Une Monnaie Complémentaire Sociétale?
Un pont vers le possible : création d’un espace complémentaire sociétal
Ce sujet est développé dans un livre des mêmes auteurs […]
Même si vous partagez globalement notre manière de voir et nos propositions, vous vous dites peut-être que nous sommes en train de rêver, car l’économie est maintenant mondialisée, et vouloir convaincre les dirigeants de l’Europe, embarqués dans la vague ultra libérale, relève des travaux d’Hercule. La crise toutefois, dont on veut nous faire croire qu’elle est derrière nous, mais qui malheureusement ne peut que s’aggraver, puisque la “solution” adoptée est de rester dans l’asservissement aux marchés financiers au prix de l’austérité pour les peuples, la crise donc pourrait conduire à rendre possible des alternatives révolutionnaires, sous la pression populaire.
Élaborons donc une alternative que nous choisirons au départ ne dépendre que de la France, afin que la marche à franchir ne soit pas trop haute. Certes le projet dont nous allons résumer le principe ici nous mettrait probablement en dissidence temporaire avec l’Europe, mais nous misons sur le fait qu’il pourrait séduire les citoyens européens et que les institutions seraient alors amenées à céder sous leur pression. Nous voulons parier sur la valeur d’exemple qu’une réalisation de ce genre, dans notre pays, pourrait avoir sur le reste du monde. Ne voyez donc à aucun moment le désir de nous replier frileusement derrière nos frontières, de créer un décalage par rapport aux autres pays de l’Union européenne et du monde pour en tirer un avantage concurrentiel quelconque. Nous espérons que les autres Nations, à commencer par celles qui composent l’Union européenne, s’engouffreront dans la voie ainsi tracée. Cela permettrait, selon nous, de répondre de façon appropriée, efficace et rapide, aux grands enjeux de notre temps.
Principe de l’Espace Complémentaire Sociétal :
L’humanité ne trouvera pas d’issue pacifique aux problèmes qui sont les siens aussi longtemps qu’elle restera prisonnière d’un système dont l’effet est de la tenir confinée à l’intérieur d’un projet économique qui ne lui permet ni d’exprimer le véritable potentiel créatif humain, ni de satisfaire de façon équitable les besoins des populations, ni même de respecter et valoriser son environnement naturel. Effacer la page et en réécrire une autre n’est ni chose facile, ni désirée par tous. Toute évolution demande du temps. Il convient donc de compléter le dispositif économique actuel, aussi imparfait qu’il soit (mais ne jetons pas le bébé avec l’eau du bain) dans le but de résoudre, indépendamment de leur coût financier ou comptable, les problèmes humains et écologiques que la seule logique capitaliste et comptable est incapable par nature de traiter.
L’humanité s’est agrandie, ses besoins ont changé. Elle est à l’image d’un homme qui peine à marcher à cause de chaussures devenues trop étroites. Ce que l’on appelle adaptation au changement de nos jours consiste à vouloir faire croire à cet homme que la chaussure est ainsi, qu’on n’y peut rien faire et qu’il doit apprendre à s’adapter. Le bon sens ne devrait-il pas amener à considérer que c’est la chaussure qu’il faut modeler aux besoins de cet homme?
Obéissant à ce qui nous semble relever de cet élémentaire bon sens, notre proposition vise à introduire, au sein même de l’espace économique existant, un nouvel “Espace Complémentaire Sociétal” (E.C.S.). Sa vocation est l’obtention de ce que nous appelons “le bénéfice sociétal”, c’est-à-dire tout ce qui favorise l’amélioration de la qualité de la vie et l’épanouissement de l’être humain au sein de la société. Notons, pour préciser les choses, que cela consiste d’une façon générale à favoriser tout ce qui permettrait dès maintenant de diminuer la pollution domestique, industrielle et agricole, limiter l’utilisation de la matière dans la production (recyclage, matériaux nouveaux à meilleures performances à base de ressources renouvelables), remplacer rapidement l’énergie fossile par des énergies renouvelables non polluantes.
