Comment rembourser la dette?
Comment rembourser la dette?
Jusqu’ici, nous n’avons qu’effleuré la notion de dette brute et de dette nette. Celle dont les media [sic : c’est effectivement la bonne orthographe, ou l’originelle, pluriel du medium latin. J’ai un peu honte d’y avoir renoncé moi-même.] et les politiques vous parlent tous les jours, c’est la dette brute des Administrations Publiques (dite « au sens de Maastricht »). Mais les Administrations publiques disposent également d’actifs (un patrimoine qui se mesure à 1385 Md€ à fin 2009). Certains, oublions-les, difficilement négociables, “actifs non financiers”, comme les immeubles et les terrains), d’autres dits “actifs financiers” pour 873 Md€. La différence entre la dette brute et les actifs forme la dette nette. Cette dette nette peut donc être estimée à plus ou moins 800 Md€.
Mais pour la suite, afin de ne pas perturber le lecteur, nous allons garder le chiffre de dette communément admis : 1700 Md€ fin 2011.
Imaginons qu’en 2012, le nouveau Président décide de rembourser, autant que faire se peut, la dette publique.
Bien évidemment il se rendra compte que les administrations publiques, ne pouvant déjà pas payer plus de 50 milliards d’intérêt par an, ne peuvent non plus absolument pas rembourser un centime du capital formant la dette, même en diminuant d’une façon considérable le nombre de leurs fonctionnaires et en réduisant de toutes parts les dépenses (car la réduction des revenus de tous, c’est en même temps la réduction de leurs dépenses, donc une baisse du PIB, donc une baisse des recettes fiscales), même en augmentant les impôts des classes moyennes déjà exsangues (avec également la conséquence sur l’activité), et que donc il ne reste qu’une seule solution : la monétisation directe par la Banque de France.
Las, c’est interdit… doublement interdit
D’abord, comme nous l’avons vu, par la loi française, l’article L 141-3 du code monétaire et financier. Mais ça, c’est facile à changer.
Ensuite, et là, problème! l’article 104 du traité de Maastricht, devenu article 123 du traité de Lisbonne, interdit dans des termes très clairs toute avance directe, sous quelque forme que ce soit, des Banques Centrales Nationales (cas de la Banque de France) à l’État et aux autres administrations publiques : les administrations publiques doivent trouver l’argent auprès des banques, des fonds de pension, des assurances vie et autres épargnants.
[Ici il faut que le lecteur se souvienne bien que le système de création de monnaie par une banque centrale est exactement le même que celui utilisé par les banques commerciales, privées ou non.
L’emprunteur qui demande “un crédit” dépose une “obligation” (reconnaissance de dette) que la banque va porter à l’actif de son bilan. Puisque c’est “son droit” (et les banques sont seules à en disposer), elle va porter au passif de son bilan, au compte de l’emprunteur, le montant de la valeur de l’obligation, en monnaie qu’elle crée par cet acte; c’est ce qu’on appelle la “monétisation”.
L’emprunteur pourra immédiatement se servir de cette monnaie créée.
Dans le cas de la Banque Centrale, l’emprunteur est le Trésor Public qui recevra donc sur son compte, tenu par la Banque de France, l’équivalent de l’obligation déposée.]
Donc notre Président n’aura d’autre alternative que de décider de passer outre ou de quitter l’euro.
Comment rembourser cette dette? Nous oublierons ici les trois solutions les plus simples pour la réduire :
– celle de laisser filer l’inflation d’une manière excessive [comment?],
– celle de “faire défaut” [donc de ne pas rembourser, je présume : la solution bolchevik de 1917. Dommage qu’elle ne soit pas prise en considération : j’aurais aimé avoir une petite idée des conséquences, envisagées non par un novice dont les yaquà risquent d’omettre les 9/10èmes des implications d’une mesure, mais par deux professionnels qui ont eu à essuyer des objections.]
-– celle de vendre nos actifs financiers (pour 873 MdF fin 2009) [Je vendrais plutôt Versailles, le Mont Saint Michel, Notre-Dame de Paris, etc : ils resteront de toute façon dans le pays, et il importe assez peu que Rothschild ou Bezos encaissent le prix des billets.]
Il nous faudra donc tenir compte :
– de l’inflation : pour simplifier nous présentons les résultats en valeur “milliards d’euros 2011”
– de l’augmentation espérée du PIB en valeur : l’hypothèse retenue est de 2% par an
– de taux d’intérêts réels, c’est-à-dire le taux nominal (celui qui est affiché) diminué du taux d’inflation, sur le solde de dette à rembourser.
Un petit tableur nous permet d’explorer de multiples hypothèses : plusieurs sont intéressantes, nous en avons retenu quatre

Hypothèse 1 : intérêts réels 2% par an - déficit 3% du PIB - pas de monétisation - la dette explose à 6258 Md€ et 177% du PIB en 2042.
Hypothèse 2 : intérêts réels 2% par an - pas de déficit primaire - pas de monétisation - la dette passe à 2079 Md€ et 87% du PIB en 2042.
Hypothèse 3 : intérêts réels 2% par an - déficit 3% du PIB/an - monétisation annuelle 5% du PIB : il faut 30 ans (2042) à la dette pour disparaître.
Hypothèse 4 : intérêts réels 2% par an - pas de déficit primaire - monétisation annuelle 5% du PIB : la dette disparaît en 2027.
