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Le blog de Narcipat

En dépit des objections…

15 Juin 2013 , Rédigé par Narcipat Publié dans #VA : Le Senne : Les Nerveux

     En l’état, la caractérologie ne paraît pas mériter une heure de peine. Alors, pourquoi m’y attarder? Parce que je n’ai plus rien à dire? Yadça, mais enfin, tant que je n’ai pas déversé ici l’intégralité du bouquin d’Hightower ni de mes chansonnettes, il n’y a pas urgence de chercher des ressources d’appoint, dont au surplus pourraient tenir lieu quinze romans inédits et les passages achevés de mon Inventaire, même si je redoute de relire tout cela, n’en attendant guère que la confirmation d’un bilan néantifique. Du reste, rien de plus insane que d’alourdir encore ce blog, qu’il faudrait au contraire dégraisser : 600 entrées, il y a de quoi décourager les boulimies les plus intrépides, et le pire, je le crains, c’est que les 50 premiers articles, allons, mettons 75, l’emportent en contenu utile comme en verve sur les 525 autres. Sénescence de l’esprit, course à l’Alzheimer, accélérée par l’absence de tout dialogue? Bah, de toute façon, même dans mon “bon temps”, mes cogitations ne valaient pas tripette. Non seulement je baisse, mais en outre ce fut toujours bas! Revenons à notre thème.

     Du temps que j’enseignais, presque tous les ans, j’ai fait subir à mes classes le test de Berger, que j’avais même traduit en Basic, bien avant qu’Internet ne nous le fournisse, en nettement plus élaboré : programme rudimentaire et hypertrophié (le mien), mais qui, après tout, fonctionnait. Je ne renie pas cette heure de cours, qui captait l’intérêt sur quelque chose de plus essentiel, ce me semble, que des fioritures littéraires, et permettait aux gosses de se poser leurs premières questions sur ce qui les différenciait objectivement des autres : il s’agissait, avant de se classer, d’apprendre à s’observer, objectif qui métamorphosait en qualité le défaut majeur de ce test, à savoir de s’adresser à des gens déjà capables de se distancier un peu d’eux-mêmes. On ne vous demande pas carrément : « Êtes-vous émotif? » mais il ne va déjà pas de soi de répondre “oui”, par exemple, à une question comme : « Êtes-vous susceptible? Êtes-vous facilement et profondément blessé par une critique un peu vive, une remarque désobligeante ou moqueuse? », même “désobligeant” une fois expliqué, quand précisément l’on est si susceptible qu’on a pris le parti de se cuirasser contre, et d’affecter une sereine indifférence aux vannes. « Vous découragez-vous facilement devant les difficultés ou devant une tâche qui s’avère trop fatigante? » À presque 63 berges presque entièrement consacrées à me scruter, je ne le sais pas moi-même; pour un teen, c’était souvent la première occasion d’y réfléchir – pour répondre, à l’ordinaire : « Ça dépend » (de la tâche en question, de si je l’ai choisie ou non).

     Je n’attachais donc pas une importance démesurée à l’étiquetage; mais en fin de séance, ou au début de la suivante, quand les testés avaient effectué leurs additions dans les trois colonnes (pour éviter au mieux le biais du préconçu, je faisais alterner les questions sur l’émotivité, l’activité et le retentissement), je leur donnais lecture des brefs résumés de Berger, qui étaient bien loin de les frapper toujours par leur pertinence dans leur cas personnel. Mais une description, immanquablement, leur paraissait judicieuse à crier, si l’on en juge par l’unanimité avec laquelle ils me l’appliquaient, alors que je n’avais pas dévoilé mes batteries : celle du nerveux, É n-A P : « D’humeur variable, ils veulent étonner et attirer sur eux l’attention des autres. Indifférents à l’objectivité, ils ont le besoin d’embellir la réalité, ce qui va du mensonge à la fiction poétique. Ils ont un goût prononcé pour le bizarre, l’horrible, le macabre et, d’une manière générale, le “négatif”. Travaillent irrégulièrement et seulement à ce qui leur plaît. Ont besoin d’excitants pour s’arracher à l’inactivité et à l’ennui. Inconstants dans leurs affections, vite séduits, vite consolés. Valeur dominante : le divertissement. »

     Inutile de préciser que si mes élèves, sous toutes les latitudes,  ou du moins de Denain à Curepipe, m’ont reconnu dans un pareil croquis, c’est qu’ils étaient bien loin de m’ériger en gourou, comme le prétendaient certains collègues : on ne prend pas pour parole d’évangile les élucs d’un indifférent à l’objectivité qui va du mensonge à la fiction poétique. Est-ce à dire que la vérité sortait de la bouche des enfants? J’ai déjà dit, dans les profondeurs de ce blog (que je m’astreins, ces jours-ci, à relire méthodiquement, pour opérer des coupes sombres dans son fatras, sans grand succès jusqu’à présent) que j’avais eu la stupeur, en recopiant cette esquisse (qui me gênait surtout parce que c’était trop Baudelaire, avec lequel je ne me sens guère d’affinités, mais me paraissait en gros coller), de m’aviser que la plupart de ses traits auraient pu laisser place à leur exact contraire, ou s’appliquer à tout le monde, et que le paragraphe limitrophe, consacré au sentimental (« Ambitieux qui restent au stade de l’aspiration. Méditatifs, introvertis, schizothymes. Souvent mélancoliques et mécontents d’eux-mêmes. Timides, vulnérables, scrupuleux, ils alimentent leur vie intérieure par la rumination du passé. Ils savent mal entrer en relations avec les autres et tombent aisément dans la misanthropie. Maladroits, ils se résignent d’avance à ce qu’ils pourraient cependant éviter. Individualistes, ils ont un vif sentiment de la nature. Valeur dominante : l’intimité. »), en mettant aux scrupules le bémol de l’immoralisme, et en poussant dans un coin le sentiment de la nature, laquelle pour moi est surtout un refuge, collerait plutôt mieux à l’être sur lequel je me suis replié… qu’on pourrait, du reste, classer colérique (É-A-P) dans un réunion, avec des lopins de passionné (É-A-S) et d’apathique (nÉ-nA-P) selon les circonstances…