Cet “espace” a vocation prioritaire de créer des activités qui n’existent pas encore, en particulier des services qui font cruellement défaut pour permettre à tous une vie digne sur une planète respectée. Le champ est donc immense, ouvert à l’expression des besoins que révélera une enquête nationale, et qui susciteront des vocations chez beaucoup de personnes qui, aujourd’hui, cherchent un travail à reculons, ne se reconnaissent pas dans la logique du système actuel; sans parler de celles qui ont déjà un projet sociétal mais qu’elles ne peuvent mettre en œuvre parce qu’il n’est pas “rentable”. [1]
Le choix des orientations est fixé par exercice du jeu démocratique au sein des Nations. Une première étape se donnera pour but d’identifier et lister l’ensemble des points qui posent un problème écologique et humain dans notre mode de vie, présent ou probable dans l’avenir, une deuxième consistera à mettre en regard des solutions possibles, porteuses d’améliorations de qualité de vie, et transposables à l’ensemble de la planète; la troisième sera leur mise en chantier.
Les moteurs de l’Espace Complémentaire Sociétal (E.C.S.)
– L’Entreprise à Mandat Sociétal :
Les projets sociétaux ainsi déterminés sont confiés à des acteurs spécifiques : les Entreprises à Mandat Sociétal (E.M.S.), régies par un statut juridique propre. Elles n’obéissent pas à la logique de profit ou d’équilibre financier, finalité de l’entreprise traditionnelle, mais à celle du “bénéfice sociétal”. Un bilan sociétal [établi par qui??] mesure la pertinence de leur activité, leur poursuite ou cessation.
– Une monnaie libérée qui libère l’action
Comment le système E.C.S. finance-t-il les investissements et les besoins de ses acteurs?
Ni par l’impôt, ni par l’emprunt, mais par utilisation d’une monnaie sociétale complémentaire à l’euro, émise par l’État à hauteur des besoins déterminés par les projets décidés;
– monnaie gratuite (elle ne peut produire d’intérêts),
– permanente (ce n’est pas une monnaie de crédit),
– électronique et nominative,
– non convertible en euros (sauf cas spécifiques) ou autre devise étrangère,
– non spéculative
– à cours forcé (toute personne physique ou morale, sur le territoire national, devra accepter en paiement cette unité de compte sociétale dont la valeur faciale est équivalente à l’euro).
Précisons qu’au départ, la masse monétaire en monnaie sociétale à mettre en circulation est déterminée par l’estimation des besoins que révéleront les enquêtes communales, régionales et nationales préalables, en tenant compte des effets produits sur le bien-être des citoyens dans un cadre écologique, et non des effets produits sur la simple “consommation”.
Afin de garantir cette monnaie sociétale, l’État, par le biais du Trésor Public, émet des bons du Trésor spéciaux en unités sociétales, sans intérêt ni échéance, qu’il cède à un organisme public d’émission qui pourrait être la Banque de France. Cette dernière ouvre un compte en monnaie sociétale du même montant, à partir duquel les banques privées [2] peuvent s’approvisionner selon les besoins, tant en capital qu’en exploitation, des entreprises à finalités sociétales engagées dans la réalisation des différents projets. Par la suite, c’est l’équilibre entre la masse monétaire et la valeur de la richesse réelle créée par l’activité sociétale qui détermine s’il est nécessaire d’injecter de la monnaie ou d’en retirer.
Cette présentation succincte a peut-être pour vous le goût d’une belle utopie. Il est certain que ce résumé suscite sans doute plus de questions qu’il ne donne de réponses. Mais comme nous l’avons rappelé en introduction, c’est un autre livre qu’il nous a fallu écrire pour explorer la proposition de façon détaillée afin d’en faire sentir l’à-propos et le fonctionnement. Nous vous invitons donc à ne pas vous laisser dominer par quelque a priori. L’humanité ne s’est probablement jamais trouvée face à un défi aussi élevé [sic] puisque c’est sa survie même qui est en train de se jouer. Cela vaut bien que l’on accepte de considérer les alternatives possibles, non? De plus, nous attirons votre attention sur les deux atouts majeurs que contient ce projet :
– L’obstacle rédhibitoire auquel se heurte habituellement toute réforme, c’est que sa mise en œuvre contrarie certains intérêts en place. Le projet dont il est question ici n’exclut ni ne fragilise personne. C’est un trait d’union, une démarche de réconciliation, un pacte fondé sur la reconnaissance de ce qui est, dans le respect de toutes les sensibilités.
