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Le blog de Narcipat

Narcipats élémentaires

17 Novembre 2009 , Rédigé par Narcipat Publié dans #Autres narcisses

     Alice Sapritch, Ma vérité : le bouquin date de 1986, et je ne regrette pas mes vingt centimes, bien que je n’y aie pas trouvé un mot de ce que j’espérais : le visage de Dame Alice restait dans mon imaginaire une espèce d’absolu de la laideur, et son jeu le second prix de l’affectation intolérable, la médaille d’or revenant à une autre actrice-télé, une certaine Loleh Bellon… J’aurais aimé lire, au besoin entre les lignes, comment on peut bien recruter de pareilles “comédiennes”, et comment elle avait relevé le défi du miroir. Or ces sujets ne sont pas abordés de front, je ne sais pas si elle parvient à aimer son visage, mais elle dit grand bien de son corps, « du moins jusqu’aux genoux », assure avoir été passionnément aimée (quant à ses propres sentiments, c’est tout simple : « Toujours ce vieux thème : on m’aime passionnément, donc j’aime à mon tour. »), et surtout ne semble pas douter un instant de son talent. À un confrère qui la félicite d’une rencontre avec un personnage, elle réplique : « Écoute, ça t’arracherait la gueule de prononcer le mot “talent”? Je commence à trouver agaçant que, dès que je fais une prestation qui sort un peu de l’ordinaire, on parle de rencontre! En quoi? Avec qui? Tu peux quand même te douter que je n’ai rien à voir avec ce personnage. J’ai beaucoup travaillé pour réussir à lui donner vie. » Sauf qu’en moult autres lieux, le travail ne sert pas à grand’chose, et qu’« on naît avec le talent, on ne l’acquiert pas »! Oh certes, il arrive qu’elle soit intriguée par les comportements quelque peu ostracisants d’autrui : « c’est toujours moi qui suis contrainte à trouver mes rôles. Aucun metteur en scène ne m’a jamais apporté de grand sujet. Les auteurs, oui, mais pas les réalisateurs. Et j’en souffre car je ne comprends pas pourquoi. […] Je ne peux jouer que si je détiens les droits et si j’amène l’idée. » Par ailleurs, une quantité considérable de mortels se sont acharnés à l’évincer… et ont retardé sa carrière. « un succès tardif ne saurait compenser celui dont on rêvait pour sa jeunesse.

     On n’est jeune qu’une fois. Après, c’est fichu. Un bonheur qui se présente trop tard, comme un produit de remplacement, ne possède plus la même saveur.

     Je suis ravie qu’on m’aborde avec mille gentillesses, qu’on me félicite, qu’on m’adore, qu’on m’adule. Mais cela ne me rassérène pas totalement. Non que je dédaigne ces compliments. Mais j’ai trop le sens de la juste valeur des choses. Cette reconnaissance qui me vient maintenant de mon talent conserve pour moi un goût amer, et je n’en retire qu’un plaisir mitigé.

     Assez paradoxalement, ce bilan dans la dérision devrait réconforter mon public : je peux en effet lui assurer que je n’aurai jamais “la grosse tête”. » Dans un bouquin bouffi d’orgueil de la première ligne à la dernière, ce genre d’affirmation ne manque pas de saveur. Quand on demandait à Juliette Gréco pourquoi elle, elle répondait, je crois, qu’elle s’était simplement trouvée là. Sincère? Prudente? Polie? Capable en tout cas de jeter un coup d’œil par-dessus le mur de sa vérité. Sapritch, actrice inconnue, accepte un remplacement en Alger, entre à la télé par cette petite porte, s’y spécialise dans les personnages hidodieux, et au lieu de se féliciter de son bol, déplore qu’on ne l’ait pas découverte au temps où elle aurait pu jouer Iphigénie ou Hedvig Ekdal! Mieux vaut en rire, et hausser les épaules devant son intuition, qui la trompe si rarement (elle sait, au premier coup d’œil, elle sent les personnes et les lieux), sa lucidité sans faille (tiens tiens!), son écoute (glups!), son indépendance ombrageuse, la sélection dont elle s’excuse superbement : « Qu’on me pardonne ma franchise, mais je ne retiens dans ma thébaïde que la qualité. J’ai fait, tout au long de mon existence, dans tous les domaines, trop de concessions qui ne m’ont pas réussi ou m’ont coûté très cher. » Seigneur! Est-ce l’envie qui m’étreint face à ces fats qui « ne tolèrent que le meilleur »? Mon exaspération n’a-t-elle pas des sources moins impures?

