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Le blog de Narcipat

La personnalité narcissique selon le DSM-V, 3

21 Juillet 2014 , Rédigé par Narcipat Publié dans #VA : La personnalité narcissique selon les DSM

     La critique est aisée, mais l’art est difficile. Comment me débrouillerais-je si j’avais à définir la personnalité narcissique en quelques traits? Ne nous dérobons pas :

     Profonde indifférence aux choses et aux êtres en soi; labilité et minceur du désir; difficulté à le réguler, dans la mesure où il n’est pas spontané, et procède largement de l’envie et de l’imitation, directe ou inversée; la possession est appréciée non pour les charmes intrinsèques de l’objet, mais pour la valeur qu’elle confère au sujet.

     Cette valeur, ou cet ersatz d’être, est la source presque unique d'un bonheur fugitif; quoique le sujet donne l’impression de se satisfaire d’une conviction de supériorité relevant du postulat, sa valeur est conférée par les autres, soit de facto, soit par anticipation : il tient son être, et son bien-être, de l’évaluation élogieuse d’autrui. 

     Du fait de ce besoin de support, et de son ordinaire déficience, l’auto-évaluation ne peut être que provisoire et changeante : le sujet se situe soit sur les sommets, soit dans l’abîme, jamais à mi-chemin; il fluctue sans escale du nul au sublime, ou, clivé, se perçoit simultanément nul et sublime, par exemple en distinguant obstinément un potentiel grandiose d’accomplissements insuffisants. Les attendus du jugement qu’il prête aux autres sont inconsistants, évanescents, soumis à l’aval, donc constamment menacés, et l’angoisse de l’effondrement accompagne en permanence le délire des grandeurs. Pour autant, il n’est guère accessible à la dépression, à moins d’un public à qui en donner le spectacle.

     De sa dépendance résulte – soit une quête effrénée d’admiration, d’amour, de réassurance, rarement explicite et avouée, car solliciter l’opinion y soumettrait plus étroitement le sujet aux yeux de ses juges, donc aux siens propres, privés d’autonomie; un discours torrentiel, constamment faussé par une recherche d’effet et tolérant mal la repartie qu’il prétend attendre, fréquemment caustique et agressif, surtout s’il doute de parvenir à plaire; soit une fuite devant les autres et leur regard, pouvant confiner à la solitude totale, vécue comme apaisante au quotidien, mais désespérante à long terme.

      Les autres ne sont pas conçus comme des individus différents, mais comme un collectif dont l’approche est uniquement projective : bien que leur autonomie formelle soit essentielle à ses yeux, le sujet ne les perçoit que comme des reflets de lui-même, et ne peut s’y intéresser qu’en tant que tels; encore est-ce en dernière analyse pour capter acquiescement et reconnaissance, qu’il commence à trembler de perdre si par aventure il les obtient; les liaisons s’usent donc à grande vitesse, car il craint d’être abandonné dès qu’elles ne progressent plus, et préfère prendre les devants.

     L’amour n’est pour le sujet que l’élection d’un être destiné à l’aimer, le rédimer, le couronner, se substituant à la collectivité, et qui, à cette fin, doit être lui-même doté d’une valeur visible (beauté, pouvoir, richesse) ou attestée par le groupe. Le soi en dépendant, le sentiment peut s’avérer d’une forte intensité, mais il n’est pas lié aux qualités réelles de l’objet, qui dérangent, indiffèrent, ou ne sont pas perçues. Recherche de la transparence, du fusionnel, de l’emprise, en vue de s’assurer et de conserver la valeur qui gît dans le regard élu. Mais dès la réciprocité obtenue, l’amour s’étiole, et il ne renaît qu’en la perdant.

     La haine, même éperdue, reste superficielle et rétorsive, déclenchée par le plus discutable indice d’hostilité, de dédain, de simple supériorité, mais balayée par le moindre témoignage d'élection ou de simple bienveillance.

     Le sujet se perçoit à part : les lois communes ne le concernent pas, et s’il y défère, c’est uniquement par peur du châtiment ou d'un jugement flétrisseur. Ne vote pas. Peut adopter les dehors d’une éthique altruiste, mais comme base de griefs, à des fins d’agressivité : sa vraie morale est centrée sur l’ego, il ne se soucie guère de nuire à autrui, et en tirerait plutôt fierté : le sentiment de culpabilité, qui peut être vif, profond, taraudant, se rapporte non aux fautes, mais à la bêtise, à l’erreur, à l’insuffisance.

     Dans ce cadre, attache une grande importance à l’irréprochabilité : tend à retoucher indéfiniment ses travaux, s’il doit en rester trace. S’irrite de ses bévues, et plus encore du “sabotage” d’un collaborateur ou d’un subalterne. S’attache à la perfection formelle du produit fini, qui détourne l’angoisse de l’inutilité, et de carences profondes tenant à une créativité factice. Multiplie volontiers les difficultés pour ne pas finir, et être confronté ipso facto à sa “nullité”...

