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Le blog de Narcipat

L’impossible retour au giron

20 Mai 2018 , Rédigé par acement, Publié dans #Bilans

    Ne lisez pas : l’ennui menace, c’est pour moi que je désire faire une enième fois le point. Et certes il n’est d’égotisme si étroit qu’un lecteur ne puisse se l’appliquer, le talent changeant ma case et mon doudou en ceux de tous ou de quelques-uns; mais de talent j’ai bien peur de n’avoir jamais eu l’ombre. “Révélation” qui, me baffant la gueule deux ou trois fois par an, y perd un peu de sa force d’impact; à moins qu’elle ne se renforce de ses sœurettes antérieures, et ne pavoise de constater que si loin qu’on scrute, on ne voit pas arriver une idée. Combien de fois ai-je fait rimer “idée” avec “vidé” – avant de chipoter sur le “vide” d’une citerne qui fut toujours alimentée au compte-gouttes, quand l’accueil et l’aval étaient par trop improbables? Acta est fabula : ma vie ne fut qu’une mascarade plus ou moins consciente, entée sur une authentique illusion de supériorité, née elle-même dans un terreau de rejet réel ou seulement ressenti, mais incapable de porter des fruits, de par une persévérance insuffisante, et une invincible réticence à me mettre au courant. Je confesse le péché d’avoir pété plus haut que mon cul, et vécu dans une solitude nécessaire peut-être, mais ni jouissive ni productive. Un gars de ce carat aurait dû obéir, tout bonnement, mesurer ses limites, au lieu de se piquer de jouer les antithèses.

    J’ai tant de fois enterré ce blog qu’une de plus, surtout inaccompagnée d'effacement, me fait hausser les épaules à moi-même. Mais sa reconversion en outil caritatif n’est manifestement pas au point : mes aventures prostatiques ne passionnent pas les masses, et je ne crois pas gagner beaucoup d’audience à battre le rappel de mes autres bobos, même si ce sont, en gros, œil, dents, bide, ceux des hommes de mon âge, sous-ensemble des maigrichons (j’ai repassé hier la barre des cinquante). N’oublions pas la cervelle! Non seulement ma conso de benzos ne baisse pas, mais, arguant de mes maux de dents post-opératoires, je me suis remis aux Noctamides, qui me sonnent pour cinq heures, mais accroissent les pertes mnémiques à tel point que je me vois gâteux avant la septantaine. Dilemme : seul le sommeil me “refait” à peu près l’œil, et écarte le spectre de la cécité; mais du fait d’une overdose qui date déjà de trois ans et demi, je ne puis fermer l’œil sans un grain d’assommoir, dont l’effet s’érode immanquablement, de sorte que me voici obligé de jouer aux chaises musicales avec les quelques molécules que mon toubib consent à me prescrire,et qui, toutes, aggravent les effets délétères de l'âge.

    J’espérais vaguement le sevrage d’une semaine en Limousin avec ma mère, comptant substituer à la lecture de longues balades dans les bois. Mais outre qu’il a fait un temps de chiottes tout du long (sauf, chose étrange, le seul jour de l’anniversaire de ses VC ans (ne pas lire WC pour autant)), je crois que le temps des promenades est passé pour votre serviteur : aussi loin que je remonte d’ailleurs, il fallut toujours que le décor fût excessivement grandiose (et vide de tout autre randonneur) pour que je cessasse de grommeler à chaque pas : « Mais qu’est-ce que je fous là? Que de temps perdu! » Au sein de la nature, ou devant tel ou tel temple trois étoiles, c’est la solitude que je recherchais – et les photos. J’ai beau me battre les flancs de ce maïpouri qui, sur la piste abandonnée d’Apatou, est venu prendre un pot à deux mètres à peine, dans la crique où je trempettais (alors qu’ils sont farouches, et que la chasse les a décimés), le bouquin le plus débile m’enrichit davantage que la plus rare des aventures sans présence humaine. Ça n’a pas grand sens d’articuler que je suis “plus moi-même” devant un livre que devant un ciel, ledit “moi-même” n’étant au fond que vacance et attente, mais mes voyages géographiques, c’était de la frime, et ce n’est pas seulement en considération du coussinet-anti-surprises-et-dépendance de mon compte en banque que je me félicite d’en avoir terminé avec eux.

