Solutions, 3
Enfin, en ce qui nous concerne, nous proposons…
Comme Allais en France, comme Robertson en Angleterre, comme Kennedy en Allemagne, et comme bien d’autres économistes, hélas peu écoutés, nous nous fondons sur un principe de base : c’est la collectivité qui, par son travail et sa production, donne la “valeur” à la monnaie, et non pas quelque décision venant du ciel ou de Francfort. Par conséquent, la monnaie est un bien COLLECTIF et non privé, celui des Français ou des citoyens de la zone euro. Nous suggérons donc que toute la monnaie, sous quelque forme que ce soit, soit émise par une Banque centrale politiquement indépendante, dont le mandat soit non seulement de limiter l’inflation, mais aussi celui de soutenir le financement :
– des entreprises et des ménages avec des taux d’intérêts nominaux limités à l’inflation (taux d’intérêt nul),
– de l’équipement des collectivités publiques, sans intérêt, ce qui signifie que le fonctionnement et les amortissements (usures des biens) continueraient à être supportés par la solidarité nationale, donc par les recettes fiscales.
Les ménages y gagneraient, les entreprises y gagneraient, l’État et le pays y gagneraient. Seules les banques commerciales, qui seraient rémunérées à titre d’intermédiaires, par de simples honoraires, y perdraient. [Ce qui pourrait n’aller pas sans inconvénients pour les ménages qui leur confient leur épargne! Elles pleurent déjà misère et font payer de plus en plus cher leurs services… Je ne dis pas que les mesures qui précèdent et qui suivent ne soient justes et nécessaires, mais j’attends toujours un exposé loyal du “contre”, et un examen sérieux de la faisabilité dans le contexte.]
Par ce moyen, les dividendes seraient versés aux États, de sorte que même s’ils ont accepté d’abandonner tout pouvoir régalien sur l’émission monétaire, c’est la collectivité qui recevrait tous les intérêts “de base”. Pour situer les choses, à un taux de 5% par exemple, c’est près de 400 milliards d’euros d’intérêts qui reviendraient aux populations de la zone euro en 2007. Quant aux États, ils auraient la possibilité de financer leurs équipements auprès de la BCE à taux zéro.
Et si un jour nous avions le pouvoir de présenter une révision constitutionnelle, voici à peu près ce que nous proposerions :
Article 1
Toute création de monnaie, hormis certaines monnaies localement autorisées du type “SEL” [1], doit relever de l’État et de l’État seul par l’intermédiaire de la Banque centrale.
Les intérêts, dont les taux sont déterminés par la Banque Centrale, sont crédités au compte du Trésor Public.
Article 2
Le Trésor Public est la Banque de l’État, système de gestion des comptes de l’État et des administrations.
Il reçoit les recettes et paie les débits de l’État, des collectivités et de l’administration :
– il recouvre les recettes publiques,
– il reçoit les intérêts de la monnaie émise par la Banque Centrale et confiée au système bancaire,
– il contrôle et exécute les dépenses publiques,
– il produit l’information budgétaire et comptable publique,
– il offre des prestations d’expertise et de conseil financier,
– il gère l’épargne et les dépôts de fonds d’intérêt général.
Article 3
La Banque Centrale est le quatrième pouvoir [2], indépendant du pouvoir politique.
1. Elle est chargée d’émettre la monnaie fiduciaire (pièces et billets) ainsi que la monnaie scripturale et électronique prêtée contre intérêt aux banques de prêts qui en font la demande.
2. Elle émet le crédit à la Nation.
3. Elle détermine et fait appliquer les règles de bonne conduite bancaire aux banques et établissements financiers, suivant la règle que tout financement d’investissement à un terme donné doit être assuré par des emprunts au moins de même terme. Aucun emprunt à long terme ne peut être financé par des emprunts à court terme.
4. Elle surveille l’interdiction, faite aux banques et établissements financiers, de la spéculation sur les changes, les actions, obligations et produits dérivés.
5. Elle veille à la dissociation totale des activités bancaires formant le réseau des banques privées (trois catégories d’établissements distincts et indépendants : les banques de dépôts, les banques de prêts et les banques d’affaires).
Article 4
Le budget de l’État doit être équilibré en fonctionnement et amortissements par la fiscalité, excepté en période de récession économique. L’équipement de l’État et des diverses collectivités publiques fait partie d’un budget séparé financé par émission monétaire.
Article 5
Le réseau des banques privées comporte 3 types de banques :
1. Banques de dépôts : encaissements, paiements, garde de dépôts de leurs clients.
2. Banques de prêts : le montant global des prêts ne peut excéder le montant global des fonds empruntés (épargne préalable ou émission monétaire de la Banque Centrale [3]). Les financements proposés par les banques de prêts doivent être assurés par des emprunts dont le terme est au minimum de même durée.
3. Banques d’affaires : investissent dans les entreprises les fonds empruntés au public ou aux banques de prêts.
Article 6
Aucune banque privée ne peut prendre une dénomination qui pourrait faire penser qu’elle est une émanation du secteur public (dénominations telles que “nationale” ou “publique”).
La crise bancaire actuelle nous conforte dans cette position.
Les bienfaits de telles réformes
1) Les impôts et la dette de l’État pourraient être réduits ou les dépenses publiques pourraient être augmentées jusqu’à hauteur de 45 milliards d’euros par an.
2) Le montant des ressources communes, la masse monétaire nationale, deviendrait une source de recettes publiques plutôt que de profits pour le privé, ce qui supprimerait une profonde injustice économique.
3) Le recours à une masse monétaire sans intérêt faciliterait la réduction des niveaux actuels des dettes publiques et privées, lesquelles s’expliquent en partie par le fait que tout l’argent que nous utilisons a été créé sous forme de dette.
4) La Banque centrale serait mieux à même de contrôler l’inflation puisqu’elle déciderait elle-même et créerait directement la quantité de monnaie dont l’économie aurait besoin. Pour le moment, son action est indirecte et paradoxalement génératrice d’inflation. En effet, selon les théories actuelles, l’inflation est le signe d’une trop grosse masse monétaire que la Banque centrale tente de réduire en augmentant son taux directeur pour renchérir le coût du crédit… Mais l’augmentation de coûts générée de cette manière favorise en fait l’inflation.
5) Le climat général serait moins tendu. Actuellement, la majorité de l’argent que nous utilisons est originaire de la dette et les gens doivent produire et vendre davantage pour servir les intérêts de la dette et la rembourser. Ce problème pourrait être évité si l’argent était mis en circulation sans intérêt ou si les intérêts retournaient à la collectivité.
6) Notre pays et l’Europe pourraient devenir les éclaireurs d’une voie nouvelle, capable de répondre à la dimension et à l’urgence des défis très spécifiques de notre temps.
[1] Système d’Échange Local.
[2] La séparation des pouvoirs est un principe de répartition des différentes fonctions de l’État, qui sont confiées à différentes composantes de ce dernier. On retient le plus souvent la classification de Montesquieu, appelée Trias Politica :
– le pouvoir législatif, confié au parlement;
– le pouvoir exécutif, confié au gouvernement, à la tête duquel se trouve un chef d’État et/ou de gouvernement.
– le pouvoir judiciaire, confié au juge.
La Déclaration des droits de l’homme et du citoyen affirme que « Toute société dans laquelle la garantie des droits n’est pas assurée, ni la séparation des pouvoirs déterminée, n’a point de constitution ».
[3] Taux de couverture à 100%.