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Le blog de Narcipat

Tous pécheurs, irrémédiablement ET inexcusablement

21 Septembre 2016 , Rédigé par Narcipat Publié dans #Conversion?

    Ici doit être faite une remarque importante. Ce que Paul appelle la chair n’est pas une explication du péché. Il est vrai qu’on le comprend souvent ainsi. Selon un malentendu largement répandu, la chair, c’est le corps, ou plus particulièrement la sexualité ou l’instinct sexuel. On parle aussi parfois des “péchés de la chair”. Cette confusion aux graves conséquences s’est produite très tôt, sous l’influence de la pensée grecque païenne, chez les docteurs de l’Église et dans certaines pratiques de la piété chrétienne. Elle n’en est pas moins condamnable. La chair n’est pas le corps et elle n’est pas le sexe. Le corps, y compris la sexualité, est l’œuvre du Créateur, une œuvre bonne : « Dieu vit tout ce qu’il avait fait, et voici, c’était très bon » (Gn, 1, 31). Jamais dans la Bible le corps n’est considéré comme une substance inférieure; le corps n’est pas “matière” avec une qualification négative, comme dans la pensée grecque antique.

    Certes, puisque l’homme a un corps et est un corps, le péché se manifeste aussi corporellement; mais le corps n’est pas la chair. Si la chair n’est pas le corps, qu’est-elle donc? L’homme tout entier, y compris sa pensée et ses plus hautes pensées, y compris même sa manière de servir Dieu, peut être “chair”. La chair, c’est l’homme tombé dans le piège de sa liberté. En d’autres termes, c’est l’homme et toute son orientation de vie, quand il oublie, ou rejette, la limite à l’intérieur de laquelle il lui est donné d’être vraiment libre, la limite qui est Dieu lui-même. Il est vraiment libre, quand il gère son existence comme un don reçu de Dieu. Il pervertit sa liberté, il vit “selon la chair”, quand il refuse d’être créature et prétend s’échapper de l’espace de vie que lui assigne la bonté du Créateur.

[Il y a déjà un bout de temps que le christianisme, après avoir nous avoir écrasé 2000 ans sous le poids de ce “péché”, et brisé un nombre de vies incalculable, a lâché du lest sur la sexualité, je veux dire sur le principe de ne copuler que pour procréer, et avec un époux légitime. Coller la censure du sexe sur le dos de la “pensée grecque païenne” qui y était en général fort indifférente, c’est un tour de passe-passe hardi. Quant à la “chair”, ce n’est plus la baise, ni même le corps, cette “chair que trop avons nourrie” de la Ballade des pendus, qui “est piéça dévorée et pourrie” : ça devient… une orientation de vie, un choix de l’esprit, qui se résume, en somme, à l’incroyance. L’athée altruiste (N.B. que je n’en suis pas, et ne comprends même pas qu’on fasse le moindre effort pour les autres si l’on n’y trouve aucun plaisir et n’en escompte aucun retour), qui, au lieu de se goberger, se décarcasserait pour rendre moins pénible la vie de ses semblables, est de toute façon disqualifié d’avance par l’hommage qu’il ne fait pas à Dieu de ses actes.]

 

4. Le péché n’est pas l’accident : il n’est pas la faute morale; il n’est pas la transgression qu’avec un peu de volonté on peut éviter : il en est l’inexplicable et inexcusable cause.

    On a souvent traité Paul d’affreux pessimiste. C’est souvent en pensant à lui qu’on accuse (c’est la formule habituelle) « la religion judéo-chrétienne culpabilisante » ou qu’on parle de « besoin morbide d’abaisser l’homme ». Que faut-il en penser? Ceci d’abord, peut-être : qu’on a souvent interprété la pensée de Paul, notamment sa notion de chair, d’une manière qui peut provoquer de tels jugements. Mais en fait, il n’y a chez Paul ni pessimisme, ni moralisme, ni aucune intention culpabilisante : cette pédagogie-là lui est absolument étrangère. La vérité, c’est qu’à la lumière de l’Évangile, il a fait une analyse étonnamment pénétrante de la condition de la vraie liberté et de ce qui la pervertit. La liberté se perd elle-même, quand se retournant en quelque sorte sur elle-même, elle refuse cela même qui est la condition de sa réalité.

    Si le péché est cela, il est bien évident qu’on ne sort pas de ce piège avec un peu de morale optimiste. L’homme peut certes ressentir les conséquences; mais même s’il était capable de vouloir en sortir, il retomberait toujours sur lui-même. La relation à Dieu pervertie en convoitise ne peut, par elle-même, se reconvertir en amour et en confiance.

