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Le blog de Narcipat

Les inquiets : lézardes dans l’identification

3 Septembre 2010 , Rédigé par Narcipat Publié dans #VA : Jean Toulemonde : Les Inquiets

     Pour ceux que ça intéresserait (rêve toujours, Ducon!) Aude va au mieux, elle a été reçue comme l’enfant prodigue, sa rentrée s’est “très bien passée”, elle retrouve ses meilleurs copines, est résolue à croquer la vie à belles dents… et, semble-t-il, à m’écrire le moins possible. Me voilà prévenu. Tout est bien qui finit bien. Elle m’invite tout de même à faire le test (et il se peut que je m’y résolve, à condition de trouver l’endroit, de bouger ma graisse, etc) mais juste pour acquit de conscience, c’était audible, et je n’ai pu me défendre d’un zeste de fumasserie. J’ai franchement mal à la gorge, à présent, et il me semble que mourir demain ne me dérangerait pas un cheveu : vivement qu’on se repose de l’effort d’être! Mais tant de fois déjà je m’y suis vu que je ne m’en crois plus, et m’attends tout différent, bien lâche, bien abattu et bien terrifié, au pied du mur. D’autant que c’est par le froid que je compte devancer l’appel, et que le froid… est encore loin! À soixante berges, je vis dans le temps du nouveau-né, et quatre mois, c’est l’éternité. Je viens de m’offrir une doudoune au super-rabais sur eBay (des éconocroques avant le plongeon! Quelle lecture du néant!), et d’icelle revêtu, de quel pas ferme et égal je progresse vers le sommet… à la Saint Sylvestre! On verra tout en haut. La plupart de mes résolutions-béton attendent la dernière minute pour se volatiliser comme si elles n’avaient jamais existé…

     Revenons à Mossieur Toulemonde. Il est tentant bien sûr d’accueillir cette nouvelle perception (nouvelle pour moi; la plus ancienne, en fait) d’un type qui au fond n’est pas fort différent du narcipat ou du Peter Pan, (voire du masochiste psychique!) avec cette simple nuance que selon le point de vue l’accent serait mis sur le narcissisme, ou l’immaturité, ou l’échec subvolontaire, ou, cette fois, sur l’inquiétude, dont l’auteur – j’ai un peu feuilleté le bouquin plus avant – ne se préoccupe pas de chercher l’origine : pour cézigue, on naît comme ça : p. 35 : « Cet état semble être un fait premier, une diathèse prénatale. Une observation même superficielle montre dès le berceau une prédestination à la joie ou à la tristesse : certains nourrissons sont toujours gais, souriant à leur entourage ou à leurs rêves; ce sont de petits extravertis. D’autres pleurent sans cesse comme possédés par un invincible tourment : ce sont les inquiets congénitaux ». Pour sûr, l’ami, les narcipats sont des âmes sans repos, et je dois reconnaître que ma rage de l’Unité n’a pas réussi à réduire l’émotivité; bien au contraire, je me sens assez porté à la rendre responsable des traumatismes, même s’ils lui renvoient l’ascenseur : il se peut qu’on naisse plus ou moins cuirassé, avec un potentiel de résilience inégal – et aussi plus ou moins avide, avant même qu’un manque ne fasse brèche : la moindre part pour l’autre lèse qui veut tout. 

     Reste qu’à première vue il n’est pas concevable qu’une prédisposition à l’anxiété génère l’égocentrisme, la soumission à la Raison et la “cœnophobie” : pourquoi un inquiet congénital, mais, si j’ose dire, “objectal”, ne se rongerait-il pas pour ses proches ou l’avenir de l’humanité? Pourquoi se ferait-il haïr en argumentant mieux que les autres ou en prenant le contre-pied de leurs opinions? C’est aller au devant des angoisses! On ne peut pas déduire la focalisation sur sa propre personne de cette vague nervosité innée qui sonne si sot déjà chez Proust. Or Toulemonde nous présente tous ses “inquiets” comme égocentriques, infériorisés et inhibés! Et c’est précisément parce qu’il n’y a pas de raison, et que néanmoins, ça colle, que je me sens porté à lui en prêter de mystérieuses et presque magiques. C’est kif l’effet test : après avoir répondu à trente questions genre « Quelle est votre fleur préférée? » ou « Quel prénom donneriez-vous à votre enfant? », il suffit de lire en conclusion quelques remarques qui épinglent les particularités les plus secrètes de votre psychisme, ou ce que vous croyez telles, et surtout qu’on ne voie pas le rapport avec les questions posées, pour vous donner une haute idée de la science occulte du testeur. Je crois avoir fait allusion il y a quelques mois au résumé en quelques lignes du “nerveux” par Gaston Berger : « D’humeur variable, ils veulent étonner et attirer sur eux l’attention des autres. Indifférents à l’objectivité, ils ont le besoin d’embellir la réalité, ce qui va du mensonge à la fiction poétique. Ils ont un goût prononcé pour le bizarre, l’horrible, le macabre et, d’une manière générale, le “négatif”. » Rien de bien pénétrant dans un portrait qui semble calqué sur Baudelaire. Ce qui me scie, c’est qu’on puisse le déduire des trois paramètres de la caractérologie d’Heymans et Wiersma, émotivité, activité et retentissement, que l’ÉnAP ait toujours “besoin d’embellir la réalité”, “un goût prononcé pour le bizarre”, etc, alors que ces caractéristiques apparemment ne découlent en rien des prémisses, et qu’il n’est pas duraille d’imaginer un ÉnAP positif et nullement frimeur! Irrésistiblement je me dis : il y a kekchose là-dessous. Toulemonde, deux ou trois fois par page, m’apparaît superficiel et presque imbécile, avec ses jugements moraux (« cette noblesse de sentiments ne va pas sans quelques déficiences », etc) et son maniement de gros concepts (comme le pessimisme, l’esprit d’équité, l’introversion et quelques autres, dont on voit bien la trame) mais il taille un costard qui me va à peu près : il faut donc que ses outils soient moins déficients et rudimentaires que je ne les perçois.