[Inutile de préciser, je présume, que nous pataugeons dans l’hypothèse 1.]
Répondons à deux objections habituelles
Objection 1 : la monétisation annuelle de 5% du PIB par la Banque de France serait inflationniste!
La réponse est qu’elle ne le serait pas plus que celle qui consisterait à continuer de financer les besoins monétaires par les banques privées, car :
1 - actuellement, ce sont les banques privées qui disposent du droit de création monétaire (lors des demandes de crédit des agents non bancaires ou de monétisations de divers actifs telles les obligations)… mais elles demandent des intérêts pour ce faire
2 - chaque demande de financement supplémentaire par les États (pour payer les intérêts nécessite “globalement” une augmentation de la masse monétaire par émission de nouveaux crédits bancaires (avec intérêts)
3 - la Banque de France appartient à 100% à l’État – seul actionnaire – et que donc les éventuels intérêts que pourraient payer le Trésor Public (ou les administrations) sur les crédits émis par la Banque de France à destination du Trésor Public reviendraient en totalité dans la caisse de l’État par le biais des dividendes à son seul actionnaire et de l’impôt sur les sociétés payés par la Banque de France; il semble donc tout à fait inutile de compliquer les choses
4 - la Banque de France émet de la monnaie de crédit d’une manière similaire à celle émise par les banques privées, c’est-à-dire “ex nihilo”. Pour être plus précis, les banques privées émettent de la monnaie en portant à leur passif, au compte courant de l’emprunteur, le montant de la garantie (“obligation”) qu’elles-mêmes portent à l’actif de leur bilan. Dans le cas d’une monétisation directe par la Banque de France, l’État offre à celle-ci des obligations et la Banque de France porte au compte du Trésor Public l’équivalent en monnaie.
5 - soit l’État estimant des risques d’inflation rembourse la Banque de France et la quantité de monnaie en circulation diminuera, soit il ne le fait pas et cette monnaie deviendra permanente (ce ne sera plus une “monnaie de crédit”)
6 - cette proposition n’est pas nouvelle, elle a été faite en 1981 dans la proposition de loi n°157 par des députés de droite.
Mais 100 Md€ de création monétaire directe permettrait par exemple d’équilibrer le budget 2011 (y compris les intérêts) mais ne permettrait pas de diminuer la dette. Il faudra donc parallèlement augmenter les impôts des plus riches dans cette période de crise économique.
Le remboursement annuel du capital de la dette par monétisation est neutre au niveau de la quantité de monnaie ou n’est pas inflationniste. En effet, au final :
a) les détenteurs de la dette rembourseront (directement ou indirectement) les crédits octroyés par les banques, lesquels ont, à l’origine, permis l’achat des titres de dettes… la masse monétaire diminuera donc, ou
b) la monnaie récupérée par les structures détentrices de titres (assurances vie et fonds de pension) sera replacée en obligations d’entreprises privées, ce qui facilitera la création de richesses.
Mais il est vrai que la solution “100% monnaie” serait de loin la plus opérationnelle en interdisant au privé de créer de la monnaie et en laissant aux banques de prêts la seule gestion de la seule épargne confiée : mais c’est encore trop utopique.
Objection 2 : il vaut mieux faire financer par les banques privées qui ont une meilleure habitude de jugement des risques; en définitive le financement bancaire (privé) est moins inflationniste.
1 - Des investisseurs privés d’une clinique sont financés par une banque lors d’une création monétaire 100 à 5% sur 10 ans. Ils remboursent chaque année, ou plus exactement font rembourser chaque année par leurs “clients” 10 + les intérêts (la première année 15, la seconde année 14,5, etc). En fait, ils auront remboursé les 100 émis par la banque au terme de 7,5 ans et au total ils vont rembourser 127,5 (27,5 d’intérêts qui ne pourront être issus à l’origine QUE d’une création monétaire bancaire “quelque part” de crédits eux-mêmes productifs d’intérêts… mais inutile de calculer cette suite sans fin : arrêtons-nous là). La masse monétaire totale en circulation sur le laps de temps a bien été de 127,5.
Le solde réel de création monétaire INDISPENSABLE au terme des 10 ans, pour pouvoir payer les intérêts dus, est de 27,5.
2 - L’État construit un hôpital public équivalent (au même endroit avec les mêmes prestations) qu’il finance par sa banque centrale par une création monétaire centrale versée au compte du Trésor Public, pour un montant de 100. C’est la collectivité qui rembourse par les impôts, par exemple, 10 par an sur 10 ans.
Le solde réel de création monétaire au terme des 10 ans est de zéro.
Les richesses construites sont les mêmes
Et l’on voudrait nous faire croire que le cas 1 serait moins “inflationniste” que le cas 2?
Enfin, dans le bulletin Natixis N°696 du 22 décembre 2010, Patrick Artus pose la question : « Est-il mieux que les Banques Centrales monétisent directement les dettes publiques, ou qu’elles favorisent une monétisation indirecte par les banques? » Sa réponse – venant pourtant d’un banquier – est sans appel : « Au total, la monétisation indirecte par les banques nous paraît beaucoup plus dangereuse que la monétisation directe par les Banques Centrales, ce qui est évidemment l’opposé de l’opinion de la BCE. »