    La porte de sortie ne peut être ouverte que du dehors.

[Bref, à supposer que j’aie compris quelque chose : « Ne t’aide pas, Dieu t’aidera s’il Lui plaît. Ta bonne volonté pervertie n’arrivera à rien.» Je ne crois pas une minute que Paul ait dit mot de tout cela, du moins dans les passages qui nous sont cités, ni dans la suite, que j’ai parcourue pour l’occasion, et qui (de la loi comme source du péché) ne manque pas de piquant, mais suffit. Moi qui suis un gros péquenaud, les sabots bien collés à la glèbe, je persiste à me demander ce que c’est que cette “vraie liberté”, dans les limites définies par Dieu, c’est-à-dire par ceux qui se sont institués, depuis deux millénaires, Ses porte-parole, et qui, avant de nous la faire aux libéraux, pour attraper le train en marche, nous ont fait vivre dans un monde de petites observances, un monde de l’Interdit, et de l’Interdit souvent imbécile, comme celui du plaisir sexuel, lequel à vue de nez ne gênait en rien les pouvoirs, d’où semble bien pourtant avoir toujours émané le droit. À présent on nous dit que c’était une erreur, un Paul mal lu, un Augustin mal digéré : allez raconter ça aux millions d’êtres qui se sont serré la ceinture ou ont mariné vingt siècles dans la culpabilité, pour ne rien dire de la poignée d’homos qui a grimpé sur le bûcher! Interdit surtout de certaines curiosités, de regarder le texte du réel par dessus l’épaule de Dieu, de se demander, simplement, comme le petit Smerdiakov, d’où venait la lumière avant les luminaires, ou pourquoi un Être Infini aurait besoin d’être complété par les actions de grâces de Sa créature, et pourquoi, en ce cas, Il aurait d’abord soin de Se cacher.

    En quoi la “vraie liberté” aurait pour condition la soumission à un Livre, à une Tradition surannés, dont chaque page, chaque “progrès” crie l’absence d’inspiration divine, et aux trop-humains qui nous en assènent la bonne leçon (car c’est par là, et par là seul, qu’apparaît Dieu à l’immense majorité des fidèles), le moins qu’on puisse dire est que ça m’échappe. Si pourtant je n’ai pas enterré ce passage d’un haussement d’épaules, c’est qu’il alimente cette sourde terreur d’être puni, non pas pour des fautes réelles, ni pour l’immoralisme qu’elles avaient pour principe (conséquence de l’incroyance, j’en conviens, mais avant elle peut-être de la liaison qui m’a été inculquée entre altruisme et foi), mais pour ce que je suis, c’est-à-dire un type, de naissance ou d’enfance, incapable de croire en Dieu, ou, variante, de L’aimer, donc prédestiné à la fournaise. Le libre-arbitre ne peut pas s’appliquer à des sentiments ou à des opinions dont on n’est pas maître. Si la foi et l’amour sont fermés à ceux qui ont raté leur identification au père, il y a quelque chose qui cloche du côté de Sa justice, et c’est pour le coup qu’on revient à un destin archaïque, antérieur au libre arbitre : celui d’Œdipe, qui tue son père et couche avec sa mère suite aux efforts mêmes qu’il fait pour l’éviter.

    Il est vrai 1) qu’ici tous les hommes semblent passer à la même trappe; 2) qu’il n’est pas question de châtiment; 3) qu’avant de décider que l’affaire est dans le sac, j’aurais pu faire au préalable quelques efforts. Et très certain que je n’ai aucune envie de “croire”, l’appréhendant comme une mutilation de tout ce qui a compté pour moi pendant cinquante ans, et qui ne m’a pas mené loin, peut-être, mais je n’ai que ça. Foutre au feu les 4000 pages de mon Inventaire, sacrifice dérisoire en extériorité, passerait mes forces, même à l’article de la mort. Après tout, ce commentaire saugrenu de Paul, ne le comprendrais-je pas mieux que je ne l’imagine? En me “libérant” vers treize ou quatorze ans d’un Dieu qui me gênait aux entournures, ne me suis-je pas fait une espèce d’idole du self grandiose, et n’ai-je pas confié le soin de me donner l’être au regard imaginaire de l’Autre? Arrête! Tu vas encore te “retrouver” à la Procuste dans ce texte insensé, comme dans toutes les névroses d’un manuel de psychiatrie!]

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