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Le blog de Narcipat

L’enfer : répugnances et difficultés

23 Septembre 2016 , Rédigé par Narcipat Publié dans #Conversion?

I

DIFFICULTÉS ET RÉPUGNANCES

 

    Il convient de distinguer, dans les résistances de l’esprit à un énoncé de foi catholique, les difficultés et les répugnances. Les difficultés procèdent d’une contradiction saisie par l’intelligence entre deux exigences, par exemple celle de la justice et de la miséricorde divines. La répugnance vient de la sensibilité. Contre les répugnances, on ne peut rien parce que le sentiment ne se surmonte par aucune dialectique. Certes, il est difficile de dire où commence la difficulté et où finit la répugnance. Il se peut que plusieurs, malgré leur conviction, n’aient jamais de difficultés mais seulement des répugnances.

    En ce qui concerne l’enfer, répugnances et difficultés sont extrêmes.

 

    1. La répugnance procède de l’imagination d’une souffrance éternelle appliquée par Dieu à un coupable. Cette répugnance s’est accrue avec l’affinement de la sensibilité en matière pénale. La sensibilité humaine varie avec les temps et lieux, et pour juger d’un système pénal, il faut toujours avoir soin de le rapporter, comme à une unité de mesure, à la sensibilité de l’époque. Ces variations de la sensibilité humaine, nous avons pu les constater pendant la guerre : des hommes qui n’auraient pas pu voir souffrir un chien écoutaient sans frémir la longue agonie d’un camarade. Ce qui maintenant nous paraît abominable en matière de répression paraissait moral et salutaire, il y a seulement cent cinquante ans. Quel siècle fut plus éclairé, plus “sensible”, plus “larmoyant” que celui de Jean-Jacques Rousseau et de Marivaux? [Marivaux n’est nullement larmoyant, et il ne serait pas honnête de faire du XVIIIème le “siècle de Jean-Jacques”. Les gens pleuraient, c’est vrai, mâles compris, en assistant à une tragédie, alors qu’au XIXème les larmes deviendront peu à peu une spécialité enfantine et féminine (il serait intéressant de dater le phénomène : des historiens l’ont probablement déjà fait). Mais la sensibilité n’est certes pas la caractéristique principale des œuvres de l’époque… du moins de celles qui ont atteint la postérité. Car il faut rajouter ce bémol : que les larmes vieillissent plus vite que le cynisme et l’ironie. La nouvelle Héloïse, qu’on ne pouvait pas lâcher, est devenue presque illisible, alors que la carrière de Candide et des Liaisons dangereuses ne finira pas de sitôt. ] Or, cette société si sensitive acceptait la question préalable et la torture; elle regardait supplicier deux heures durant le malheureux Damiens, coupable de lèse-majesté. [Sous la forme tout de même d’un coup de canif au roi. Mais soit : il faut lire, dans les Mémoires de Casanova, la scène où Mme XXX se fait fourrer par derrière par Tiretta (avec erreur de parcours dont elle demandera réparation) sans manquer une miette du supplice. Il est certain que toutes les fenêtres donnant sur la place de Grève sont louées, et qu’il y a un monde fou. Ma main au feu qu’en dépit de la honte d’être vu il y en aurait bien autant de nos jours et que les combats de gladiateurs ne manqueraient pas d'amateurs. Souvenons-nous, surtout, de la multitude qui n’y était pas, ainsi que de Casanova lui-même, qui dut détourner les yeux. Hommage au moins du vice à la vertu.]  Lorsqu’en 1780 et 1788, Louis XVI voulut abolir la question, il se heurta à une vive résistance. [Peut-être; mais Dei delitti e delle pene de Beccaria, paru en 1764, chaudement approuvé par Voltaire, qui n’était pourtant pas un sentimental, s’élevait contre la question et la peine de mort, laquelle n’en a pas moins duré 217 ans de plus.]

    De nos jours les techniques de supplice ont reparu avec plus d’hypocrisie. Nous nous sommes habitués à ces récits, à tel point que pour vraiment nous émouvoir le romancier doit plutôt diminuer la vérité. Il est probable que nos ancêtres étaient aussi blasés que nous le sommes redevenus, et que les descriptions des peines infernales ne les ébranlaient pas. L’enfer n’était pas si terrible, parce qu’on s’en exceptait par l’espérance. C’est l’autre qui était en enfer. [Et cette indifférence au sort de l’autre pourrait être tenue pour un bon motif de damnation! Je ne suis pas sûr du tout que les moribonds manifestassent une telle équanimité : le pasteur Theobald, par exemple, dans The way of all flesh de Butler, que le lis ces temps-ci, considère comme la plus pénible de ses tâches l’assistance aux mourantes, qui d’avance se voient toutes au bûcher.]

