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Le blog de Narcipat

Difficultés théoriques et pratiques de l’altruisme

1 Avril 2018 , Rédigé par Narcipat Publié dans #Conversion?

    Il ne fait donc pas de doute, si forgerie inconsciente y avait, qu’un intérêt psychique y présiderait : je suis gravement en manque de raisons de vivre ces temps-ci, quoique plutôt euphorique… depuis mon désondage, allais-je écrire, mais ne nous moquons pas du monde : il y a quelques ans que l’espoir d’être reconnu me quitte goutte à goutte; le canular d’août a massivement rerempli la citerne, je ne le nie pas, mais elle s’est assez vite revidée, et je ne m’en porte pas plus mal. Pour éviter d’éventuelles souffrances extrêmes, j’ai mis de côté, sur les ordonnances du bon Docteur Bâfre, nettement plus que la dose létale de Laroxyl indiquée par le Suicide mode d’emploi; l’ennui, c’est qu’on ne peut noyer dans des flots de flotte l’amertume insoutenable de ce liquide, car il bloque les mictions : alarmé par les symptômes, j’ai découvert dans la première colonne de la notice, que Bâfre n’a apparemment jamais lue : « Ne prenez jamais LAROXYL 40mg/ml, solution buvable dans les cas suivants : […] difficulté pour uriner d’origine prostatique ou autre. » Félicitations, mon cher Docteur! Cette interdiction absolue, en bien gras, dans un papier si respectueux de la prescription de votre médecin, donne à penser. Mais il va me falloir un gros effort d’altruisme pour casser le morceau, car mon stock n’est efficace que jusqu’à 2020, et je n’ai pas l’impression que mourir soit si pressé par les temps qui courent : quand ma deuxième R.A.U. est survenue, deux ans et demi après la première, et qu’au bout d’une promenade harassante et gelatoire je me suis retrouvé sondé, une faible ampoule s’est allumée dans ma boîte crânienne : l’évacuation artificielle présentait au moins l’avantage d’éliminer le risque d’un trépas style Tycho Brahé, que je pressens atroce, même si la vessie n’éclate pas à proprement parler, et si ça nique plutôt les reins. Comme je ne me sentais pas d’humeur, là tout de suite, à descendre chez Pluton, je m’en suis provisoirement tiré par : à la prochaine! sans imaginer qu’on allait me resonder dès la semaine suivante. « Ah non, pouce! J’voulais pas dire si tôt! » Enfin, les salades habituelles, qui ne sont d’ailleurs pas que des salades, car, même si je reste attaché à la vie, toute diminuée qu’elle est, et minuscule qu’elle fut presque toujours, le choix “exit ou dépendance” ne peut être éternellement éludé. Or s’il y a un autre côté, où je serais attendu, comment faire l’impasse sur la prohibition du suicide par toutes les grandes religions? Falaq, qui, comme tant d’autres, aimerait bien accorder le bouddhisme et l’islam, prétend même avoir trouvé, dans je ne sais quel coin du Coran, mention d’une réincarnation pour ceux qui ont devancé l’appel! Pas besoin de dire que je préférerais ça à la Géhenne! Stique ou rat, que m’importe, sans le souvenir des vies antérieures?

