Overblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
Le blog de Narcipat

XIII : impulsivité, contradictions, défaut de ponctualité et d'objectivité

24 Juillet 2013 , Rédigé par Narcipat Publié dans #VA : Le Senne : Les Nerveux


GROUPEMENT nAP

 

E) L’impulsivité. – Aux confins des traits résultant de l’émotivité primaire et de ceux qui vont particulièrement manifester le concours de l’inactivité et de la primarité, il faut mettre l’impulsivité. On doit rappeler en effet (q. 7, 1°) que les nerveux sont, avec le maximum de 78,2% pour cette propriété, à la tête de tous les caractères. On comprend qu’ils dépassent même l’ÉAP, le colérique, qui n’atteint qu’à 73,2%, bien au-dessus, il est vrai, de la moyenne de 43,6, si l’on sait que l’activité renforce généralement l’autorité du moi sur les mouvements spontanés.

     Pour préciser la nature de l’impulsivité en tant que propriété caractérologique, nous avons vu qu’il importe d’en distinguer avec soin deux modes. – Nous appellerons le premier impulsivité réactive : elle possède ce caractère d’être une réponse immédiate, aussi peu réfléchie que possible, n’utilisant du passé que ce qu’il faut pour prendre une forme pratique, à une excitation extrinsèque. Un homme en bouscule un autre; celui-ci réagit par un coup de poing. Du fait de la rapidité de la réaction et aussi de la primarité du sujet, l’élaboration de la réaction a été la plus courte possible, la réaction a la simplicité sommaire d’un réflexe ou la généralité banale d’un acte passe-partout. Née du présent cette impulsivité meurt généralement avec le présent : elle ne laissera que peu de traces, si elle en laisse, dans l’esprit de son auteur.

     À cette forme d’impulsivité s’oppose l’autre que nous appellerons éruptive, explosive parce que l’excitation qui la détermine en paraît moins une cause qui en fasse la nature qu’une occasion qui en provoque la manifestation. L’extrinsèque s’y estompe derrière la spontanéité, d’ailleurs une spontanéité acquise. L’impulsivité éruptive enveloppe comme le résultat d’une sommation de sorte qu’elle apparaît souvent comme inattendue, sans rapport avec l’événement qui en provoque l’éruption. Elle vient du fond du moi qui paraît après coup l’avoir gardée en réserve. Elle manifeste par conséquent l’influence de la secondarité; mais elle présuppose aussi l’émotivité, indispensable pour lui donner la puissance dont elle apparaît comme dotée. Comme les inactifs sont plus impulsifs que les actifs, l’impulsivité éruptive ou explosive est caractéristique des émotifs secondaires inactifs (q. 7, 1° : impulsivité, 45,1) : elle prend souvent la forme de l’indignation; mais à cause de leur violence latente, les ÉAS la manifestent aussi souvent (q. 7, 1° : 37,4). [Flèche de tout bois! Pitoyable.]

     On voit que ces deux formes d’impulsivité se distinguent en raison de l’importance relative de la causalité passée et présente qui les détermine : quand la nature de la réaction révèle l’importance prédominante du passé de sorte que le présent n’intervient plus guère que comme occasion, l’impulsivité est éruptive; quand au contraire le mode de la réaction intéresse moins sa nature que son actualité même, l’impulsivité est réactive.

     Cette distinction faite, c’est l’impulsivité réactive qui relève du caractère nerveux. C’est bien l’émotivité qui la grossit, mais en tant que d’une part l’inactivité intervient pour livrer le sujet à son impulsion et que d’autre part la secondarité lui manque pour l’inhiber, il faut y voir la transition entre les effets de l’émotivité primaire et ceux de l’inactivité primaire. – Dans la vie du nerveux elle systématise deux sortes d’événements : c’est d’abord la succession quotidienne d’actes et de paroles brusqués qui surviennent fâcheusement pour troubler une atmosphère familiale, compromettre la bonne tenue d’une réunion, interrompre la continuité d’une amitié. Quand elle est intentionnelle, que le sujet s’y plaît, elle devient la taquinerie. Au niveau où l’impulsivité est plus grave, c’est un acte irréfléchi, fait sans considération des conséquences et que son auteur peut par entêtement s’obstiner à maintenir. À cause de son défaut de coordination avec les autres actes du sujet, la considération de l’impulsivité réactive introduit directement dans celle des contradictions de la conduite.

