent insondables? Voltaire ne craignait pas de comparer l’univers à une montre, mais il n’avait aucune idée des milliards d'années qu'a duré la combinatoire, et n’était pas nécessairement sincère dans ses écrits : à ses yeux, Dieu, et une religion étroite, étaient indispensables pour empêcher ses domestiques de l’estourbir et de le dévaliser. Que m’importe son avis, d’ailleurs : ils sont des foules à mesurer à quel point leur religion est enracinée dans la contingence, et à choisir tout de même de la conserver ou d’y revenir : parfois je crois sentir qu’une telle option m’arrangerait, mais à condition de renier l’œuvre d’une vie, ce dont je n’aurais le courage que dans la perspective d’une mort immédiate, ou inéluctable à brève échéance. Et puis qu'importe ce “courage”? Je n'en croirais pas plus.

    Bordel, des millions de gens ont calanché sans y faire tant de façons, en quittant leur tranchée pour en conquérir une autre, ou plutôt parce qu’on les aurait fusillés s’ils étaient restés planqués. Pourquoi m’accorder une telle importance à moi-même, et sombrer ipso facto dans la bassesse? Que me reste-t-il donc à faire? Si j'ai jamais servi, il y a bien longtemps que je ne sers plus.

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