    Le suicide n’est pas le sujet du jour, mais il lui est connexe : en admettant une intervention surnaturelle, à quoi est-elle censée servir? À m’avertir d’un décès proche? Possible, bien que je me sente de mieux en mieux, à mesure que le printemps s’installe. Mais, sans précision de date, accueillons ce message : repens-toi d’urgence, et répare, ou ça va chauffer! Laissons de côté l’attrait esthétique de l’impénitence finale, je n’ai pas assez de lecteurs, et le peu que j’apprends d’eux n’est pas assez sympa, pour me donner la moindre envie de sacrifier mon éternité au goût qu’ils pourraient avoir pour les strong opinions. La seule question, que je claque tout de suite ou un peu plus tard, est de savoir ce qu’il m’est enjoint de faire. Quand même pas mes Pâques : à peine si cette coïncidence-là m’effleu(re)ra au cours de la soirée – celle de mardi dernier, ne l’oublions pas : si je descendais ce matin communier à la rébarbative messe d’en bas, je ne ferais qu’ajouter un sacrilège à un demi-siècle de péchés. [1] Mais si miracle y a, il n’est pas, cette fois, inféodé à une religion précise, et se rit de microbservances qui ont perdu tout sens pour moi depuis la lecture de Voltaire, à treize ou quatorze ans… et qui cependant sont celles mêmes que ressasse la Vierge, à Lourdes, Fátima ou la Salette. Faut-il humilier sa raison au point de faire bénir sa maison, comme le recommandait le chanoine Machinchouette à Sainte Eulalie il y a une quinzaine de mois? Ma raison, j’ai des raisons de douter de sa pertinence, mais pas encore au point de verser dans l’obéissance aveugle au premier imbécile venu. Non, non : la voix de la conscience a beau être étouffée et contradictoire, elle sait à peu près que l’ennemi est ce nœud de vipères que forment l’orgueil, l’égoïsme et la “méchanceté”, et n’a guère de doute sur les tâches qui lui sont dictées : aller au devant des autres, braver baffes et crachats pour réparer les maux que j’ai pu causer, demander pardon à ceux que j’ai offensés, et rendre, à eux et aux autres, tous les services à ma portée; en revanche, je ne suis pas sûr que la numéro deux, celle d’effacer tous mes écrits, à commencer par les dix ou douze mille A4 formellement publiques de mes blogs, soit aussi clairement requise : piège de l’orgueil, sinon du Diable? Va savoir… mesurer le désespoir qui pourrait suivre, et ses conséquences; la nuisance effective de scribouillages si rarement cliqués; enfin, l’intention qui présidait à l’écriture, et qui fut, certes, et qui reste, celle de faire le malin, mais via la vérité… Il est exact que j’ai, le plus souvent, écrit contre les valeurs admises, les vocables consacrés, les institutions en place, l’arrogance des gens; mais à quoi bon écrire pour, c’est-à-dire, le plus souvent, dire comme eux? Et n’est-ce pas lâcheté, par exemple, de mettre à la corbeille la répaucomm qui massacrait un cacographe donneur de leçons (et qui semblait attendue!), ou le message qui offrait à ma dentiste les 23€ qu’elle m’avait volés, et l’invitait, une autre fois, si elle avait faim à ce point, à me demander du fric plutôt que se le procurer de la sorte? N’est-ce pas lâcheté, pour la majorité des hommes, de tendre la joue gauche, et, quand on leur a pris le manteau, de donner aussi la tunique? La morale de Jésus est héroïque pour les héros-nés, s’il en existe, elle serait vile pour moi, en sanctifiant une propension profonde à me laisser faire, non, je crois, par masochisme et goût de l’empaffage, mais par le contrôle que ça me permettrait d’exercer sur des défaites, changées du coup en victoires : quand on se fait gloire, même secrète, des gifles reçues, quelle réalité pourrait encore entamer le soi grandiose? Ajoutons que c’est faire la part un peu trop belle à l’immense majorité des violents, et leur prêter des états d’âme qui leur sont étrangers : « Si l’on prend ton vagin, donne aussi ton anus. » Mais comment donc, frangine, avec plaisir et sans merci! Toutes des salopes, décidément! La difficulté ne réside donc pas seulement dans la pratique de l’altruisme, mais dans le choix de que faire, lequel est aisé face à la faim et à la maladie – bien qu’à un certain stade d’icelle l’euthanasie pose problème – mais beaucoup moins devant les exactions, l’agressivité, l'appétit de dominer, qu’il est bien poire de prétendre soigner en s’y soumettant. Ayn Rand a au moins raison sur ce point : il y a quelque chose de profondément anormal – d’immoral, dit-elle, et, ajouterai-je, d’oppressif – à donner sans rien recevoir en échange. Un monde où il faudrait mériter ce dont on a besoin – à condition d’en arrondir les angles trop vifs, de ne pas tuer vieillards et grabataires – ne me choquerait nullement : ce qui m’exaspère, c’est le trucage de la concurrence méritocratique par les ententes casteuses, les héritages, etc, qu’il m’est impossible d’y intégrer. Et dans la perspective d’échanges éducatifs interpersonnels, je ne suis pas sûr que l’existence d’un Dieu bienveillant m’oblige à adopter des oripeaux de béni-oui-oui, et à flatter toutes les autosatisfactions qui passent. À tout le moins devrais-je m’interroger un peu plus sur mes intentions, et me demander si je cherche à redresser ou à écraser : je sens que ça va me contraindre à ôter la pointe qui fait les trois quarts de mon style (et de ce que j’aime dans celui des autres) et à changer mon tord-boyaux en rossolis de curé, mais le sacrifice sera mince, car cette pointe est déjà bien émoussée, ce vitriol éventé. D’ailleurs, ça me soignerait l’œil de cesser d’écrire, à condition de ne pas lire à la place.