[Tout cela me paraît bien vaseux. Qu’est-ce qui va donc distinguer cette impulsivité réactive de l’éruptive, sinon le statut de prétexte qu’on donne arbitrairement au stimulus? Il y a bien évidemment de l’“éruptif” dans toute réaction, tel acte ou propos vous semble agressif, par exemple, parce qu’il en rappelle d’autres, qu’il s’inscrit dans un système bâti par un passé. J’ai vu un commensal friser l’apoplexie parce que j’avais persiflé les millions de bouteilles de vin vidées par les glorieux combattants de 14, sacrés pour lui, qui s’en serait douté? et je suis moi-même assez chatouilleux quand un beauf enterre à la légère les utopies qui nous ont fait tant de mal : chacun ses dadas. Quand le vis-à-vis se “sent visé” alors qu’on n’avait pas songé à lui, il est trop naturel d’en incriminer ses hantises personnelles. On lit d’ailleurs entre les lignes que cette différence entre réaction et éruption, aucun chiffre n’en rend compte. Il ne s’agit que de justifier tant bien que mal celui, relativement élevé, des émotifs-secondaires qui devraient être préservés de l’impulsivité.

     Les sorties des nerveux, je connais, des anges passent quand je cause, dix fois moins que jadis, mais pas mal encore. Il est certain que si je prenais le temps de réfléchir… si certain que ça? L’impulsivité peut en remettre, mais le principe moteur, c’est une recherche d’effets, dans le cadre d’une relative ignorance de “jusqu’où aller trop loin”. Le gaffeur/provocateur est à côté de ses pompes, et surtout de celles de la collectivité. Rapport au soi et aux autres, on y revient toujours. Le plus étrange, c’est que Le Senne, insensiblement, accroche à sa prétendue “impulsivité réactive” un comportement comme la “taquinerie”, compulsif à la rigueur, mais, comme il le dit, intentionnel. Tout cela est tellement plus simple, quand on place au centre le doute de soi et le besoin de compter! L’impulsivité même n’est pas une telle énigme, mais une stratégie spontanée, conçue pour permettre l’action aux chevaliers de l’omnipotence, que paralyse la peur de l’erreur et de l’échec, et qui ne feront jamais rien, s’ils commencent à tâter le pour et le contre. La réplique fuse, pas trop grave qu’elle soit sans verve ni pertinence, ni qu’elle fâche plus qu’elle ne plaît : on n’a pas pris le temps de méditer, de projeter, elle ne compte pas, ne vous représente pas. Et parallèlement, pourtant, j’ai je ne sais quelle foi en ce qui vient spontanément, qui se conforme à la demande : laissé à moi-même, je n’ai qu’une citerne de vide où puiser. Il suffit de mesurer le néant de ces séances de pensée pure que je m’offre ces temps-ci pour me reposer la vue et repousser l’échéance de la cécité!

     Il m’aurait nettement plus intéressé qu’il fût rendu compte du phénomène de polymérisation différée des attaques, qu’elles soient à caractère général, ou visent personnellement le sujet : un mot, une mesure qui passaient sans bavure, voilà qu’une heure, un jour, une semaine plus tard, ils deviennent signe de danger, d’agression, de haine ou de mauvais vouloir… Je reçois ma convoc à l’A.G. de copro de l’année : tiens, c’est plus tôt que d’hab… tiens, ils n’ont pas joint l’état des comptes individuelstiens, ils la ramènent encore avec leur “fonds de roulement”, qui consiste à faire payer deux fois ceux qui paient… tiens, ils nous convoquent dans une salle inconnue… on glisse, mais, au beau milieu de la nuit, voici que se dresse le spectre du “mauvais coup”, imaginaire quatre fois sur cinq. Si ça n’est pas un signe de secondarité…]