– Le projet rend possible tout ce que le mur de l’argent interdit dans la logique actuelle du système.
a) Faire une distinction entre le marchand et l’existentiel (quantitatif et qualitatif), chacun avec sa monnaie et sa dynamique propre sans conflit d’intérêt;
b) résoudre, indifféremment de leur coût financier, les problèmes humains et écologiques que la seule logique capitaliste libérale ne peut traiter par la nature même du droit des entreprises et des systèmes comptables;
c) ouvrir portes et fenêtres sur la possibilité de créer un monde équitable, pacifié et respectueux de la vie.
Boileau voici quelques siècles affirmait que « l’homme est un animal curieux qui s’afflige des maux dont il continue d’adorer les causes » [3]… Notre actualité semble lui donner sacrément raison. Ne serait-il pas temps de le faire mentir? [4]
[1] Vous auriez peut-être souhaité une description plus spécifique des activités relevant de ce nouveau champ économique. Précisons que l’adjectif “sociétal” caractérise toute pensée ou action qui place en premier le respect des Droits de l’Homme et de l’environnement, par la réappropriation de la création monétaire par la collectivité, la gestion planétaire des biens communs non renouvelables ou nécessaires à la vie, la répartition des enrichissements collectifs nationaux sous forme de dividendes distribués équitablement à chaque citoyen, la démocratie participative locale et régionale dans un cadre de subsidiarité. La finalité étant de redonner à l’homme la souveraineté de son destin, souveraineté pour le moment confisquée par l’économique et le financier. En dehors de cette définition générique, il ne nous appartient pas de définir plus précisément ce qui entrera dans ce champ puisque seul le débat public est légitimé à le faire.
[2] Même si les banques privées portent une lourde responsabilité dans les crises que nous vivons, il n’est pas question de les exclure, mais d’utiliser leurs compétences. C’est la déréglementation progressive du système qui a ouvert les portes à tous les abus. Nous nous situons ici dans le cadre d’un système où les banques redeviennent simples prestataires de services.
[3] Je saurais un gros pot de gré au lecteur capable de sourcer cette prétendue citation de Boileau qu’ils se recopient les uns sur les autres.
[4] Impossible de dire si cette utopie est viable. J’avoue que le cours forcé ne m’inspire pas confiance, et moins encore, je le répète, les décisions prises par des irresponsables perdus dans leur univers, ou de simples imposteurs. On va enlaidir la montagne d’éoliennes pour la frime, qui cacheront les nécessaires centrales thermiques “d’appoint”, hautement polluantes… commander des millions de vaccins en vue d’épidémies qui n’auront pas lieu, en oubliant de prévoir la seule meurtrière… et l’on pourrait continuer longtemps sur ce thème. Quand j’étais en coopé, les billets d’avion remboursés par l’État étaient deux fois plus chers que ceux qu’achetaient les particuliers, que les payeurs touchassent ou simplement s’en foutissent. Même la bonne volonté, quand elle ne se soucie pas de ratification, donc de rentabilisation, par un public, débouche à l’ordinaire sur des décisions catastrophiques. J’habite une ville qui en a plein la gueule de la Culture, qui multiplie les médiathèques de quartier sans se préoccuper de leur fréquentation, et subventionne les “artistes” autoproclamés auxquels l’école seule fournit une assistance contrainte; une ville où les festivals coûtent cher aux 95% de la population qui n’y mettent pas les pieds, et où, en fin de compte, si vous voulez lire un livre ou voir un film, il vous faut les acheter. Les en-charge de la culture sont soit des pourris, soit de pompeux imbéciles qui se donnent la mission d’instruire les masses sans se soucier de leur aval : c’est d’leur faute s’ils sont cons! L’expérience m’incite à tenir ce péril pour aussi grand, pour le moins, que ceux de la rentabilité-reine, et même du lobbying des entreprises. Les fonctionnaires ne font pas que des conneries, mais tant qu’elles n’auront pas de sanction, “la monnaie sociétale” ne sera qu’une prime à l’irresponsabilité… Je ne vois pas comment une création monétaire non remboursable, non convertible et obligatoire pourrait “prendre” : quoi donc oblige une entreprise à construire un hôpital qui sera payé en fric de singe, avec lequel elle ne pourra rien acheter à l’étranger? À vous de voir. Bien entendu, je me sens, quant aux objectifs, du côté des auteurs. C’est l’efficacité de cette “solution” qui prétend tout ménager, qui m’inspire des doutes.