    La perspective de me revigorer sur les sentiers n’était pas la motivation première de ce séjour : je n’avais pas vu ma mère depuis janvier 2017, et me promettais non seulement de rendre tous les services à ma portée, mais de corriger les aspérités du discours dans le sens de faire plaisir et d’aider à vivre. Et j’y suis vaguement parvenu, ce me semble, pendant trois ou quatre jours, en dépit de l’agacement que m’inspire non tant le radotage de maman (si l’on est à la recherche de pépites, il faut la diriger vers des voies non frayées, sous peine de se voir resservir ad nauseam les mêmes sempiternels souvenirs-écrans) que la direction auto-hagiographique qu’il a adoptée, avec la complicité de tout le patelin, ou du  moins de la part rotarienne et/ou catho d’icelui : pour le curé, elle est “sans péché”, et peut communier sans aucune préparation! Et les rares que j’ai rencontrés (rares parce qu’elle “avait son fils”) m’ont demandé si j’appréciais bien ma maman à sa juste valeur : une femme de VC ans qui a “notre âge” (LX à LVXX en moyenne) et ptêt même moins, c’est un sujet exceptionnel, et précieux au possible!

    Voire. Je soupçonne ce discours d’en cacher ordinairement un autre, style : « Nous fourrons nos parents à l’EHPAD, soit; mais voyez comme on serait adorable avec eux, s’ils étaient moins chiants! » Maman sert d’alibi au sens large, d’antidote à la culpabilité. Et assurément elle est dotée, disons même qu’elle se dote d’une résilience assez étonnante : elle s’adapte jusqu’à présent à toutes les progressives restrictions que lui ont imposées les infirmités avec une bonne humeur qui contraste avec la révolte paranoïaque de feu papa, et devrait bien me servir de modèle. Elle tient encore sur ses jambes, en s’accrochant un peu partout, devient dure de la feuille, et se pique de répondre tout de même, mais une fois sur deux il y a encore un rapport. Je suis un sauvage, O.K., mais pas au point de m’irriter des trous de mémoire d’une presque centenaire, qui a au moins compris que la maxime n°1 pour plaire encore, c’est de ne pas se plaindre, même si elle l’étale un peu trop. Compris, d’ailleurs, disons, à moitié : pour le présent. Mais elle a pris le passé en otage, s’est resculptée en statue de l’altruisme et notamment du dévouement pour ses enfants : elle a pu certes faire des erreurs, mais plutôt à l’instigation d’un époux chargé post mortem d’un fardeau de tares toujours plus écrasant (dont il émerge réhabilité à mes yeux! mais le ! est de trop), et d’une belle doche émule de Satan, ou peu s’en faut. Bref, la marâtre de mes souvenirs d’enfance, l’insupportable mégère aux ordres idiots et aux ongles crochus, n’a jamais existé. Et je n’ai garde, assurément, de lui redonner vie : une conversation avec maman n’est pas l’espace où l’on cherche la vérité, sinon touchant tel ou tel détail d’une photo. Mais je n’oublie pas, ni elle, peut-être, que si elle a toujours “fait son devoir”, sa charité bien ordonnée a toujours commencé par elle-même, et que sa surprenante métamorphose en maman-gâteau date d’un temps où les gosses avaient pour la plupart quitté la maison. Si je croyais en un au-delà rétributeur, il me semble que je me ferais un devoir d’écailler un peu son pharisaïsme. Car si la réception chez Saint Pierre est celle qu’au moins quinze siècles ont crue, il me semble qu’elle et son curé-clystère devraient passer là-bas un mauvais quart d’heure. Je ne me suis guère oublié qu’une fois, sur les bonnes qu’elle se rengorgeait d’avoir prises à l’Assistance, en échange de bien peu de gratitude, et, voyant ressurgir la vieille carne inchangée, j’ai très vite battu en retraite, puis, vaguement, la campagne sur le thème des sœurs Papin. Pôpô avait complètement perdu la boule sur la fin, mais dans ses éclairs de lucidité, il gardait une capacité (inemployée, cela dit) de remise en cause de soi dont môman n’approchera jamais. La survie de l’âme ayant 99% de chances d’être une fable, il ne serait qu’atroce de s’attaquer à l’autosatisfaction d’un vieillard, si agaçante qu’on puisse la trouver.

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