F) Contradictions de la pensée et de la vie. – Une vie tiraillée par des impulsions successives manifestant l’empire presque exclusif du présent ne peut être un modèle de cohérence : elle sacrifie l’éternité à l’actualité, la valeur de la systématisation à celle de la spontanéité. Il faut prendre les caractères tels qu’ils sont et ne leur demander que ce qu’ils peuvent donner. Si l’on attend d’un esprit qu’il soit du monde, comme l’a dit un poète à fonction primaire, “un écho sonore”, qu’il résonne à tous les bruits de l’univers, il ne faut pas s’attendre à ce qu’il essaie de construire sa pensée de manière systématique, indépendamment du temps ou soumette sa conduite à une règle inflexible. Or, si ce défaut est vrai, de tout primaire, et davantage de tout émotif primaire, ce doit l’être au maximum, comme le prouvent les chiffres de l’enquête statistique, du nerveux. Ici se présente, une fois de plus, une des vérifications qui prouvent l’objectivité de ces considérations, c’est que les hommes dont la formule est totalement opposée à celle des nerveux, à savoir nÉAS, les flegmatiques, sont justement ceux que les observateurs s’accordent à désigner comme les hommes dont la pensée et la conduite sont les plus cohérentes. Après l’avoir indiqué en gros, nous allons le constater dans le détail.

[Le terrible est d’être tendu vers un but unique, et de se sentir néanmoins comme l’oiseau sur la branche, capable de conduite et de pensée suivies uniquement quand cessent les sollicitations extérieures. Je persiste à diagnostiquer la faiblesse, la quasi-inexistence, la dépendance de l’ego, et au moins en cela ne me laissé-je pas solliciter par l’instant. Les incohérences apparentes de conduite peuvent s’expliquer par l’attrait du plaisir immédiat, mais combien plus souvent chez moi par l’idée que je me fais de l’attente des autres, que ce soit pour m’y conformer ou en prendre le contre-pied, toujours guidé par cette boussole déglinguée, dont un pôle indique l’aval, et l’autre le rejet! Quant à la pensée, il est certain que les philosophes ou psys à systèmes ne brillent pas par leur écoute du monde. La plupart des exemples, des cas cliniques, qu’ils introduisent à l’appui de leurs théories, semblent observés au travers d’un verre dépoli, et c’est bien ce qui me rend lesdites théories si suspectes. Il n’empêche qu’on ne peut observer, ou trouver du significatif, sans outil préalable; le tout est de rester capable de le changer devant un fait polémique. Le problème est d’arriver à bâtir un système cohérent sans laisser de côté la moindre parcelle de réel, au moins dans le domaine abordé. En matière humaine, il est assez évident que les théories générales sont indispensables à l’analyse, mais qu’elles manquent trop souvent de pertinence dans le détail, et qu’il faut s’en méfier quand elles ne sont pas falsifiables… ce qui semble bien le cas, aussi bien de l’hypothèse caractérologique que de celle du noyau universel de narcissisme.]

G) La véracité. – De ces constatations particulières la première à faire est celle qui concerne la véracité. L’homme en effet qui est soucieux, par la simple vertu de son caractère, d’accorder ce qu’il voit, ce qu’il dit et ce qu’il fait l’est d’abord d’éviter le mensonge. [Glissement purement verbal de la cohérence de pensée et de conduite à un “souci d’accord” qu’elle n’implique nullement selon moi. Quoi de plus cohérent qu’un imposteur qui se tient à son imposture? Spontané ou calculé, le mensonge est volontaire, et l’on ne peut le taxer d’inconséquence que s’il est maladroit. Tous les menteurs, il est vrai, pourraient tirer des conclusions de la difficulté qu’ils ont à gérer leurs bobards, et de la réputation d’infiabilité qu’ils ne tardent pas, d’ordinaire, à s’assurer. Et ils se corrigent, avec le temps, dans le sens de la prudence : si le mensonge apparaît parfois comme une spécificité infantile, et les menteurs (ceux qui acquièrent, du moins, la réputation de l'être) comme des enfants prolongés, c’est que les enfants ne savent pas, donc que leurs inventions manquent de vraisemblance. Mais quel rapport avec une recherche de cohérence? Et d’autre part, le mensonge, au moins par omission, n’est-il pas la règle en matière de relations sociales? Dire aux gens tout le mal, et même tout le bien que l’on pense d’eux, c’est de quoi se brouiller avec le monde entier.] C’est ce qui arrive au flegmatique puisque 85% des flegmatiques sont recensés comme véraces. Il est conforme à la logique de la caractérologie que les nerveux dont la formule est complètement opposée à la leur, comme il vient d’être rappelé en général, constituent la classe dans laquelle se trouve la plus grande proportion de gens ou peu véraces ou ordinairement menteurs; le nombre des nerveux recensés comme “complètement dignes de foi” tombe en effet à 32% ce qui est le minimum. Que l’on pense parmi les flegmatiques à Kant ou à Franklin, parmi les nerveux à Baudelaire ou au plagiaire Stendhal! [Je suppose que seules ses premières “œuvres” sont visées là. Histoire de la peinture, Vie de Haydn, etc… Il est certain que  jusqu’à la fin de sa vie Stendhal s’est complu à écrire sur canevas. Mais il n’est pas acceptable de résumer comme un plagiaire et un menteur un type dont l’œuvre reste vivante précisément du fait de son refus du chiqué! et qui considérait lui-même, avec raison suivant moi, le vrai comme le passeport pour la postérité.] On ne doutera pas qu’on ne doive accorder plus de créance aux premiers qu’aux seconds. Chez les flegmatiques, comme nous le verrons, par le double effet de l’activité et de la secondarité comme par la baisse de l’émotivité, l’objectivité tend à régner en maîtresse. Par le jeu des propriétés opposées, elle doit avoir la puissance minimale chez les nerveux.