 

     Halte au caca, tout cela n’est manifestement pas au point. Non seulement je persiste à me portraicturer comme si j’étais le paradigme vivant (enfin… un peu) du narcissisme, non seulement je ne sais pas si ces traits sont spécifiques d’une personnalité particulière (ce que je dégoise de l’amour, notamment, pourrait s’appliquer à tous… à condition de supposer insincères les couples durables et heureux!), mais en outre, l’observation clinique de ces caractéristiques, dont “le sujet” n’a pas nécessairement conscience, n’est pas des plus aisées! Il est vrai qu’il ne l’est pas davantage de relever une déficience d’empathie, par exemple, ou que les relations ne visent qu’à emporter l’aval. N’empêche que s’il s’agit seulement de poser un diagnostic, mieux vaudrait se borner à des traits patents, genre : Ramène à sa personne tout sujet de conversation, S’irrite de la moindre erreur, etc, oui, mais alors on ne quitte pas la superficie, et l’on ne s’attaque qu’à des symptômes optionnels, voire amovibles, du fait qu’il suffit souvent d’en prendre conscience pour en prendre le contre-pied. Du coup, je trouverais justifié qu’on se contentât de “cinq sur neuf”. Mais on peut aussi considérer comme guéri le narcisse de 3ème cycle, qui s’attache à ne jamais parler de lui.

     Le plus troublant de tout, c’est bien le soupçon de brasser du vent, et que la balkanisation en “personality disorders” soit factice et arbitraire. À l’issue de mon seul contact prolongé avec les psys, il y a quarante ans, consécutif à une “tentative de suicide” un peu moins ridicule que les autres, j’avais trouvé gonflé l’interne qui s’occupait de mézigue, à raison de dix minutes de parlote par semaine, de se dédouaner du diagnostic promis avec une formule qui devait avoir pas mal servi : « Dans votre cas, on ne peut conclure : vous avez trop de facettes! » Ha-ha. À d’autres, bande d’ignares et de fainéants! Je ne m’en sentais pas moins secrètement flatté. Et à présent, n’est-ce pas une perplexité semblable à celle qu’il évoquait qui m’habite quand je jette un œil, par exemple, au descriptif limitrophe, celui des personnalités-limites :

 

  To diagnose borderline personality disorder, the following criteria must be met : 

 

A. Significant impairments in personality functioning manifest by : 

1. Impairments in self functioning (a or b) : 

a. Identity : Markedly impoverished, poorly developed, or unstable self-image, often associated with excessive self-criticism; chronic feelings of emptiness; dissociative states under stress. 

 

b. Self-direction : Instability in goals, aspirations, values, or career plans. [Ne convient pas trop, à première vue, à un forçat des lettres, qui s’opiniâtre dans son caveau sans le moindre soutien, et dont l’autoportrait en cours dépasse les 2000 pages; mais en fait, à l’intérieur de la littérature, qui pour moi contient tout, je me suis constamment baladé d’un projet à un autre, guidé par ce lumignon faiblard : écrire un truc extraordinaire (ou qui en ait l’air); c’est surtout faute d’autre choix que je me suis entêté; quant à me rabattre sur l’entreprise nue de me comprendre, ça fleure la solution du désespoir.]

 

AND  

 

2. Impairments in interpersonal functioning (a or b): 

a. Empathy : Compromised ability to recognize the feelings and needs of others associated with interpersonal hypersensitivity (i.e., prone to feel slighted or insulted); perceptions of others selectively biased toward negative attributes or vulnerabilities. 

 

b. Intimacy : Intense, unstable, and conflicted close relationships, marked by mistrust, neediness, and anxious preoccupation with real or imagined abandonment; close relationships often viewed in extremes of idealization and devaluation and alternating between over involvement and withdrawal

 

B. Pathological personality traits in the following domains: 

1. Negative Affectivity, characterized by: 

a. Emotional liability : Unstable emotional experiences and frequent mood changes; emotions that are easily aroused, intense, and/or out of proportion to events and circumstances

 

b.  Anxiousness : Intense feelings of nervousness, tenseness, or panic, often in reaction to interpersonal stresses; worry about the negative effects of past unpleasant experiences and future negative possibilities; feeling fearful, apprehensive, or threatened by uncertainty; fears of falling apart or losing control. [Pas d’italiques : ma peur de l’effondrement ou de couler en flaque n’est pas celle de tomber en morceaux, encore moins de perdre le contrôle.]

 

c. Separation insecurity : Fears of rejection by – and/or separation from – significant others, associated with fears of excessive dependency and complete loss of autonomy

 

d. Depressivity : Frequent feelings of being down, miserable, and/or hopeless; difficulty recovering from such moods; pessimism about the future; pervasive shame; feeling of inferior self-worth; thoughts of suicide and suicidal behavior. 

 

2. Disinhibition, characterized by: 

a. Impulsivity : Acting on the spur of the moment in response to immediate stimuli; acting on a momentary basis without a plan or consideration of outcomes; difficulty establishing or following plans; a sense of urgency and self-harming behavior under emotional distress. 