    

    2. La difficulté se situe dans la zone des exigences et des principes, dans l’idée de Justice appliquée à Dieu. Elle pourrait se résumer ainsi : la Justice infinie ne peut être de nature différente que la justice finie : elle porte seulement à l’infini les attributs de cette justice finie. Or un homme juste ne donnerait jamais à un coupable, si grand soit-il, un châtiment éternel. Le châtiment amende, il guérit. [Faut voir : il guérit par la peur de se faire repincer, donc superficiellement, et rarement. Il est vrai que les geôles américaines sont pleines, paraît-il, de reborn christians, mais le restent-ils une fois remis en liberté? Ne se sont-ils pas convertis pour la montre, en vue d’être “parolés”? D’ailleurs, jamais la foi n’a empêché le péché, il s’en faut bien.] Un châtiment éternel ne guérit pas. Dans le domaine des choses humaines, la peine de mort temporelle ne se soutient que par son aspect d’intimidation : prise en elle-même elle ne serait pas juste, sauf par une idée de défense que Dieu n’a pas et ne peut avoir.

    « Comment une faute d’un jour, du moins une faute commise dans le temps, et par un être éphémère, peut-elle mériter un tourment éternel? Si Dieu est infiniment bon [et même si ça ne signifie infiniment rien], comment comprendre qu’il accable pour toujours l’être qui lui doit l’être, et, puisqu’il aurait pu ne le point créer, comment comprendre qu’il ait tiré du néant celui qu’il savait devoir être un damné? Ne valait-il pas mieux ne rien créer du tout et demeurer dans cette solitude bienheureuse? »

[Qu’ajouter? Je l’aurais dit autrement, sans doute, mais certes pas mieux.]

    Citons, à titre d’exemple, ce texte de Ravaisson :

    « Au nom de la justice, une théologie étrangère à l’esprit de miséricorde, qui est celui même du christianisme, abusant du nom d’éternité qui ne signifie souvent qu’une longue durée, condamne à des maux sans fin les pécheurs morts sans repentir, c’est-à-dire l’humanité presque entière. Comment comprendre alors ce que deviendrait la félicité d’un Dieu qui entendrait pendant l’éternité tant de voix gémissantes? »

    Bergson, qui cite ces lignes dans son éloge de Ravaisson, s’en est peut-être souvenu, quand il écrit dans Les deux sources : « Consultons-nous sur ce point; posons-nous la fameuse question : “Que ferions-nous si nous apprenions que pour le salut du peuple, pour l’existence même de l’humanité, il y a quelque part un homme, un innocent, qui est condamné à subir des tortures éternelles?” Nous y consentirions peut-être s’il était entendu qu’un philtre magique nous le fera oublier… Mais s’il fallait le savoir, y penser, nous dire que cet homme est soumis à des supplices atroces pour que nous puissions exister, que c’est là une condition fondamentale de l’existence en général, ah non! plutôt accepter que plus rien n’existe, plutôt faire sauter la planète! » [Manifestation de la sensibilité propre de Bergson, de Guitton, et d’une pincée d’âmes délicates, comme celle de mon ex-camarade Maupoix-le-Tala : « S’il y a un enfer, qu’Il m’y mette! » Je n’en demeure pas moins persuadé que la quasi-totalité des hommes tels qu’ils sont condamneraient non seulement un innocent, mais la quasi-totalité de l’humanité, innocents et coupables, à des peines éternelles, pour vivre eux-mêmes (bien entourés, naturellement) rien qu’un an de plus, un mois, un jour, et sans l’ombre d’une hésitation ou d’un frémissement. Peut-être seraient-ils gênés d’en avoir le spectacle; mais du moment que ça se passerait ailleurs… Les bouffeurs de viande (dont je suis) ignorent-ils les souffrances des animaux? Saucisses et gigot n’en passent pas plus mal. Se faire tueur aux abattoirs, c’est une autre paire de manches.]

    Il est vrai qu’il s’agit d’un innocent condamné; mais dans la perspective catholique il y a une telle disproportion apparente entre la faute temporelle et le châtiment éternel que la différence entre le temps dû en justice au châtiment et l’éternité de ce châtiment semble une peine imméritée. D’autre part, l’existence des damnés, étant donné la faiblesse du monde moral dans notre planète, apparaît comme une condition fatale de l’existence, voulue indirectement ou tout au moins acceptée par l’auteur des êtres. N’aurait-il pas mieux valu ne rien créer que de créer une humanité qui, si belle qu’elle soit de tant de manières, aura cette tache  éternelle?

[D’autant que l’obstination avec laquelle Dieu se cache ne peut qu’aggraver les choses. Mais inutile d’y insister, car on y vient.]

…/…

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