     L’étude précise des données (cf. R. LE SENNE, Le mensonge et le caractère, Paris, 1930) montre en effet (op. cit., p. 32) que la croissance de la secondarité est plus favorable à la véracité que la décroissance de l’émotivité, qui l’est plus que la croissance de l’activité. [Bref, si l’on évite de mentir, c’est d’abord pour n’en pas subir les conséquences. Immergé dans l’instant, on peut bien raconter n’importe quoi.] Les trois facteurs jouent dans le même ordre contre le nerveux.

     De là résultent plusieurs conséquences : 1° parmi tous les primaires le mensonge des nerveux doit manifester au plus haut degré l’influence de l’émotivité pure puisque l’activité intervient moins pour l’infléchir vers l’action délibérée. Il en résulte que les nerveux doivent mentir de la même façon qu’ils font de l’art et l’on peut appeler mensonge par embellissement (positif ou négatif) le mensonge caractéristique de leur manière. Ils sont amenés à rendre le réel plus significatif, ou, si l’on préfère, plus expressif qu’il ne l’est pour l’intelligence objective;

2° des nerveux aux sanguins, par l’effet de la baisse de l’émotivité le taux de la mendacité doit diminuer; mais comme l’influence de l’émotivité décroît, le mensonge devient plus purement intellectuel et par suite c’est un mensonge de calcul, comme tel plus répréhensible;

3° enfin si un homme ment malgré sa froideur, son activité et sa secondarité c’est-à-dire malgré toutes les conditions qui devraient le détourner du mensonge, son mensonge est plus coupable puisqu’il manifeste une intention décidée de manquer à la véracité spontanée telle que le caractère la détermine.

     Ibsen a donné dans Peer Gynt de beaux échantillons de mensonge par embellissement de nerveux, comme Alphonse Daudet, dans les aventures de Tartarin, d’amusants exemples de mensonge par exagération de colériques.

[Les considérations éthiques me sont équilatérales. Et passons sur cette conception de l’art comme embellissement aux dépens du réel, qui me paraît presque imbécile, et une illustration parfaite en son genre de la prétendue intelligence objective, qui se définit ordinairement par la conformité à la doxa. Le style, ô crétin mitré, n’est pas fard, fioriture et ampoulade, “toilette des dimanches”, comme écrivait Proust, mais, “inséparable de la pensée, ou de l’impression”, moyen d’accès à la vérité; en tout cas c’est par là qu’il compte et qu’il reste, fumisteries universitaires à part. Nos idées, certes, se font “imperceptibles ou étranges”, mais ce qui les sauve, c’est l’adéquation de la formule. Cela étant, s’il y a un rapport de parenté entre le travail du style et le mensonge à la Tartarin, c’est bien que les deux s’emploient à donner une idée flatteuse de leur auteur, et cette dimension-là est bien entendu passée sous silence. On semble faire comme si ce désir était présent chez tous, mais plus ou moins entravé par la secondarité, et autres P.F., comme si les véraces étaient des hâbleurs inhibés! Il me paraîtrait un peu plus intéressant qu’on m’explique pourquoi UnTel choisit spontanément de dire vrai ou faux. Le mensonge me semble résulter à l’évidence du doute qu’on nourrit sur soi, de la méfiance à l’égard d’autrui, d’un sentiment d’inappartenance… Seul un pol-cor niais se fierait à la parole qu’un Arabe donne à l’ex-colonisateur! Reste à savoir s’ils sont plus fiables entre eux…