 

b. Risk taking : Engagement in dangerous, risky, and potentially self-damaging activities, unnecessarily and without regard to consequences; lack of concern for one’s limitations and denial of the reality of personal danger. 

 

3. Antagonism, characterized by: 

a. Hostility : Persistent or frequent angry feelings; anger or irritability in response to minor slights and insults. 

 

     Inutile de me faire chier à traduire, je n’ai pour ainsi dire plus de lecteurs, et de toute façon, comme ils dédaignent de me causer, je les emmerde. Il n’en est pas moins troublant, quand je m’attelle à italiquer les points de conformité, de ne devoir laisser à l’écart que la crainte d’une perte de contrôle et le déni du danger – lesquels sont, au vrai, les caractéristiques les plus manifestes du borderline. D’ailleurs, si je me réfère à la façon dont les autres me perçoivent, ne conviendrait-il pas d’inclure les colères folles, ruptures du lien à la moindre manifestation de mépris, real or imagined? C’est bien joli, le sentiment intérieur de bluffer, de mettre en scène mes pétages de plombs, de les adapter à une réception présumée; n’empêche que le résultat, c’est que tout le monde prend la fuite, ou ne m’aborde qu’avec moult précautions, et qu’il faut diagnostiquer au moins une très mauvaise évaluation de la réception. Mes poses de casse-cou relèvent du faux self, ma nuque se hérisse à l’idée que Bruxelles ou un hacker me carotte mon matelas d’épargnes, ou qu’un suicide loupé me lèse incorrigiblement le cerveau, et je suis convaincu que la pauvreté de ma pensée tient largement à son manque de hardiesse : je ne suis pas homme à cingler vers un neuf qui disqualifierait le peu que je possède : soit. N’empêche qu’il n’est pas absolument commun de se retirer de la vie salariée dix ans avant la retraite, que ce coup de maître fut précédé d’un bon nombre de petits copains, et que les considérations d’intérêt ne pèsent pas lourd face à une crasse.

     Même si l’on admet qu’un borderline mesquin et cauteleux ne remplit pas tout à fait les cases, l’adéquation de tout le reste est troublante. Notamment de cette oscillation de l’auto-évaluation, que je tenais pour caractéristique du narcisse. Resterait à déterminer pourquoi l’un est dépressif, et non l’autre. Mais en suis-je si sûr? Et les formes visibles de la dépression ne ressortissent-elles pas à la perte de contrôle? Du reste, y a-t-il un trait d’altruisme ou d’objectalité dans cette description du borderline? N’est-ce pas, tout bonnement, un narcisse irréfléchi et désordonné? Toutes ces petites boîtes sont de la poudre aux yeux, je le crains : sans doute me reconnaîtrais-je dans toutes? Allons voir : ça me fera des vacances.

 

     Une heure plus tard : mission accomplie! Je suis tout : Antisocial («  Goal-setting based on personal gratification; absence of prosocial internal standards associated with failure to conform to lawful or culturally normative ethical behavior. […] Lack of concern for feelings, needs, or suffering of others; lack of remorse after hurting or mistreating another. », etc); avoidant (“évitant”?) (« Low self-esteem associated with self-appraisal socially inept, personally unappealing, or inferior; excessive feelings of shame or inadequacy […] Preoccupation with, and sensitivity to, criticism or rejection, associated with distorted inference of others’ perspectives as negative. […] Reluctance to get involved with people unless being certain of being liked; diminished mutuality within intimate relationships because of fear of being shamed or ridiculed. […] Reticence in social situations; avoidance of social contacts and activity; lack of initiation of social contact. […] Lack of enjoyment from, engagement in, or energy for life’s experiences; deficits in the capacity to feel pleasure or take interest in things, etc); compulsifDifficulty completing tasks and realizing goals associated with rigid and unreasonably high and inflexible internal standards of behavior […] Rigid perfectionism: Rigid insistence on everything being flawless, perfect, without errors or faults, including one's own and others' performance […] Persistence at tasks long after the behavior has ceased to be functional or effective [la preuve!!!]; continuance of the same behavior despite repeated failures. »… etc), et même schizophrèneConfused boundaries between self and others; distorted self-concept; emotional expression often not congruent with context or internal experience. […]  Pronounced difficulty understanding impact of own behaviors on others; frequent misinterpretations of others’ motivations and behaviors. […] Marked impairments in developing close relationships, associated with mistrust and anxiety. […] Odd, unusual, or bizarre behavior or appearance; saying unusual or inappropriate things. » Voire, qui sait : « Cognitive and perceptual dysregulation : Odd or unusual thought processes; vague, circumstantial, metaphorical, over-elaborate, or stereotyped thought or speech; odd sensations in various sensory modalities. ») Etc, etc, etc… Comme disait à peu près La Bruyère : « Un caractère bien fade est celui de n’en avoir aucun. » Cela ne fait pas de doute, pourtant : mes contours ne sont pas celui de l’Homme en général. Mais chercher une fiche préexistante qui colle, ça semble du temps perdu.

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