 

 

 

[1] Ma mère me téléphone qu’elle a fait les siennes, sans aucune préparation, le curé ayant refusé de la confesser : « Vous n’avez pas de péchés! » Killtran! C’est le même laxiste et menteur éhonté qui a eu le culot de nous gazer dix minutes, à l’enterrement de papa, sur le thème du “couple modèle que formaient Paul et Mimi”! Cela dit, il semble tout à fait dans la ligne : la confession est partie aux mêmes oubliettes que l’enfer, et je me demande distraitement si, comme chantait Brassens du largage du latin, ces sacrés calotins savent ce qu’ils perdent. Mais c’est avec plus d’âpreté que je m’interroge ensuite : « Si je chopais vraiment la foi, me sentirais-je tenu de secouer le quiet pharisaïsme d’une presque centenaire? » Ma mère prend plus qu’un peu sur elle pour pousser ses trilles, mais à l’entendre, elle n’aurait jamais été si heureuse; et il est au moins exact que c’est la première fois de sa vie qu’on lui fout la paix durablement : gâcher ce bonheur pour lui éviter cette Géhenne que Jésus brandit à tout propos deviendrait-il un devoir? Le petit groupe de rotachrétiens qui a pris à tâche de l’encoconner à Dun semble ne pas nourrir de tels états d’âmes, et, après tout, au nom de quelle révélation me piquerais-je d’être meilleur qu’eux, après cinquante ans d’immoralisme?

 
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O
A force de perdre espoirs en l'humanité j'ai préféré couper l'antenne de ma télé, et éviter toute interaction sociale, ça m'exaspère de devoir sortir des phrases toutes faites qui au final sont de simples formalités bien fades. Quand je vois toutes personnes suivre bêtement des mouvements de mode tel que manger vert, protéger les animaux, alors qu'à coter ça ne les dérangent pas de jeter leurs papiers parterre.. Ou alors ceux qui se réveillent soudainement pour lutter contre l'avortement.. Où est le sens a tout ça ? Se donner bonne conscience en se sentant supérieurs aux autres ? J'ai toujours cru qu'un acte noble et pur se faisait dans le plus fin des silences.. <br /> Je pense au suicide mais je suis vite rattrapé par l'idée que j'ai encore trop de chose a découvrir bonnes ou mauvaises qu'elles soient, je pense pas que ça soit fait pour les curieux lol<br /> J'ai aimé te lire, j'ai même trouvé cela réconfortant Narcipat
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N
Merci, bien que je ne voie pas trop quel “réconfort” je peux t'apporter. Il me semble que s'occuper “de haut” des suivistes grégaires n'est qu'un moyen de se poser soi-même sur un promontoire, et de juger “les gens” comme nécessairement inférieurs à soi : c'est assez marrant de te lire procéder toi-même, par la dénonciation même, à ce que tu dénonces. Excuse cette réponse rapide : je crois que j'ai les reins niqués, et la vue presque itou… alors que l'été est là! Cette fois, c'est le raccourci ou le toboggan. Mais j'avoue que ma curiosité du “neuf” s'est érodée depuis quelque temps déjà...