     D’autre part, l’illusion ne me paraît pas assez distinguée du mensonge. Mentir et se mentir, ça fait deux, bien que le cumul des deux chez le même sujet ne soit pas rare (aucun phénomène ne me déconcerte davantage. Croire à ses propres salades passe en un souffle, comme quelque chose qui va de soi, mais la contradiction durcit à l’examen : comment peut-on à la fois savoir et ignorer qu’on bourre le mou? Se parer des plumes du paon, tout en les croyant siennes? Je ne suis tout de même pas aliéné au percipi à ce point) et que la frontière du volontaire ne soit pas si étanche. Mais on aura l’occasion d’y revenir en marge de la tartine sur l’objectivité).

La ponctualité. – Mêmes rapports objectifs, mêmes vérifications empiriques pour la ponctualité que pour n’importe quelle autre vertu intellectuelle. L’exactitude dans la fidélité au temps quantitatif suppose que nous placions les événements et nos actes sur une échelle métrique, comme on met des notes sur une portée, en respectant soigneusement la durée des sons et la mesure des intervalles. Cela enveloppe un art de traduire du qualitatif en quantitatif qui, en tant qu’il fait intervenir les communes mesures, implique une pondération délicate de l’esprit qui apprécie. On ne peut l’espérer de la part de sensibilités emportées à tout instant par les émotions qui colorent la succession temporelle. Il est douteux qu’un homme qui est arrêté à tous les étalages d’un chemin arrive exactement à un rendez-vous, qu’une émotive pour laquelle chacun des détails de sa toilette est passionnant, ne soit pas en retard au théâtre, qu’un flâneur en train de rêver se désintéresse des péripéties de sa rêverie pour l’unique fin d’être à l’heure pour l’arrivée. La ponctualité ne dépend pas de la quantité des occupations. Ce sont souvent, et pour des raisons importantes et visibles, les gens les plus occupés qui sont le plus ponctuels car ce qui rend ponctuel un homme, c’est l’ordre maintenu par l’esprit entre ses occupations; de sorte que si cet ordre manque le plus gravement au nerveux, celui-ci doit être le moins ponctuel des hommes, comme les nombres de l’enquête statistique le montrent.

[Essayons d’éviter les redites. Tous ces exemples me paraissent de véritables caricatures. Lièvre-nerveux vs. flegma-tortue, ou cigale et fourmi… Quoi de plus niais, de plus convenu, que cette image du nerveux qui s’arrête à toutes les devantures sur le chemin du rencard, comme s’il était établi qu’il s’intéresse davantage aux objets qu’à la figure qu’il va faire? Ou que la fille qui laisse filer le temps à se pomponner, alors que pour la plupart elles se pointent en retard exprès, pour n’être pas celle qui attend! Cela dit, la ponctualité a pour moi quelque chose d’obsessif, il se trahit là une peur qui s’exprime presque en clair dans ces innombrables rêves où je rate un exam’ ou autre en traînassant interminablement – sans raison, et/ou pas de mon fait… “Ce qui rend ponctuel un homme”, avant “l’ordre maintenu par l’esprit”, c’est le souci qu’il a de l’autre, et/ou de son opinion. Je n’ai pas connu plus nerveux que mon ex-dentiste, dont j’avais esquissé le portrait au début de ce blog; or c’est le seul qui ne m’ait jamais fait attendre, ne fût-ce qu’une minute – et il ne supportait pas d’attendre lui-même, ce qui m’est fraternel. À ce sujet, je reste résolument de l’avis de Montherlant : tout retard m’est offense, parce qu’il connote une pétition de supériorité : « Toi, fais-toi chier à poireauter; moi, je ne m’emmerde pas. » Le comble du mufle étant le ponte qui vous convoque à une heure précise et vous fait faire antichambre, ou ce bourgeon de notre époque saurienne : la secrétaire qui vous annonce au bigophone : « Ne quittez pas, Mossieur V.I.P. va vous parler »! Quand ce serait le Dalaï-Lama, nous ne risquons pas de faire connaissance à cette occasion. Je ne prends même plus le temps, avant de raccrocher, de le traiter de jean-foutre.]