     Enfin, Alice est le centre du monde : « Tu es un arbre, autour duquel il faut d’abord construire le patio et ensuite la maison. » Mais un centre du monde qui ne doute pas de soi, ou fait taire ses doutes : même si talent y avait, peut-on s’imaginer que les planètes gravitent autour d’une malheureuse carrière d’actrice, et qui pis est, d’actrice-repoussoir? Qu’elle puisse simplement se tenir pour l’égale d’un créateur? Non; mais la fêlure, il faut le plus souvent la supposer, comme dans cette scène : « Pour faire plaisir à un vague copain, j’avais accepté de voir son fils à qui j’avais fixé rendez-vous au Flore. Ponctuelle, j’arrive. Il m’attendait. Le gosse entreprend de me raconter banalement qu’il voudrait faire du cinéma. Au bout de deux minutes, surgit sa pépée qui vient se joindre à nous. Ils se prennent la main, se bécotent, me présentent un de leurs amis…

     J’ai réglé l’addition et je les ai plantés là.

     Je m’en moque, mais j’estime que ce garçon n’a pas su mettre à profit la chance et le temps précieux qui lui étaient accordés.

     Le papa avait préparé le terrain. J’étais réceptive. Mais dans de telles circonstances, comme à la télé, la minute coûte cher. Il faut être précis. On n’est pas là pour décrire le ciel et la terre en remontant aux origines de l’univers. » Cause toujours! Quoique noyée de verbe, la pépée est bien présente, et l’ulcération produite par le bécotage transparaît dans le lexique méprisant. Seulement, avec ces narcipats-là, l’immense majorité (la mégère n’est qu’un exemple) si l’on peut compter sur un étalage de souffrances, notamment enfantines (celle-ci n’a pas eu d’enfance, parce qu’on attendait d’elle trop de maturité) on peut se fouiller quant à l’émergence du seul abîme qui importe, celui du « Que vaux-je? ». Qu’ils trouvent ou non des cautions dans l’estime d’autrui (ici, celle des millions de téléspectateurs bien obligés de laper ce qu’on leur donne, surtout à l’époque où il n’y avait qu’une chaîne), leurs œillères sont bien fixées, ils ont toujours raison, et si leur vérité n’est pas la vérité, aucune version divergente ne saurait du moins prévaloir contre elle. Par ailleurs, ils puisent dans ce tonneau des certitudes la force de se proposer, et l’inhibition paraît manquer à l’appel… Rien ne semble leur être plus étranger que mon actuelle entreprise (sauf que, bien entendu, elle pourrait s’apparenter à la leur, en plus retors), et devant la fermeture de l’écoute, l’universelle surestimation de soi, les chuis-ci et chuis-ça qui pataugent dans la complaisance et l’aveuglement, je me demande parfois si ce n’est pas par le doute, et lui seul, que se distinguerait la narcipathologie : par la conscience du vide, ou un léger supplément d’icelle. Mais ne nous leurrons pas : elle correspond aussi à une radicalisation de l’outrecuidance. Tout se passe comme si l’autosatisfait ordinaire avait décidé une fois pour toutes de se cantonner dans sa vision des choses (ma vérité), avec une relative modestie, alors que le narcipat “aigu” se refuse à faire relâche sans avoir capté et englobé la vision des autres, L’aigu, vraiment? Ou celui qui, au contraire, est en voie de guérison?

 
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