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Le blog de Narcipat

Comment détruire la créativité d’un enfant, 4 : la restriction des choix

19 Février 2014 , Rédigé par Narcipat Publié dans #VA : Teresa M. Amabile : comment on tue ou favorise la créativité des enfants

               La restriction des choix

 

      Albert Einstein ressentait fortement que l’apprentissage et la créativité ne pouvaient être promus par la contrainte. Il avait une bonne raison de ressentir cela : l’école qu’il avait fréquentée enfant à Munich était strictement militaire, axée sur le par-cœur et une discipline sévère. Pour Einstein, l’expérience de se faire dire qu’apprendre, comment l’apprendre, et exactement comment le régurgiter aux examens, avait été excessivement pénible. Voici la description qu’il a donnée de ses sentiments, après des examens terminaux spécialement sinistres :

 

La coercition exerçait sur moi un effet si dissuasif que lorsque j’eus passé l’examen final, la simple considération de toute espèce de problème scientifique s’avéra désagréable pendant une année entière.

 

     La destruction de la créativité scientifique d’Einstein, bien que seulement temporaire, n’en est pas moins remarquable. Voilà un garçon qui fut fasciné par la science dès l’âge de cinq ans, quand son père lui montra une boussole. Un garçon qui n’était jamais las de réfléchir et d’apprendre par lui-même en matière scientifique. Et néanmoins, quand la réflexion et l’apprentissage furent forcés, dans un environnement hautement restrictif, même ce haut intérêt fut ébranlé. Pensez à l’effet dévastateur que peut avoir la contrainte sur des enfants dont la motivation intrinsèque ne s’élève pas au-dessus d’un niveau ordinaire!

 

[Mais justement : nego consequentiam. D’abord, cette affreuse école n’a pas empêché Einstein de devenir Einstein : doit-on supposer qu’il aurait fait mieux en pleine et entière liberté de tout temps? C’est hardi. Mais ce qui me gêne surtout, c’est qu’on conclue de l’exception à la norme, comme si chaque gosse disposait d’un riche trésor d’intrinsic motivation, qu’il faudrait avant tout préserver. Qu’il ait des désirs qui le portent vers telle ou telle activité, qu’il prenne plus son pied ici que là, entendu, encore que je refuse de croire à l’innéité desdits désirs et plaisirs tant qu’elle n’est pas prouvée. La question reste de savoir quelle proportion de la population trouve naturellement son plaisir dans l’apprentissage et la créativité, dès qu’on dépasse le premier ravissement de la découverte, et qu’il faut se décarcasser un peu en vue d’une amélioration, notamment se fatiguer la cervelle et remettre en question les acquis (car les amateurs de dépense physique et/ou répétitive me semblent infiniment plus nombreux). Je ne prétends pas que les hommes ne pensent qu’à baiser, bouffer et dormir, mais que pour la plupart ils se satisferaient volontiers d’un taux d’innovation extrêmement bas, surtout s’il faut la fournir soi-même, et que sans contrainte l’immense majorité ne se donnerait aucune peine, et stagnerait lamentablement. Au reste aucune société n’éprouve un tel besoin de chercheurs et d’artistes, de sorte que si tous s’en piquaient, le résultat serait d’usiner des frustrés à la pelle, car je persiste à douter que le tableau qui n'est admiré que de son auteur lui prodigue à lui-même de grandes joies.

     Cela dit, je ne nie pas que l’école ne soit en général abominable, et n’ait pour réussite majeure que de dégoûter de tout ce qu’elle touche, de par la séparation qu’elle opère entre le travail et la joie, séparation d’autant plus scandaleuse que la matière dont elle détourne, parfois pour la vie, ne se justifie (la littérature, par exemple) que par la joie qu’elle procurerait. Les seules notions que l’école réussisse en général à inculquer sont, corrélés, la contrainte et l’ennui, qui préparent le gamin à la contrainte et à l’ennui du travail rémunéré, lequel sonne pour beaucoup comme une délivrance, parce qu’au moins la rémunération est une bonne raison de s’emmerder et de subir la botte du chef. Je le braillais en 83, lors de la “journée Legrand”, et n’en démords pas, l’école est avant tout une machine à courber les échines; quant aux “connaissances” qu’on y dispense, elles sont plus dignes de singes et de perroquets que d’hommes. Les réacs prétendent qu’on a renoncé à la “transmission”, fichaise : on a simplement divisé par deux ou trois le paxon à transmettre, sans s’interroger sur sa pertinence : on n’a pas fait plus attrayant, ni plus utile, mais simplement plus facile – et ça ne marche pas. Mais je le dis haut et fort aux chantres de la déchéance, et à leur “école que le monde entier nous enviait” : en 67, en passant mon bac (avec mention bien), je ne savais rien : je récitais comme un niais (doublé d'un faux-cul, car je m'imaginais préservé de l'idéologie par la raillerie interne), et l’on n’en demandait pas plus. Et tout ce que j’aurais peut-être aimé sans l’école, elle le salissait.

     Bon, j’étais sans doute pathologiquement soumis-et-révolté. Revenons au sujet et à la solution, qui, selon l’auteur, serait une plus grande ouverture des choix. Solution pour qui? Pour Einstein, peut-être, en dépit de ma répugnance à admettre que nous ne soyons pas tous des Einstein potentiels. Mais enfin, ça pourrait se solder par le délaissement de certains domaines pas nécessairement inutiles : il paraît tout de même un peu craignos de laisser le choix aux enfants entre écrire et compter, d’autant que ce serait encore trop restreint pour ceux qui ne se sentent de goût que pour le foot, la piscine ou dérouiller le voisin. Voyez ce qu’est devenue cette belle initiative des Travaux d’Initiative Personnelle Encadrés, si c’est bien ainsi qu’on les appelait… Quelle merveilleuse occasion de laisser libre cours à sa créativité! Sauf que la quasi-totalité des potaches, à ce que j’ai cru ouïr, s’est ruée sur Internet pour pomper texto… Et si je n’avais qu’un petit dixième de tricheurs, du temps où je demandais des “romans”, c’est que les autres craignaient de se faire pécho. Alors? Que le grand nombre n’en ait guère tiré profit, d’accord. Mais que l’exigence lui ait nui, je tire l’échelle. C’est vivre dans un monde rose et bleu que de s’imaginer que les enfants, laissés en liberté, vont se tourner vers des activités enrichissantes; et si je suis tout prêt à proclamer que le bonheur est un meilleur maître que la contrainte, et que la cour (de récré) justifie mieux l’école que tous les cours, je persiste à me demander ce qui subsisterait du bonheur des vacances, si toute référence à la mornitude des jours ouvrés était abolie… ]

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