L’objectivité. – Après avoir considéré deux vertus morales, considérons une vertu intellectuelle, celle qui fait un homme objectif. Il faut prendre ici ce mot au sens qui le fait correspondre à l’allemand sachlich employé par le questionnaire de l’enquête statistique pour la question 86, 2°. Un homme s’exprime de façon objective quand son discours contient plus de choses, de faits, de données que d’impressions, d’hypothèses ou de sentiments. Il ressemble moins à une allocution lyrique, telle que peut l’être un appel à un auditoire populaire, qu’à un rapport de société industrielle ou financière.

     Que par suite 7,5% seulement des nerveux, ce qui est le minimum, soient “objectifs”, tandis que 51,9% des flegmatiques, ce qui est le maximum, méritent d’être reconnus comme tels, on ne s’en étonnera guère. Le caractère et la vocation des nerveux qui sont toujours peu ou prou, au moins par l’âme, sinon par l’art, des poètes ne les prédisposent évidemment pas à chercher une expression intellectuelle et desséchée de la réalité, mais à la réfracter de façon à lui conférer la vie qu’elle doit tenir de sa connexion avec les vivants. Quand Stendhal, nerveux étroit, recommande d’écrire comme écrit le Code civil, quand dans ses vers Jules Laforgue, nerveux large, insère :

La somme des angles d’un triangle, chère âme,

Est égale à deux droits

ce n’est pas avec un souci de juriste ou de mathématicien qu’ils parlent, mais encore avec une arrière-pensée d’expression artistique. [Évidemment ce n’est pas “avec un souci de juriste ou de mathématicien”, mais chez Stendhal au moins, l’“expression artistique” réside dans le décapage, et le refus de se payer de “grands mots”. Il s’agit moins de refuser une “expression intellectuelle et desséchée de la réalité” que de se demander ce qui subsiste de “réalité” dans certaines théories qui n’ont en vue que la cohérence systémique, et ont rompu avec toute espèce d’intuition. Esprit de géométrie et esprit de finesse… En matière humaine au moins, aucun des deux ne vaut rien sans une bonne dose de l’autre.]

     Cette affirmation est confirmée par un résultat de l’importante question 72, que nous utiliserons assez souvent. Elle porte sur la nature des intérêts intellectuels manifestés par un homme au cours de ses entretiens : parle-t-il sur les choses (72, 1°) sur les personnes (2°) ou de lui-même (3°)? Or tandis que les flegmatiques possèdent au maximum la propriété de parler sur les choses, avec le taux de 67% (moy. 42,8), ce sont les nerveux qui la manifestent au minimum avec le taux bas de 27,6%; ils s’intéressent davantage aux personnes (et nous aurons à y revenir) comme le montre leur maximum de 47,1% et à eux-mêmes, comme l’établit leur maximum de 29,9%. Il suffit pour obtenir la confirmation qualitative de ces chiffres de comparer Le rouge et le noir ou La confession d’un Enfant du siècle à un traité de logique ou à l’Essai sur les éléments principaux de la représentation du flegmatique Hamelin.

     Dans l’accord de ces différentes données se révèle un défaut d’objectivité qui désigne les nerveux pour la supériorité dans les propriétés inverses. Celles-ci se laissent grouper par le terme de subjectivité. Le centre de gravité des préoccupations surtout intellectuelles du flegmatique que nous abordons ici par son opposé est le concept, en tant qu’il est abstrait et général et qu’il se présente comme la loi des choses. Le centre des intérêts du nerveux est la vie subjective. Il la manifeste telle qu’elle s’exerce en lui-même par les émotions qu’elle lui inspire; il la cherche dans les autres par cette aptitude à comprendre et à reproduire les sentiments qu’il tient de son aisance à les engendrer.