     Mais trêve de blagues : que les gosses me reconnussent n’était guère qu’une confirmation, puisque nerveux était le résultat que je trouvais au bout des trente questions du test, avec une inactivité peu marquée, toutefois. Et là surgissait la magie, puisque ce questionnaire, portant sur des propriétés fondamentales qui isolaient l’homme de ses semblables, et ne s’occupant que très accessoirement du “relationnel”, menait, par des voies obscures, à des conclusions inattendues en ce domaine, et leur donnait la force du mystère. Quand, après avoir coché des cases face à « Votre fruit préféré » et « Chantez-vous sous la douche? », vous tombez, à la page des solutions, sur une description exacte de vos préférences en matière sexuelle et de vos difficultés dans la vie, il est irrésistible de conclure que l’auteur du test dispose d’une science qui vous est inconnue, et c’est l’impression que donnait ce banal crayon de Baudelaire, qui n’aurait pas mérité trente secondes d’arrêt si je ne me l’étais appliqué au sortir de questions dont pas une n’avait trait à mon appétit de briller, à mon goût pour le “négatif”, à ma propension au mensonge, et, d’une manière générale, aux rapports que j’entretenais avec les autres humains… ainsi d’ailleurs qu’avec ma propre image, dont il n’est guère question dans les quelques lignes de Berger, mais dont Le Senne juche tant bien que mal le souci obsessionnel sur les trois piliers de base.

     Est-ce une bien bonne raison pour entreprendre de recopier (en l’entrelardant de commentaires) non pas l’intégralité du Traité de caractérologie, faut pas pousser, mais les 75 pages de Portrait du Nerveux? Il faut bien admettre que non. Je me pique de vider la question, et probablement restera-t-elle pendante au point final. Mais il est de fait que la copie m’a permis, il y a deux ans, de comprendre un peu mieux le bouquin de Kernberg, et surtout, qu’elle me stimule : l’aboiement marginal, supposé qu’on l’intègre à la littérature, en constitue probablement une des formes les plus stercoraires, et j’ai assez taillé de jupettes aux pauvres connes qui vous envoient des courriels de deux pages entièrement composés de citations du vôtre, adornées de oui, de non, de hin hin, de ouaf ouaf et de nimpôtkwââ, pour ne pas rougir qu’un tel genre me soit incommensurablement plus facile que la création e nulla re; mais est-il bien surprenant que, synthèse et composition étant les perchoirs par excellence de la contingence, tout ce qui m’en débarrasse m’ouvre les bras de la facilité?

     Si l’on peut l’avouer sans être suspect de quêter la compassion, je me trouve, depuis presque deux mois que la JOP s’est effondrée sous l’effet d’une simple pichenette des Autres (et quels Autres!), dans un tel état de déréliction que tout ce qui me sauve apparemment de la dépression lourde, c’est l’absence d’épaule sur quoi chialer. Rien à regretter de trados médiocres et de vers atrocement prosaïques, que je m’obstine pourtant à mettre en ligne, peut-être par pur masochisme et pour boire ce calice jusqu’à la lie (les chansonnettes de jadis, quoique différentes, me paraissent encore pires dans l’ensemble que celles d’hier); quant à l’Inventaire, je n’ose toujours pas le relire, mais tout me porte à croire qu’il basculerait à son tour dans le néant. Grosso merdo, comme aurait dit Rubel, je me vois un peu dans la situation de Don Quichotte quand il renonce à ses lubies, avec la double différence 1) qu’elles étaient plus nobles que les miennes, centrées sur l’ego; 2) qu’il n’est venu à résipiscence qu’à l’article de la mort, et avec l’avantage de se croire (lubie encore, mais bienheureuse, et approuvée par toute l’époque) en partance pour l’au-delà. Quant à moi, je ne sais à quel saint me vouer, et c’est très inconfortable. Que je n’aie plus rien à dire serait plutôt une incitation à trouver du neuf; mais tout ce je pourrais trouver pue d’avance le cadavre et l’à quoi bon. Essayons donc de la copie, qui m’a réussi en d’autres temps, Si elle ne réinsuffle pas la vie à mon gros nounours, du moins laissera-t-elle quelque temps au temps.

     Quant à vous, à supposer un “vous”, il y a quelques chances que la prose de Le Senne vous intéresse davantage que mes tirebouchonnages de nombril ou les poussives caracoles de mon imaginaire – au cas bien sûr où vous vous reconnaîtriez dans le portrait du nerveux. Non que je me croie le moindre devoir envers vous : ces choses-là ne sauraient naître sans l’ébauche d’une réciprocité. Je constate d’ailleurs un truc inexplicable : que j’ai moins de lecteurs (ou, disons, de cliqueurs) que pendant mes treize mois de mutisme! Si ta musique est moins belle que le silence… On donnait autrefois le bonnet d’âne aux émissions de télé qui drainaient moins de clients que la mire (l’image fixe des heures sans, qui a probablement disparu de nos jours), mais apparemment mon cas est plus grave encore, puisque ce qu’on allait voir quand je n’y étais pas est toujours là, et qu’on n’y va plus! Mais halte aux spéculations là-dessus, puisque je ne puis qu’y trouver confirmation de ma totale incompréhension des Autres tels qu’ils sont.

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