     Qui me va : il y a là un nœud, et l’on peut se demander si la première manie à psychiatriser ou simplement spécifier n’est pas cette propension à me tenir pour la pierre de touche de l’Inquiet, comme précédemment du Pervers Narcissique, du Peter Pan ou du Parano. L’idiot, c’est moi, si je répute un portrait faux dès que je ne m’y reconnais pas. Mais il ne me semble pas donner dans cet excès : je ne vais pas claironner que le borderline, l’autiste ou le schizophrène n’existent pas : je n’en suis point, et c’est marre. Alors que là les rapprochements sont trop nombreux : est constamment décrit un bonhomme qui me ressemble, mais qui est constamment faussé (le plus souvent à son avantage) parce qu’on est dupe de ses simagrées, qu’on n’affouille pas suffisamment ses conduites, et que de l’une à l’autre on jette des passerelles erronées. On s’en tient au plus élémentaire, comme quand on débusque la rage de parler de soi “même en mal”, sans même voir que c’est la manière la mieux “protégée” d’accuser les autres!

     Mais la question fondamentale est tout de même de savoir si cet élan d’identification passionnée quoique vétilleuse est objectivement justifié par les éléments fournis : on dirait parfois que je ne demande qu’à me soumettre, que je “cherche un maître” – ou/et saisis le moindre prétexte pour me convaincre qu’un texte ”parle de moi”. Avant de chercher à poser les bonnes flèches, peut-être conviendrait-il de s’interroger sur la rareté de ce qu’elles relient! Il n’y a pas de raison, soit, pour que l’inquiet se soumette spécialement à des contraintes logiques et dialectiques, alors qu’il marche à l’intuition, ou que son inquiétude prenne l’ego pour thème exclusif, ou qu’il éprouve une profonde “cœnophobie”, alors qu’au contraire adopter le max d’idées reçues devrait le rassurer. Mais ces trois remarques n’ont-elles pas un caractère trop général? Tous les humains ne se prennent-ils pas peu ou prou pour référence? Tous ceux qui se piquent de convaincre ne s’efforcent-ils pas de s’en donner les moyens, en raisonnant aussi juste que possible? Le désir d’originalité n’est-il pas encore plus répandu, de nos jours, que le désir d’intelligence? Et pour chacun de ces trois points, ne rencontré-je pas en moi des tendances précisément contraires, l’inquiet que je suis se prenant certes pour terrain d’observation, mais répudiant comme insignifiant tout ce qui ne présente pas une portée potentiellement universelle ou groupale; se soumettant à la raison, mais n’y croyant pas, du moins pas à la sienne, aux limites de laquelle il ne cesse de se cogner; et se laissant emporter par un élan d’adhésion chaque fois qu’une thèse instituée le remet dans le rang, lui donne un nom, et un nom de vésanie! Après tout, je consacre un blog au narcissisme pathologique, c’est-à-dire à un syndrome signé Kernberg, et non mézigue, même si, comme disait une diva à Rossini, « je l’améliore » – ou l’esquinte. En bref, est-ce que je ne tombe pas en arrêt, comme le plus lamentable des gibiers pour voyantes, devant des rapprochements du genre : glups : ils ont eux aussi deux pieds, deux mains, sept orifices, ont été engendrés par un homme et enfantés par une femme? Comme c’est bizarre, comme c’est étrange, et quelle coïncidence!

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