     À partir de ces données, nous pouvons risquer par parenthèses une conclusion plus générale en jetant un regard dans l’intimité intellectuelle propre aux émotifs-inactifs qui coïncident par l’importance qu’ils attribuent au moi et dans celle des actifs-non émotifs, surtout secondaires, qui privilégient les choses. [Notons ce glissement insidieux : les nerveux parlent plus volontiers des êtres et d’eux-mêmes que des choses (ou plutôt plus volontiers que les autres : cf. compar. 27,6 et 29,9%) –> centre d’intérêt : la vie subjective; –> “l’importance qu’ils attribuent au moi”. Bien étrange déjà que cette caractéristique des émotifs-inactifs soit abordée dans la sous-section consacrée aux effets du groupement inactivité-secondarité! Et pourquoi l’émotinactivité focaliserait-elle donc un individu sur soi? N’a-t-il pas mille choses à sentir, à toucher, à goûter, s’il n’agit pas sur elles? Le mystère de l’égocentrisme reste inviolé. D’autre part, où serait le défaut d’objectivité, chez un Stendhal, un Proust, un Freud, e tutti quanti, qui prétendent dégager de l’observation, et d’abord de l’introspection, des lois universelles? L’intuition est une garantie prise contre le baratin régnant. Sujette à caution, soit, n’empêche que les théories de la prétendue objectivité sont moins durables que les trouvailles des purs introspectifs.] Encore à ses débuts la caractérologie doit pour assurer l’objectivité de ses résultats se contenter d’une objectivité extérieure, celle qui se réalise dans les paroles et dans les actes, facilement observables à tous; mais sa destination est plus indiscrète car ce sont les expressions les plus hautes et les plus intimes des hommes qu’elle vise à expliquer et comprendre. Parmi ces expressions est la philosophie, qui ne peut faire d’ailleurs que prolonger les modes usuels de la pensée humaine. Dès lors la caractérologie doit retrouver les directions des intérêts philosophiques et en rendre compte par celles des caractères. Or un couple de ces directions se présente ici à nous, c’est l’opposition entre deux attitudes que l’on peut prendre à l’égard de l’homme. L’une, tout objective, consiste à réduire l’homme aux choses c’est-à-dire à la nature, aux principes et aux lois par lesquels on tente de l’expliquer; l’autre au contraire consiste à en respecter, même à en exagérer la subjectivité et à opposer violemment l’homme, serait-ce en le livrant à la souffrance, à l’objectivité des lois et des choses. Cette opposition dans son rapport avec la caractérologie exigerait une longue étude, qui rentrera naturellement dans l’étude des conditions caractérologiques de l’œuvre d’un philosophe. Ici nous pouvons au moins indiquer le contraste entre des flegmatiques comme Leibniz qui, par application du principe logique que tout prédicat est inhérent au sujet, réduit la vie d’une monade au déroulement d’une courbe définie par une équation, comme Kant qui substitue à l’intérêt pour le moi psychologique l’inventaire des formes du moi transcendantal, même comme Bergson qui noie le moi profond dans la durée et ne l’individualise que par le corps, et un sentimental comme Maine de Biran dont toute la philosophie est la méditation de la subjectivité empirique jusqu’à ce qu’il s’interroge sur la valeur absolue de ce moi. La première attitude est conditionnée par la prédominance de la secondarité et de l’activité sur l’émotivité; la seconde par celle de l’émotivité sur les deux autres : c’est du moins ce que suggère le fait que les passionnés, comme sont Spinoza et Hegel, après avoir reconnu le moi subjectif, le premier dans la connaissance du premier genre, le second dans la Moralität, aboutissent à le disqualifier en l’anéantissant, celui-là dans la nature rationnelle, celui-ci, dans les institutions de la Sittlichkeit. Si l’on objectait que Kant retrouve le moi dans la Critique de la raison pratique comme agent moral, il ne serait que trop facile de répondre que c’est afin de le soumettre aussitôt à un impératif formel qui, pour instituer une objectivité éthique en opposition avec l’objectivité naturelle, n’en est pas moins la condamnation de la subjectivité.

[Sans commentaire. Il est déjà assez insane de m’astreindre à recopier tout cela, sur quoi je n’ai ombre de lumière, et dont, à vue de nez, je me fous complètement : Leibniz, Kant, Bergson, Spinoza et Hegel me tombent des mains (Maine de Biran, même pas essayé) probablement parce que je suis trop con pour les comprendre, mais ça se traduit par “les yeux assis dessus mon livre”, incapable de rosir les joues du cadavre. Dans ces cathédrales de Verbe, je ne reconnais rien d’humain, et ce qui ajoute à mon trouble, c’est que si j’en juge par tous les collègues de philo que j’ai connus, comprendre tout cela n’incite qu’à se remparer dans des raisonnements arbitraires, parfois cohérents, mais en marge du vécu.

     Il n’y a pas matière à placer ici, comme je l’aurais cru, une éluc sur la pensée illusoire (qui peut très bien sévir au sein de l’objectivité, telle que l’entend Le Senne) et comme elle n’est pas mûre, autant surseoir.]

Partager cet article
Repost0
Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :
Commenter cet article